“Un problème mal posé ne se résout jamais” : l’analyse de James Beltis sur l’échec des stratégies de lutte contre l’insécurité en Haïti…

James Beltis, president du CNT...

PORT-AU-PRINCE, mercredi 26 fevrier 2025Dans une analyse critique de la gestion de la crise sécuritaire en Haïti, James Beltis, dirigeant de l’organisation sociale Nou Pap Dòmi, remet en question l’approche adoptée par les autorités haïtiennes et leurs partenaires internationaux. Selon lui, le problème de la criminalité en Haïti est mal posé, ce qui conduit inévitablement à des solutions inefficaces et à un gaspillage de ressources.

« Pa gen mwayen rezoud yon pwoblèm si l mal poze » (Il n’y a pas de moyen de résoudre un problème s’il est mal posé), affirme Beltis, soulignant que la lecture dominante de la crise comme une simple question d’insécurité empêche une réponse adaptée à sa véritable nature. Pour lui, la police nationale et les forces armées, bien que mieux équipées qu’auparavant, ne peuvent à elles seules vaincre les groupes criminels qui contrôlent une grande partie du territoire haïtien.

Beltis dénonce une vision réductrice qui consiste à croire que la Police nationale d’Haïti (PNH), avec l’appui de la communauté internationale, pourra ramener l’ordre. « Nou lage chay la nan men lapolis » (Nous avons mis tout le fardeau sur la police), déplore-t-il, en expliquant que cette approche se traduit par des investissements massifs dans l’achat d’armes et de blindés, alors que le problème dépasse largement les capacités de la police.

Malgré ces investissements, les gangs armés continuent d’imposer leur loi, et aucune victoire significative n’a été remportée contre eux. « Jodi a, si poko gen yon grenn viktwa PNH/FAD’H/MSSM fas ak lame kriminèl Viv Ansanm, se ta dwe yon moman pou n regade apwòch nou sou sa nou rele ensekirite a » (Aujourd’hui, si la PNH, les FAD’H et le MSSM n’ont remporté aucune victoire contre l’armée criminelle Viv Ansanm, il est temps de revoir notre approche de ce que nous appelons insécurité), fait-il remarquer.

L’activiste déplore que même les cadres les plus compétents du Conseil présidentiel de transition (CPT) soient tombés dans le piège de cette analyse biaisée, réduisant l’effondrement du pays à une simple crise d’insécurité. Pourtant, selon lui, la situation actuelle est le résultat d’un phénomène de criminalité organisée de haut niveau, enraciné dans des structures politiques et économiques bien identifiées. Il cite notamment les rapports de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF), de la Cour des comptes, de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et du Bureau des affaires financières (BAF), qui ont tous documenté les liens entre le crime organisé et certains secteurs influents du pays.

Beltis rejette donc l’idée que l’augmentation des moyens militaires suffira à résoudre la crise. « Se pa zam ki konbat kriminalite ; se entèlijans ak konpetans ; se angajman ak entegrite otorite ki plase pou konbat kriminalite a » (Ce ne sont pas les armes qui combattent la criminalité, mais l’intelligence et la compétence ; l’engagement et l’intégrité des autorités responsables), insiste-t-il.

Il estime que les dirigeants haïtiens auraient dû utiliser les ressources disponibles pour mettre en place un Conseil de sécurité nationale dès l’installation du CPT, avec un mandat clair : définir comment l’État haïtien et la société peuvent reprendre le contrôle du pays. « Yo te dwe mobilize resous sa yo pou kanpe yon Konsèy Sekirite Nasyonal serye, yon semèn apre CPT a enstale » (Ils auraient dû mobiliser ces ressources pour mettre en place un Conseil de sécurité nationale sérieux une semaine après l’installation du CPT), suggère-t-il.

Or, au lieu de cela, les fonds publics continuent d’être détournés ou mal utilisés, notamment pour financer un processus électoral et un référendum imposés par des pressions extérieures. « Nou pran resous peyi a pou n al fè eleksyon ak referandòm, jis paske se sa a blan an vle tande » (Nous utilisons les ressources du pays pour organiser des élections et un référendum, simplement parce que c’est ce que les étrangers veulent entendre), critique-t-il, alors que des milliers d’Haïtiens meurent ou fuient le pays.

Pour James Beltis, la crise ne pourra pas être résolue tant que l’analyse du problème restera biaisée. « Mwen pa kwè pwoblèm ki atè a ka rezoud nan 10 mwa, se pa sa m ap di la, men m kwè yon pwoblèm ki mal poze pa p janm rezoud » (Je ne dis pas que le problème actuel pourrait être résolu en dix mois, mais je suis certain qu’un problème mal posé ne sera jamais résolu, déclare Beltis.

« En l’absence de volonté politique et d’une stratégie cohérente, l’État haïtien continue de naviguer à vue, laissant le terrain libre aux groupes criminels qui consolident leur emprise sur le pays », , conclut-il.