PARIS, mercredi 29 janvier 2025- Dans une interview accordée à TV5MONDE au terme de sa tournée européenne, Leslie Voltaire, président du Conseil présidentiel de transition (CPT) en Haïti, a confirmé que les élections générales auront lieu en novembre 2025, avec pour objectif de transférer le pouvoir à un gouvernement élu le 7 février 2026. Il a précisé que ces élections incluront l’élection présidentielle, les législatives ainsi que les scrutins locaux et municipaux. Cette annonce intervient dans un contexte de crise sécuritaire et politique marqué par l’expansion des gangs armés et l’effondrement des institutions de l’État.
Le président du CPT a expliqué que la mise en place du Conseil électoral provisoire est en cours et qu’une réforme constitutionnelle est également envisagée pour moderniser la gouvernance du pays. Il a insisté sur le fait que le processus électoral nécessitera un accompagnement international afin de garantir un scrutin crédible et transparent. Cependant, Voltaire a souligné que les conditions sécuritaires demeurent un défi majeur, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, où plusieurs quartiers sont sous le contrôle de gangs lourdement armés.
Lors de son entretien, Leslie Voltaire a dénoncé la responsabilité des dirigeants haïtiens dans la montée en puissance des gangs, accusant l’ancien président Michel Martelly d’avoir légitimé ces groupes armés. Selon lui, les gangs ont été initialement soutenus par des figures politiques et économiques influentes, avant de devenir autonomes grâce aux revenus du trafic de drogue, d’armes et aux rançons issues des enlèvements. Il a ajouté que la corruption et l’impunité ont contribué à renforcer ces organisations criminelles qui, aujourd’hui, constituent une menace existentielle pour l’État haïtien.
En octobre 2023, l’ex-président haïtien Michel Martelly a été épinglé dans un rapport d’experts de l’ONU pour son implication présumée dans la création et le financement de gangs armés en Haïti.
Selon le rapport du Groupe d’experts mandaté par le Conseil de Sécurité des Nations unies, « Michel Martelly, qui a été président de 2011 à 2016, s’est servi des gangs pour étendre son influence dans les quartiers afin de faire avancer son agenda politique, contribuant ainsi à un héritage d’insécurité dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. »
« Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles, pendant son mandat, M. Martelly a financé plusieurs gangs, tels que Base 257, Village de Dieu, Ti Bois et Grand Ravine, notamment en leur fournissant des fonds ou des armes à feu », souligne le rapport.
Le document précise également que « d’après plusieurs sources, M. Martelly a créé la Base 257, qui a été financée et armée au fil du temps pour empêcher les manifestations contre le pouvoir à Pétion-Ville, notamment à partir de 2014. Ce gang est régulièrement mêlé à des meurtres, des enlèvements, des vols et au trafic de drogue. »
« M. Martelly est également passé par des intermédiaires, notamment des fondations ou des membres de sa garde rapprochée, pour établir des relations et négocier avec d’autres gangs. Ainsi, Arnel Joseph, l’ancien chef du gang de Village de Dieu, a déclaré qu’il s’entretenait régulièrement avec un intermédiaire travaillant dans l’unité de protection rapprochée de M. Martelly, ajoutant que cet intermédiaire lui donnait des armes à feu et d’importantes sommes d’argent », lit-on dans le rapport.
Le document met aussi en avant une vidéo dans laquelle « Ti Lapli, l’un des chefs actuels de Grand Ravine, explique que l’ancien président a remis à Tet Kale (ancien chef de Grand Ravine) un fusil Galil 5,56 mm appartenant à la police et un fusil de même type à Chrisla, chef du gang Ti Bois. Après l’assassinat de Tet Kale, Ti Lapli a récupéré l’arme. »
Le travail effectué par le Groupe d’experts vise à justifier des sanctions contre des personnalités impliquées dans diverses activités criminelles en Haïti, notamment le soutien aux gangs, le trafic de drogue et la corruption.
Concernant l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, Voltaire a confirmé que le crime a été perpétré par un commando d’anciens militaires colombiens avec la complicité de policiers haïtiens, dont plusieurs sont actuellement en détention. Il a rappelé que ce meurtre a plongé Haïti dans une instabilité encore plus profonde, laissant un vide sécuritaire exploité par les gangs. Il a néanmoins précisé que, malgré la situation chaotique dans la capitale, huit des dix départements du pays restent relativement stables.
Interrogé sur la force multinationale déployée en Haïti sous leadership kenyan, Voltaire a affirmé que si la population l’accueille favorablement, elle reste néanmoins insuffisante pour faire face à l’ampleur de la crise sécuritaire. Il a indiqué que des discussions sont en cours pour renforcer cet effectif et pour placer cette force sous mandat de l’ONU, mais que cette initiative est entravée par l’opposition de la Chine et de la Russie au Conseil de sécurité.
Au cours de sa tournée européenne, Leslie Voltaire a rencontré plusieurs chefs d’État et responsables internationaux afin de solliciter un appui renforcé à Haïti. Il s’est notamment entretenu avec le président français Emmanuel Macron, qui a promis un engagement accru contre le trafic de drogue entre la Colombie et Haïti en renforçant la coopération avec la marine colombienne. Voltaire a également évoqué le soutien de la France dans plusieurs domaines stratégiques tels que la sécurité, l’éducation, l’énergie et le reboisement. Il a suggéré la création d’un corps civique destiné à réhabiliter les jeunes enrôlés de force par les gangs et à les intégrer dans des projets de reconstruction et de développement environnemental.
Un moment marquant de sa tournée a été sa rencontre avec le pape François. Selon Voltaire, le souverain pontife s’est montré profondément préoccupé par la situation en Haïti et a exprimé sa solidarité avec le peuple haïtien. Lors de cette audience, le président du CPT a sollicité que le pape prenne l’initiative d’organiser une conférence internationale de solidarité en faveur d’Haïti. L’objectif serait de mobiliser la communauté internationale afin de garantir un soutien financier et logistique pour la stabilisation du pays, ainsi que des actions concrètes pour lutter contre l’extrême pauvreté et l’insécurité.
« Moi, je lui ai demandé d’initier une conférence internationale de solidarité avec Haïti, ce qu’il a écrit de sa main sur une feuille de papier », a-t-il déclaré lors d’une intervention en direct sur TV5MONDE.
Il a également évoqué les discours du pape François et son engagement en faveur de la solidarité internationale, en particulier envers Haïti. « Dans ses discours, notamment Urbi et Orbi, par exemple, que vous a-t-il dit ? D’abord, dans son encyclique, la Laudato Si’ aussi, il prêche pour la maison commune, qui est la régénération de la planète. Il prêche aussi dans Urbi et Orbi une relation fraternelle et de solidarité avec les peuples », a déclaré Leslie Voltaire.
Le président du CPT a souligné l’attention particulière du pape François pour Haïti : « Il prie toujours pour Haïti, chaque fois qu’il en a l’occasion. »
Leslie Voltaire a mis l’accent sur la nécessité de restaurer la stabilité institutionnelle après des années de crise profonde. Son discours met en lumière les défis auxquels Haïti est confronté : réforme constitutionnelle, lutte contre l’insécurité, rétablissement de l’ordre public et justice historique. Il s’agit, selon lui, d’une étape importante pour permettre au pays de sortir du cycle de violence et d’instabilité qui entrave son développement depuis plusieurs décennies.
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