Le Conseil de sécurité étudie les recommandations du Secrétaire général sur l’avenir du soutien de l’ONU à Haïti dans un contexte de crise sécuritaire et humanitaire…

Des membres du Conseil de Securite des Nations-Unies en reunion...

NEW-YORK, mardi 4 mars 2025Les membres du Conseil de sécurité des Nations unies pourraient se réunir au cours du mois de mars pour examiner les recommandations stratégiques du Secrétaire général António Guterres concernant le rôle de l’ONU en Haïti. Ces recommandations, formulées dans une lettre datée du 24 février, s’inscrivent dans la perspective de l’expiration du mandat du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) le 15 juillet et de l’autorisation de la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) le 2 octobre. Les membres du Conseil pourraient ainsi évaluer les options envisageables pour mettre en œuvre ces propositions, dans un contexte marqué par une détérioration continue de la situation sécuritaire, politique et humanitaire dans le pays.

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti est plongé dans une crise multidimensionnelle. La capitale, Port-au-Prince, est aujourd’hui contrôlée à environ 85 % par des gangs armés, selon les Nations unies, qui ont recours au meurtre, à l’enlèvement et à la violence sexuelle en toute impunité. L’absence d’élections depuis 2016 et l’effondrement des institutions étatiques ont aggravé la situation, tandis que la Police nationale haïtienne (PNH), sous-équipée et en sous-effectif, peine à rétablir l’ordre.

Le Bureau des droits de l’homme du BINUH a recensé, pour l’année 2024, un total de 5 626 personnes tuées et 2 213 blessées en raison des violences des gangs, des groupes d’autodéfense et des opérations de la PNH, soit une augmentation de 26 % par rapport à 2023. Le même rapport mentionne 1 494 enlèvements contre rançon perpétrés par les gangs sur la même période. Ces violences ont provoqué des déplacements massifs : selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1 041 000 personnes étaient déplacées internes en Haïti entre novembre et décembre 2024, soit environ 9 % de la population du pays.

Les conséquences de cette insécurité sont particulièrement graves pour les enfants. Dans une déclaration du 7 février, le porte-parole de l’UNICEF, James Elder, a signalé une augmentation de 1 000 % des cas de violences sexuelles contre les enfants entre 2023 et 2024 et une hausse de 70 % du recrutement d’enfants par les gangs, dont certains seraient âgés d’à peine huit ans. « Jusqu’à la moitié des membres des gangs en Haïti sont des enfants », a-t-il alerté, ajoutant que ces derniers sont parfois enrôlés de force ou manipulés en raison de la pauvreté extrême. Un rapport d’Amnesty International a confirmé ces faits, qualifiant de « violations graves » l’utilisation d’enfants-soldats, les violences sexuelles et les meurtres d’enfants, des crimes principalement commis par les gangs mais aussi, selon certaines sources locales, par des groupes d’autodéfense et des forces de sécurité.

Face à cette crise, le gouvernement haïtien avait officiellement demandé en octobre 2022 le déploiement d’une force internationale spécialisée pour appuyer la PNH dans la lutte contre les gangs. Soutenant cette requête, António Guterres avait recommandé qu’un ou plusieurs États membres, en coopération avec les autorités haïtiennes, envoient une force d’intervention rapide. En juillet 2023, le Kenya s’était porté volontaire pour diriger une mission multinationale, composée de contingents issus de plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes.

Le 2 octobre 2023, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2699, autorisant la création de la mission MSS sous la direction du Kenya pour une durée initiale de 12 mois. Cependant, le financement de cette mission, qui repose sur des contributions volontaires, a été largement insuffisant. L’opération, dont le coût annuel est estimé à environ 600 millions de dollars, n’a reçu qu’une partie des fonds nécessaires, et le nombre de soldats déployés reste bien en deçà des 2 500 prévus, avec seulement environ 1 000 officiers en service. Sur le terrain, la situation reste critique : le 23 février 2025, la mission a enregistré son premier décès avec la mort d’un soldat kenyan lors d’une opération dans la région de l’Artibonite.

Confronté à ces difficultés, le président du Conseil présidentiel de transition d’Haïti, Leslie Voltaire, a adressé en octobre 2024 une lettre au Secrétaire général demandant la transformation de la MSS en une mission de maintien de la paix des Nations unies « dès que possible ». Cette proposition a été débattue par le Conseil de sécurité, mais s’est heurtée à l’opposition de la Chine et de la Russie, qui ont souligné l’historique controversé des opérations onusiennes en Haïti et jugé que les conditions politiques et sécuritaires n’étaient pas réunies pour un tel changement.

Le 29 novembre 2024, le Conseil a préféré opter pour une approche plus prudente en demandant à Guterres de formuler des recommandations stratégiques sur les options possibles pour un soutien de l’ONU à Haïti. Dans sa réponse du 24 février 2025, le Secrétaire général a conclu que la transformation immédiate de la MSS en mission de maintien de la paix n’était pas envisageable, mais pourrait être étudiée ultérieurement, à condition que le contrôle des gangs soit significativement réduit.

Pour y parvenir, il propose une stratégie en deux volets : d’une part, l’établissement d’un Bureau de soutien des Nations unies financé par le budget du maintien de la paix, qui fournirait une assistance logistique et opérationnelle à la MSS (hébergement, alimentation, transport, soins médicaux, surveillance aérienne, etc.) ; d’autre part, un renforcement du BINUH, notamment pour soutenir la démobilisation des enfants-soldats, aider les autorités haïtiennes à gérer les détenus à haut risque et superviser l’application des sanctions onusiennes, en particulier l’embargo sur les armes.

En parallèle, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a insisté sur l’urgence d’une meilleure mise en œuvre des sanctions internationales. « Les armes qui affluent en Haïti finissent trop souvent entre les mains des gangs criminels », a-t-il dénoncé le 7 janvier, appelant les États membres à intensifier leurs efforts pour empêcher l’approvisionnement en armes et en munitions.

Alors que les membres du Conseil de sécurité s’apprêtent à examiner ces recommandations en mars, les divergences persistent quant à la meilleure manière d’apporter un soutien efficace à Haïti. Si les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont exprimé leur volonté d’envisager une transition vers une mission de maintien de la paix, la Russie et la Chine continuent d’y opposer leur veto, réitérant leurs doutes sur la capacité de l’ONU à stabiliser le pays. Dans ce contexte, le Conseil pourrait opter pour une résolution qui mette en œuvre les recommandations du Secrétaire général sans franchir immédiatement le pas d’une mission onusienne élargie.

En attendant le débat à venir, la situation en Haïti continue de se détériorer, avec une population toujours plus exposée à la violence et une communauté internationale divisée sur les moyens d’y remédier.