Haïti/Crise : “Entre effondrement institutionnel et nécessité d’un sursaut national”, selon Me Sonet Saint-Louis…

Sonet Saint-Louis, Avocat

LA GONÂVE, mercredi 26 mars 2025Selon Me Sonet Saint-Louis, Haïti vit l’une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine. Loin d’être une simple crise passagère, la situation actuelle révèle une déliquescence totale des institutions, où l’État semble avoir perdu tout contrôle face à la montée en puissance des gangs armés. Cette défaillance systémique, qui touche aussi bien la sécurité publique que l’économie, l’éducation, la justice et la religion, exige une réponse radicale et immédiate. Dans cette analyse percutante, Me Sonet Saint-Louis dresse un état des lieux alarmant et propose une alternative audacieuse pour sauver ce qui reste de la nation haïtienne.

L’un des signes les plus manifestes de cet effondrement est la mainmise des gangs sur plus de trente commissariats du pays. « Si même ces espaces sacrés de la souveraineté nationale sont tombés sous l’emprise des gangs, à quoi pouvons-nous nous attendre dans un pays où l’autorité n’a plus de pouvoir ? », s’interroge-t-il. Ce constat va bien au-delà d’un simple problème sécuritaire : il s’agit d’une menace existentielle pour Haïti en tant qu’État. L’administration publique est à l’agonie, incapable d’assurer ne serait-ce que les services de base. Dans ce contexte de chaos, la population se retrouve livrée à elle-même, confrontée à une violence omniprésente qui empêche toute activité économique et sociale normale.

L’économie haïtienne, déjà fragile, est aujourd’hui quasiment à l’arrêt. « Il n’y a plus de commerce ni d’industrie », déplore Me Sonet Saint-Louis. Les entreprises ferment leurs portes les unes après les autres, incapables de fonctionner dans un climat d’insécurité totale. L’enseignement supérieur est paralysé : les facultés de droit, de médecine, de sciences et l’École Normale Supérieure ne peuvent plus assurer leur mission de formation. Ce sont les futures générations qui en pâtissent, plongeant davantage le pays dans une spirale de sous-développement et de dépendance.

Même l’Église, longtemps perçue comme un refuge moral et spirituel, n’est pas épargnée. « Les plus grandes églises protestantes, telles que l’Église Méthodiste et l’Église Baptiste des Cités, sont frappées par cette même spirale de destruction », souligne Me Sonet Saint-Louis. Du côté de l’Église catholique, la situation est tout aussi préoccupante, les lieux de culte étant devenus la cible de violences et de pillages. Face à cette réalité, une question essentielle se pose : quel rôle l’Église joue-t-elle aujourd’hui dans cette crise ?

Me Sonet Saint-Louis n’épargne pas les responsables religieux, qu’il accuse de complicité passive face au déclin moral du pays. « L’Église perd sa crédibilité lorsque la vérité qu’elle diffuse devient sélective », affirme-t-il, critiquant l’attitude de certains chefs religieux qui préfèrent protéger leurs propres intérêts plutôt que de dénoncer les injustices. Il appelle à un sursaut moral et spirituel : « Luttons pour un réveil éthique. Ce n’est qu’en nous éveillant à cette vérité que les missionnaires, pasteurs, évêques et prêtres ressentiront pleinement la puissance divine. » Selon lui, seule une révolution éthique et morale pourra remettre Haïti sur la voie de la rédemption.

Mais cette révolution doit également être politique et intellectuelle. La crise actuelle est le résultat direct de décennies d’irresponsabilité et de corruption au sein des élites haïtiennes. « Les jeunes qui volent, violent, tuent et brûlent la République ont fréquenté nos écoles, ont grandi dans nos églises », rappelle Me Sonet Saint-Louis. Il rejette l’idée selon laquelle la criminalité serait uniquement l’œuvre des couches défavorisées, insistant sur le fait que ce sont avant tout les élites qui ont sapé les bases du vivre-ensemble en Haïti. En accaparant les richesses et en détruisant l’État, elles ont privé la jeunesse de toute perspective d’avenir, favorisant ainsi l’émergence de la violence comme mode d’expression.

Cette situation est d’autant plus inquiétante que le gouvernement en place semble totalement dépassé, voire complice du chaos ambiant. Me Sonet Saint-Louis est particulièrement critique envers le Conseil présidentiel de transition (CPT), qu’il qualifie d’échec total. Il réclame son départ immédiat et propose une solution audacieuse : transférer le pouvoir à la Cour de cassation. « Ce n’est ni une solution légale ni constitutionnelle, mais une solution politique et institutionnelle, dans le cadre de la recherche de la neutralité du processus électoral à venir », précise-t-il.

Cette proposition s’appuie sur des précédents historiques. Il rappelle que certaines des rares transitions réussies en Haïti ont été dirigées par des juges de la Cour de cassation, notamment Ertha Pascal Trouillot (1990-1991) et Boniface Alexandre (2004-2006). Ces expériences ont prouvé qu’un pouvoir transitoire dirigé par une institution judiciaire, loin des influences partisanes et des calculs politiciens, pouvait garantir une relative stabilité.

Me Sonet Saint-Louis ne se fait toutefois aucune illusion sur l’état actuel de la Cour de cassation et de la justice haïtienne en général. Il admet que cette institution n’a pas toujours été à la hauteur de sa mission, mais insiste sur le fait que la responsabilité de cette situation incombe avant tout aux gouvernants, qui ont constamment manipulé la justice pour servir leurs propres intérêts. « Dire que certains juges ont été mal nommés à cette institution, c’est remettre en question toutes les décisions rendues par celle-ci », fait-il remarquer, soulignant ainsi l’ampleur du problème.

En définitive, Me Sonet Saint-Louis en appelle à la conscience citoyenne. Il exhorte les Haïtiens à se mobiliser pour construire une alternative politique crédible et viable. « Lorsqu’il s’agit d’Haïti ou de questions publiques, chacun est légitime pour en parler, même si peu sont compétents pour les débattre », affirme-t-il, insistant sur l’importance de l’engagement collectif dans ce moment critique de l’histoire du pays.

Le temps n’est plus à la passivité ni aux solutions tièdes. Pour Me Sonet Saint-Louis, il faut oser prendre un dernier risque pour Haïti, un risque qui implique de rompre définitivement avec l’impunité, la corruption et la médiocrité qui gangrènent la société haïtienne. La survie de la nation en dépend.