Éditorial,
PORT-AU-PRINCE, dimanche 3 novembre 2024 – Le terrorisme est généralement défini comme l’usage systématique de la violence et de la terreur pour atteindre des objectifs politiques, souvent par le biais de méthodes visant à intimider une population ou à déstabiliser un gouvernement. Les organisations terroristes ciblent fréquemment des civils, menacent des institutions ou des représentants de l’État, et perturbent la stabilité sociale afin d’imposer leur influence ou leur idéologie. Dans ce contexte, Viv Ansanm, dirigée par Jimmy Cherizier, alias “Barbecue,” émerge comme une structure dont les méthodes présentent des similitudes troublantes avec celles des organisations terroristes.
Initialement perçue comme une simple coalition de gangs armés, Viv Ansanm a évolué pour devenir une entité organisée qui utilise des tactiques de terreur pour atteindre des objectifs politiques et sociaux. Ce groupe ne se contente pas de commettre des actes criminels pour des gains financiers ; il cherche également à contrôler des zones stratégiques de Port-au-Prince, perturbant ainsi le fonctionnement de l’État et des institutions civiles. Les membres de Viv Ansanm recourent à une violence systématique pour établir leur autorité, utilisant menaces, exécutions publiques, et prise de contrôle de quartiers entiers, au détriment de la sécurité des civils.
Ces derniers temps, l’une des cibles privilégiées de cette organisation est la presse, essentielle à la transparence et à l’information publique. Selon des rapports des Nations Unies et des organisations de défense des droits humains, Viv Ansanm menace les journalistes pour dissuader toute couverture médiatique susceptible d’exposer leurs activités et d’affaiblir leur emprise sur les territoires qu’ils contrôlent. Les intimidations se manifestent non seulement par des menaces verbales, mais aussi par le harcèlement, des agressions physiques et, dans certains cas, des assassinats de journalistes qui osent rapporter des informations sur leurs agissements. Cette répression s’accompagne d’entraves aux déplacements en Haïti, les routes et zones contrôlées par Viv Ansanm étant souvent dangereuses, voire inaccessibles pour les journalistes. Ainsi, le contrôle de l’information devient un moyen de maintenir leur pouvoir et de limiter la visibilité de leurs crimes. En entravant la liberté de circulation des journalistes et en menaçant leur vie, Viv Ansanm distord la perception publique et impose une “loi du silence” qui renforce leur contrôle sur les populations locales.
En février 2024, une vague de violence sans précédent a déferlé sur Haïti, avec des attaques coordonnées ciblant des infrastructures publiques essentielles, notamment le Palais National, des hôpitaux, des prisons civiles, des écoles, et des commissariats de police. Ces assauts ont été menés par des membres de l’organisation Viv Ansanm, dirigée par Jimmy Cherizier, alias “Barbecue”, et regroupant plusieurs gangs armés. Les conséquences de ces attaques ont été dévastatrices pour la population haïtienne : de nombreux bâtiments ont été détruits et incendiés, des équipements médicaux essentiels ont été perdus, et les services de base, déjà précaires, se sont encore plus dégradés, plongeant des millions de citoyens dans une situation de vulnérabilité extrême. Selon les experts des Nations Unies, cette stratégie s’inscrit dans une dynamique de terreur délibérée visant à affaiblir l’autorité de l’État en privant les citoyens de services publics indispensables et en exerçant un contrôle étroit sur certaines zones stratégiques.
En parallèle, des biens privés ont été pillés, brûlés, et des communautés entières ont été traumatisées par des exactions généralisées. Des viols collectifs, visant des femmes et des jeunes filles, ont été perpétrés, semant la terreur dans les quartiers vulnérables. Les rapports des Nations Unies indiquent que ces violences sexuelles sont souvent utilisées par les gangs comme moyen de contrôle et d’humiliation collective, et font partie d’une stratégie plus vaste d’intimidation de la population civile. Par ailleurs, les membres de Viv Ansanm n’ont pas hésité à publier des vidéos et des déclarations sur les réseaux sociaux pour revendiquer ces atrocités, affirmant ouvertement leur responsabilité dans l’assassinat de plusieurs policiers, dont certains ont été horriblement mutilés. Cette violence ciblée contre les forces de l’ordre a pour but de décourager toute tentative de rétablissement de la sécurité dans les zones dominées par les gangs.
Viv Ansanm pratique également le kidnapping de manière intensive, établissant un climat de peur constant et insoutenable pour la population haïtienne. Les routes nationales, essentielles à l’économie et à la circulation des personnes, sont fréquemment bloquées par des barrages, où les gangs extorquent des péages forcés à ceux qui tentent de les emprunter. Ces postes de péage illégaux constituent une source de financement substantielle pour Viv Ansanm et renforcent leur emprise territoriale. Le groupe d’experts des Nations Unies ayant enquêté sur la criminalité en Haïti confirme que les gangs armés, particulièrement ceux de Viv Ansanm, mettent en place une “économie de la terreur” basée sur l’extorsion, la contrebande, et le contrôle des accès stratégiques. Cette emprise croissante sur les infrastructures routières et économiques menace non seulement la stabilité immédiate du pays mais aussi son développement à long terme, au détriment des droits fondamentaux et de la sécurité des citoyens haïtiens.
À l’instar des organisations terroristes, Viv Ansanm utilise la peur pour contrôler non seulement les citoyens ordinaires, mais aussi les structures économiques et politiques de la région. Les exactions commises par ce groupe entraînent des déplacements massifs de populations, perturbent l’économie locale, et sapent la confiance dans les institutions haïtiennes. Cette stratégie de terreur vise à instaurer une instabilité permanente qui pourrait, à long terme, affaiblir les fondements de l’État et donner à Viv Ansanm un contrôle quasi-total sur certaines régions d’Haïti. Par conséquent, au regard de ses actions et de son impact sur la société, Viv Ansanm peut être considérée non pas comme une simple coalition de gangs, mais comme une organisation terroriste cherchant à semer la terreur pour atteindre des fins politiques et sociales spécifiques.
A date, Viv Ansanm, n’a que peu de limites dans sa quête de domination par la terreur en Haïti. Si les détournements d’avion et les attentats à la voiture piégée ne font pas encore partie de leur registre, les membres de Viv Ansanm ont déjà ciblé des avions sur la piste de l’aéroport Toussaint Louverture, tirant directement sur des appareils pour intimider les autorités et semer la panique parmi les passagers. Ces actions montrent leur volonté d’étendre leur influence jusqu’aux infrastructures les plus sensibles du pays, accentuant leur emprise sur le territoire et les activités cruciales pour la survie de la nation.
Viv Ansanm a également pris en otage des autobus remplis de passagers, une tactique qui illustre l’ampleur de leur contrôle sur les principales voies de transport. En s’attaquant aux transports publics, le groupe gangrène encore davantage le quotidien des citoyens, obligeant les familles à vivre dans la peur constante des enlèvements et des extorsions-des méthodes généralement par les terroristes.
Les appels de Sheila Cherfilus McCormick, députée américaine d’origine haïtienne, à inscrire Viv Ansanm sur la liste des organisations terroristes internationales témoignent de la gravité de la situation en Haïti. Son insistance sur la nécessité de désigner Viv Ansanm comme organisation terroriste n’a cependant pas trouvé d’écho auprès de l’administration Biden. Bien que cette administration ait classé le groupe Fantom 509 comme une organisation terroriste, Viv Ansanm n’a pas encore bénéficié d’une telle désignation, malgré son impact dévastateur sur la société haïtienne et les preuves de ses activités violentes et systématiques.
La désignation d’une organisation comme entité terroriste implique souvent des critères précis liés aux objectifs politiques et aux méthodes employées. Les États-Unis considèrent généralement les groupes comme terroristes s’ils représentent une menace directe pour leurs intérêts nationaux ou s’ils s’engagent dans des actes de violence pour déstabiliser un État en vue d’atteindre des fins politiques ou idéologiques. Viv Ansanm, sous la direction de Jimmy Cherizier, répond à plusieurs de ces critères : ses membres organisent des actes de terreur coordonnés, visent délibérément les civils et les journalistes, et cherchent à saper l’autorité de l’État en contrôlant des quartiers entiers de Port-au-Prince. Les actes de terreur de Viv Ansanm, notamment les exécutions, les déplacements massifs de populations, et les entraves à la circulation de l’information, contribuent à un climat de peur et d’instabilité dans le pays.
Malgré ces éléments, la décision de désigner Viv Ansanm comme organisation terroriste demeure délicate pour l’administration Biden et le gouvernement haïtien. Ce dernier hésite à adopter une telle qualification, en raison des conséquences diplomatiques et opérationnelles qu’elle entraînerait. Qualifier Viv Ansanm d’organisation terroriste impliquerait de déployer des méthodes et des ressources anti-terroristes, engendrant potentiellement une coopération internationale, voire une intervention étrangère, ce qui pourrait être perçu comme une atteinte à la souveraineté nationale haïtienne.
La question du niveau de terreur que Viv Ansanm doit atteindre pour mériter une telle désignation est complexe. Les actions de Viv Ansanm, qui incluent l’intimidation des journalistes et l’interdiction de leurs déplacements, constituent une tentative d’étouffer la liberté d’expression et de contrôler la diffusion de l’information. Ce contrôle est une caractéristique courante des organisations terroristes, qui cherchent à renforcer leur pouvoir en empêchant toute critique ou diffusion de la vérité. En continuant à harceler et à intimider les journalistes, Viv Ansanm démontre sa volonté de maîtriser non seulement le territoire physique, mais aussi l’espace informationnel, consolidant ainsi son emprise sur les communautés locales et sapant davantage l’autorité de l’État.
Dans ce contexte, la reconnaissance de Viv Ansanm en tant qu’organisation terroriste pourrait permettre l’application de mesures plus sévères, telles que des sanctions internationales ciblées et l’assistance d’unités de lutte anti-terroriste. Cela impliquerait une reconnaissance officielle du danger que représente cette organisation non seulement pour Haïti, mais potentiellement pour la stabilité de la région. Pour l’instant, malgré les appels de responsables comme Sheila Cherfilus McCormick, l’administration américaine et le gouvernement haïtien doivent encore évaluer l’impact de cette décision et déterminer si les activités de Viv Ansanm justifient une réponse anti-terroriste internationale.
Le cas de Viv Ansanm illustre un paradoxe inquiétant dans la gestion de la crise sécuritaire en Haïti, où les sanctions internationales et les avis de recherche, même émis par des agences comme le FBI, semblent insuffisants pour perturber la confiance ou les activités des membres de cette organisation. Bien que plusieurs dirigeants de Viv Ansanm fassent l’objet de sanctions ciblées et que le FBI ait promis des récompenses pour des informations menant à leur arrestation, ces mesures semblent avoir peu d’effet dissuasif. Au contraire, certains membres continuent d’agir publiquement, n’hésitant pas à se vanter sur les réseaux sociaux de leurs interactions avec des acteurs diplomatiques étrangers ou des responsables de sécurité. Par exemple, certains se félicitent d’avoir été reçus dans une ambassade ou d’avoir aidé les autorités américaines à retrouver les corps d’un couple de ressortissants américains tués en Haïti, projetant ainsi une image d’impunité et de légitimité aux yeux du public haïtien et international.
Ce paradoxe révèle une hypocrisie troublante de part et d’autre. D’un côté, les sanctions et avis de recherche internationaux tentent de donner l’impression d’une action ferme contre ces chefs de gangs, mais ces mesures restent essentiellement symboliques lorsqu’elles ne sont pas suivies de résultats concrets. Les membres de Viv Ansanm semblent peu affectés dans leurs opérations quotidiennes et se moquent ouvertement de ces tentatives de répression sur leurs plateformes en ligne, exhibant leurs liens avec des institutions américaines ou étrangères, ce qui érode davantage la confiance du public dans la justice et la sécurité.
De l’autre côté, la communauté internationale, notamment les États-Unis, se trouve dans une position ambiguë, critiquée pour son manque de cohérence. Les interactions, même indirectes, entre des membres de Viv Ansanm et certaines institutions étrangères, y compris le soutien logistique apporté dans des situations de crise impliquant des citoyens américains, soulèvent des questions sur la transparence et la sincérité des engagements pris pour restaurer la sécurité en Haïti. En tolérant ou en entretenant certaines interactions avec des membres de groupes sanctionnés, les autorités étrangères semblent implicitement reconnaître leur influence, ce qui affaiblit l’impact des sanctions et nourrit une perception d’hypocrisie.
Au final, cette situation complexe souligne le besoin d’une stratégie plus cohérente et rigoureuse. En l’absence d’actions tangibles pour restreindre l’influence de ces groupes, les sanctions et les avis de recherche ne font que renforcer l’image de puissance et d’impunité des membres de Viv Ansanm. Le terrorisme, sous toutes ses formes, nécessite une réponse unifiée et déterminée qui va au-delà des gestes symboliques. Il est impératif que la communauté internationale prenne des mesures concrètes pour éradiquer cette menace et rétablir l’autorité de l’État en Haïti, tout en veillant à ce que la voix des victimes et des citoyens soit entendue dans ce processus.