Par Ronald Sanders,
Antigua & Barbuda, 6 mai 2021- L’Organisation des États américains (OEA) peut être en désaccord sur la façon de réagir à la crise politique et constitutionnelle en cours en Haïti.
Depuis janvier 2020, le président haïtien, Jovenel Moïse, a dirigé le pays par décret sans aucun contrôle législatif. Les mandats des membres du parlement haïtien, à l’exception de dix d’entre eux, ont été résiliés parce que les élections n’ont pas eu lieu.
La tension croissante dans le pays, y compris le recours à la force meurtrière par la police contre les manifestants, les enlèvements et les meurtres généralisés, le viol de femmes et la décision arbitraire de Jovenel Moïse d’organiser un référendum controversé sur une nouvelle constitution, ainsi que des conflits politiques accrus, a amené les États membres concernés de l’OEA, dont neuf pays de la CARICOM, à parrainer une résolution au Conseil permanent de l’organisation pour traiter la situation de toute urgence.
Plus précisément, la résolution, adoptée le 17 mars, offrait « les bons offices de l’OEA sous l’autorité du Conseil permanent pour faciliter un dialogue menant à des élections libres et équitables ». Il a demandé au secrétaire général, Luis Almagro, « d’informer le gouvernement et les autres parties prenantes majeures en Haïti de l’offre du Conseil permanent d’assumer un rôle de bons offices et d’inviter le président d’Haïti à envisager d’inviter le Conseil permanent à le faire » .
On ne sait pas si Almagro a écrit ou non au président haïtien et aux « autres principales parties prenantes ». Certes, aucun grand parti politique ou groupe de défense des droits de l’homme en Haïti n’a confirmé avoir reçu de communication de sa part. Il y a également eu un silence de sa part sur deux demandes officielles, demandant des détails sur les parties prenantes à qui il aurait pu écrire et à quel moment. Il n’y a pas besoin de cela – une réponse directe suffit.
Cette affaire sera embourbée dans la controverse, car si l’incertitude prévaut sur la question de savoir si le secrétaire général a écrit ou non au président et à d’autres acteurs majeurs en Haïti, une lettre datée du 28 avril lui a été envoyée par Claude Joseph en sa qualité de ministre des affaires étrangères. La lettre est significative.
Premièrement, il ne fait référence à aucune communication reçue d’Almagro. Au lieu de cela, il fait référence à la résolution du Conseil permanent du 17 mars comme base de rédaction. Deuxièmement, il déclare que « le gouvernement de la République d’Haïti est disposé à recevoir une mission de l’OEA à l’appui du dialogue en cours avec toutes les parties prenantes de la nation en vue de conclure un accord politique qui facilitera l’organisation du référendum constitutionnel et des élections à tous les niveaux au cours de 2021 ».
Sur le deuxième point, la résolution de l’OEA du 17 mars n’a pas offert ses bons offices « pour faciliter l’organisation du référendum constitutionnel ». Le référendum proposé est entièrement du fait du président Moïse et est embourbé dans des allégations d’inconstitutionnalité. La très respectée membre du Congrès américain, Maxine Waters, le décrit comme «la prise de pouvoir la plus audacieuse et la plus dangereuse de Moïse ». Les experts juridiques à l’intérieur et à l’extérieur d’Haïti ont estimé que la Constitution existante interdit spécifiquement les référendums pour décider des changements constitutionnels parce qu’un ancien dictateur, Jean Claude « Baby Doc» Duvalier, avait utilisé cet artifice pour se proclamer président à vie.
Par conséquent, si l’OEA admet que la facilitation du référendum est une condition de son rôle de bons offices, son objectif et sa crédibilité sont compromis avant même qu’il ne commence. Aucune partie prenante ne participerait à un dialogue où l’organisation d’un référendum constitutionnel est une condition.
Il est important de rappeler que, motivée par la détérioration rapide de la situation démocratique et des droits de l’homme en Haïti, l’offre de bons offices par la résolution du Conseil permanent visait « à faciliter un dialogue menant à des élections libres et équitables ». Nulle part la résolution n’a tenté de suggérer que le rôle de l’OEA consisterait à faciliter l’organisation d’un référendum pour modifier la constitution.
Particulièrement significatif est que le 26 avril, deux jours avant que Claude Joseph envoie sa lettre à Almagro, 68 membres du Congrès américain ont écrit au secrétaire d’État, Antony Blinken, soulignant que Joseph Moïse « manquait de crédibilité et de légitimité pour superviser un référendum constitutionnel prévu pour Juin 2021, ou pour administrer des élections libres et équitables ».
Cette position d’un si grand nombre de membres du Congrès américain, dirigée par Gregory W. Meeks, président de la commission des affaires étrangères de la Chambre, est une évolution remarquable. Cela montre que d’importants législateurs américains sont profondément préoccupés par ce qu’ils décrivent comme « le manque de préparation des institutions électorales à organiser des élections, ainsi que la composition inconstitutionnelle du conseil électoral en vigueur ». Contrairement à la loi, M. Moïse a sélectionné les membres du Conseil.
Il convient de noter en particulier que les 68 membres du Congrès américain ont exhorté le secrétaire Blinken à utiliser le vote américain au sein de l’OEA « pour garantir que les dollars des contribuables américains ne soient pas dépensés pour soutenir ce référendum ».
L’année dernière, l’OEA et la CARICOM ont demandé des comptes à toutes les parties au Guyana pour obtenir un résultat crédible aux élections générales du 2 mars. Il a fallu cinq mois de l’attention active et de la diligence de la CARICOM, du Commonwealth, de l’Union européenne et de L’OEA doit veiller à ce que la démocratie et l’état de droit soient respectés au Guyana et que les élections générales et régionales ne soient pas volées par le gouvernement en place.
Ce qui se passe actuellement en Haïti n’est pas moins flagrant que ce à quoi on a résisté en Guyane en 2020 et est maintenant condamné dans d’autres États membres de l’OEA – et même dans des pays en dehors de celle-ci.
L’OEA doit agir dans l’intérêt d’Haïti et du peuple haïtien pour faire respecter leurs droits à la gouvernance démocratique, aux droits de l’homme et aux opportunités de développement économique. Les chartes régissant l’OEA le mandatent.