‘‘Un pôle de défense et de sécurité pour sortir de l’impasse’’ : une proposition de Guichard Doré, ex-conseiller de Jovenel Moïse…

Des militaires des Forces Armees d'Haiti (FAd'H)...

PORT-AU-PRINCE, dimanche 18 février 2024– À la sortie de la guerre froide, le sous- continent latino-américain et caribéen a été marqué par de grandes mutations sociétales et géopolitiques sur fond de réforme démocratique. Les armées de la sous-région, suite aux réformes courageuses conduites par les démocrates ayant accédé au pouvoir dans la décennie 1990, ont tourné définitivement le dos aux coups d’État et à la dictature militaire. Les institutions militaires et les services de renseignement de la sous-région ont été modernisés et placés sous l’autorité du pouvoir civil. Après la signature de la charte démocratique de Santiago au Chili en 1990, de programmes inspirés des pays ayant de longue tradition de stabilité et de démocratie ont contribué à changer les relations civils-militaires en Amérique latine et faire émerger de nouveaux paradigmes pour les forces de défense et de sécurité. Les programmes de formation des militaires et des agents de renseignement accordaient une place au respect des droits de l’homme et à la protection des institutions démocratiques.

Passage d’une armée de conscription à une armée de métier

À l’aide des réformes entreprises, les pays latino-américains ont passé d’une armée de conscription à une armée de métier. Le service militaire a été supprimé dans la plupart des pays. Le poids de l’armée sur la société latino-américaine s’amenuise. Les services de renseignement sont plus performants dans leurs missions de protection des libertés individuelles. Les armées ne font plus de coup d’État. Elles se cantonnent dans leurs missions qui sont celles d’assurer la protection du territoire, de la population et des intérêts vitaux de la nation. Elles n’interviennent et n’arbitrent plus le jeu politique. Elles ne remplissent plus les missions de sécurité intérieure sauf sur demande expresse du pouvoir civil. Depuis le retour à la démocratie en Amérique latine, l’un des cas emblématiques de support de l’armée à la sécurité intérieure est l’intervention des Forças Armadas Brasileiras dans les favelas de Rio en 2018 pour lever les barrages érigés par les narcotrafiquants lourdement armés. À l’exception de cas de force majeure, les armées latino-américaines ne remplissent pas les missions de sécurité intérieure. La gestion de la sécurité intérieure est confiée à la police. L’armée garantit la sécurité des frontières et protège les institutions et les sites stratégiques.

L’armée haïtienne à contre-courant de l’histoire

Au moment où la modernisation des armées et des services de renseignements était entamée en Amérique latine, l’Armée d’Haïti se mettait à contre-courant de l’histoire militaire du sous-continent. Elle regardait ailleurs et s’enfonçait dans la vieille doctrine de sécurité nationale de l’endiguement du communisme alors qu’on changeait de paradigme et d’époque. Elle n’a pas vu et n’a pas eu l’intelligence nécessaire pour faire une lecture éclairée des réformes en cours dans la sous-région. Elle s’était empêtrée dans un environnement interne explosif marqué par le coup d’État de 1991 à 1994 qui a causé d’énormes préjudices à la société haïtienne. Faisant preuve de manque de leadership et de vision, le haut commandement des Forces Armées d’Haïti (FADH) et les autorités politiques de l’époque n’ont pas su capter les signaux de réformes engagées dans la sous-région en vue de moderniser l’institution militaire et la fixer définitivement dans ses missions constitutionnelles et légales. Les conflits de personnes et l’esprit revanchard nourris par les uns et les autres ont abouti à la démobilisation des FADH qui est une catastrophe sur le plan stratégique et suicidaire sur le plan politique. La cohésion nationale a pris un coup dur et la population paie un lourd tribut suite au démantèlement de l’institution militaire.

Cet acte politique et administratif a créé un vide majeur dans le système national de défense et de sécurité. En deux décennies, Haïti a fait plusieurs commandes publiques internationales de sécurité. L’État perd le contrôle et la surveillance du territoire. Les bandes armées se multiplient. L’économie nationale, les familles et l’Etat sont les victimes directes de la disparition de l’armée dans le paysage institutionnel du pays.

Le réveil national sur une question majeure

Voyant les problèmes majeurs de sécurité auxquels se trouve confronté le pays avec la démobilisation de l’Armée d’Haïti, le Président Jovenel Moïse a remobilisé l’institution militaire le 18 novembre 2017. C’est acte de courage politique est l’action d’un homme d’Etat mais, elle est aussi l’expression d’un réveil national sur une question majeure de sécurité nationale. C’est un fait indéniable, aujourd’hui le pays dispose d’une armée, même si elle est embryonnaire. Donc, il y a nécessité de renforcer l’institution militaire, de définir et de mettre en place des règles claires pour assurer l’encadrement institutionnel de l’armée et son développement harmonieux. Ces mesures devant permettre aux FADH de s’acquitter des missions constitutionnelles et légales qui leur sont dévolues. Pour y arriver, il est dans l’intérêt de l’État et de la Nation de prendre les dispositions qui s’imposent.

En 2015, le gouvernement a créé le Ministère de la Défense. Il a placé la nouvelle armée sous la tutelle administrative dudit ministère sans prendre les mesures pour moderniser le corpus règlementaire de l’armée datant de 1987. La création du Ministère de la Défense est un pas dans la bonne direction. Ce dernier a pour mission de formuler et d’exécuter la politique du Gouvernement dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale. En tant qu’organe central chargé de la régulation et du contrôle des actions relevant du domaine de la défense et de la sécurité nationale, le ministère doit prendre les mesures à la hauteur des enjeux historiques de la nation. Aujourd’hui, dans une perspective de sécurité et de protection des intérêts vitaux de la nation, il est important de :

 

1- Prendre les disposition pour doter réellement l’État d’un pôle technique en matière de défense et de sécurité nationale, tout en constituant un Haut État-Major pour répondre aux exigences de rationalisation de l’organisation de la défense et de la sécurité nationale et se conformer aux principes modernes d’administration et de gestion de l’armée.

 

2- Réviser l’organisation et le fonctionnement du Ministère de la Défense pour le doter d’un cadre organique approprié permettant de garantir et de préserver l’indépendance nationale, l’intégrité et l’unité du territoire de la République, et de tenir compte des mutations effectuées à l’échelle internationale, régionale, sous régionale et nationale sur les plan social, politique, économique, culturel et sanitaire.

 

3- Avoir réellement une structure centrale pour mettre en œuvre la politique de défense et de sécurité nationale dans le but de maintenir la souveraineté nationale, la sécurité et l’intégrité territoriale, de sauvegarder des intérêts du développement national et de protéger les droits et intérêts de la population.

 

4- Disposer des voies et moyens adéquats et adaptés pour assurer la défense du territoire national en tout temps, contre toutes menaces et agressions internes et externes.

 

5- Elaborer les politiques et les stratégies nationales de sécurité.

 

6- Elaborer la politique nationale de sécurité civile et rattacher administrativement la Protection Civile au Ministère de la Défense.

 

7- Elaborer et faire adopter par l’autorité compétente la loi de programmation militaire.

 

8- Elaborer et faire adopter par l’autorité compétente la nouvelle doctrine des Forces Armées d’Haïti (FADH).

 

9- Elaborer et faire adopter par l’autorité compétente les nouveaux règlements généraux des Forces Armées d’Haïti.

 

10- Renforcer l’institution militaire et augmenter ses effectifs afin qu’elle puisse servir la population et contribuer au développement du pays.

 

11- Rajeunir l’État-Major, le connecter aux enjeux du temps et de modernisation de l’armée afin qu’il puisse s’assurer de la structuration et de l’organisation technico-opérationnelle des Forces Armées d’Haïti, aussi bien que de l’adoption de mesures concernant l’emploi des personnels militaires et civils.

 

12- Entreprendre des démarches diplomatiques formelles auprès du Congres américains pour lever les restrictions sur la vente de matériels militaires à Haïti et renouer la coopération militaire avec les États-Unis d’Amérique.

 

13- Créer et rattacher au Ministère de la Défense l’Institut National d’Intelligence Economique.

 

14- Créer l’Institut National d’Études Stratégiques et de Défense dont la mission est de remplir la fonction de laboratoire d’idées en s’appuyant sur l’expertise et le savoir-faire des responsables civils et militaires en facilitant les échanges et la concertation entre les experts afin de contribuer à l’élaboration des stratégies de défense et à la valorisation de la pensée stratégique et des recherches qui en découlent.

 

15- Sensibiliser, faire prendre conscience et stimuler l’esprit de défense, participer au renforcement de la cohésion nationale et soutenir le développement d’une pensée stratégique relative aux enjeux de défense et de sécurité nationale.

 

16- Organiser des échanges et des débats portant sur les enjeux globaux, les questions stratégiques et les thématiques de défense et de sécurité au regard de l’actualité nationale, régionale ou internationale.

 

17- Assurer, par la formation, le développement de l’esprit de défense globale chez les hauts fonctionnaires et cadres supérieurs de l’État.

 

18- Affiner, par des programmes de formation, la compréhension des enjeux de défense et de sécurité nationale et faciliter le développement d’une réflexion stratégique relative aux enjeux complexes (désastres naturelles, réchauffement climatique, terrorisme, etc.).

 

19- Décloisonner les champs du savoir en faisant travailler ensemble des spécialistes venant d’horizons intellectuels différents afin de faciliter le dialogue stratégique, les porter à réfléchir et à faire la lumière sur les enjeux économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux qui sont susceptibles d’avoir des impacts sur la défense et la sécurité nationale.

 

20- Rendre opérationnel le Conseil National de Sécurité et de Défense, placé auprès du Chef de l’État, dont la mission est de définir, planifier et formuler la politique et les stratégies de l’État en matière de sécurité, de défense et du renseignement.

 

21- Rendre opérationnelle l’Agence Nationale d’Intelligence chargée de mettre en œuvre la politique de l’Etat en matière de renseignement et de contre-renseignement.

 

22- Rendre fonctionnelles l’académie militaire et l’académie du renseignement afin que le pays puisse avoir de jeunes officiers et de professionnels de renseignement permettant à la nation de mieux appréhender les menaces et de faire face aux problèmes de sécurité globale.

 

Guichard Doré

Fondation Nationale pour la Démocratie et les Etudes Stratégiques