Relations Dominico-Haïtiennes : Un appel à la coopération et à la solidarité…

Edwin Paraison, ancien Ministre et dirigeant de la Fondasyon Zile...

SAINT-DOMINGUE, vendredi 4 octobre 2024– Les relations entre la République Dominicaine et Haïti traversent à nouveau un moment d’inquiétudes, évoquant des échos du passé conflictuel du XIXe siècle, marqué par la construction des États-nations des deux pays. Cependant, la réalité actuelle est différente. L’interdépendance entre les deux nations, en particulier dans la zone frontalière, a été clairement démontrée lors du récent différend concernant la construction d’un canal d’irrigation à Ouanaminthe, en Haïti. Ce constat nous pousse vers une politique de bon voisinage, de coopération et de solidarité.

Désinformation et une rhétorique qui divise

Il est regrettable que, malgré cette réalité, certaines voix dans les médias et sur les réseaux sociaux continuent de promouvoir l’inimitie    entre les deux peuples. Ces acteurs cherchent à influencer non seulement les politiques publiques, mais aussi à inciter des citoyens communs à intervenir dans des domaines sensibles tels que la gestion migratoire, un champ qui appartient exclusivement aux autorités et qui doit être géré conformément à la loi, sans ambiguïtés.

Contexte de la crise haïtienne

La grave crise que traverse Haïti ne devrait pas être un motif pour rompre la fraternité, la solidarité et la paix sociale que nous devons garantir sur notre île partagée. Les récentes manifestations empreintes d’hostilites des secteurs se réclamant d’un certain nationalisme et la décision de la République Dominicaine de rapatrier jusqu’à 10 000 Haïtiens par semaine suscitent des inquiétudes légitimes de la part des secteurs solidaires des deux pays, ainsi que des préoccupations au niveau international. Cette mesure semble être une réponse au manque d’action de la communauté internationale face aux appels réitérés du gouvernement dominicain à réduire l’impact de la crise haïtienne sur son territoire.

Il est important de noter que la République Dominicaine n’est pas seule dans ses critiques envers l’indifférence internationale. Des figures influentes, comme le Pape François, ont exprimé à plusieurs reprises leurs préoccupations relatives à la situation en Haïti. Plus récemment, le secrétaire général des Nations Unies a également remis en question le manque d’attention portée au cas haïtien, soulignant que de nombreux acteurs internationaux préfèrent financer des conflits plutôt que de consacrer des ressources à la stabilisation d’Haïti.

Considérations Humanitaires

Bien que la frustration dominicaine en rapport à la communauté internationale soit compréhensible, il est difficile de justifier moralement l’expulsion de personnes fuyant la violence en Haïti. La situation actuelle reflète plus de 700 000 déplacés internes, et les récentes attaques du gang “Gran Grif” dans le bas artibonite  ont causé de nombreuses victimes. Les infrastructures d’Haïti sont  gravement détériorées, manquant de capacité pour recevoir un grand nombre de rapatriés de manière efficace, ce qui pourrait aggraver l’instabilité et la souffrance humanitaire.

Défis et Volonté de Changement

Le rapatriement massif en si peu de temps pose des défis humanitaires, juridiques et sociaux. Par conséquent, il est essentiel que ce processus se déroule de manière transparente  tout en garantissant les droits  des personnes concernées. À cet égard, parmi les nouvelles dispositions dominicaines, le “Protocole d’Identification des Migrants Illégaux et leur Retour Assisté”, qui propose une collaboration avec les autorités haïtiennes et des conditions de retour dignes, est une avancée positive. S’il est appliqué correctement, il peut marquer une étape importante pour assurer la coordination et l’assistance consulaire nécessaires, et préserver les droits des rapatriés.

De même, l’accent mis sur la formation continue des inspecteurs en gestion de  crises migratoires et droits humains, ainsi que la lutte contre le trafic de personnes  sont prometteurs  et  conduiront  à  un management professionnel et respectueux de la loi.

Ces dispositions semblent exprimer la volonté dominicaine  de marquer une difference avec les erreurs et faiblesses dans la gestion recente des rapatriements. La contre partie haitienne selon la lettre et l’ esprit de l’ accord de 1999 sur les rapatriements devrait pour sa part  lancer une campagne de sensibilisation particulièrement dans la region frontaliere et les zones pourvoyeuses de migrants afin  de les dissuader a ne pas s’ engager dans les voyages clandestins vers la République Dominicaine.

Coopération Internationale

Compte tenu de la nature transfrontalière du sujet, il est impératif de coordonner les efforts avec des agences onusiennes comme l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les refugies (HCR), qui collaborent déjà avec le gouvernement dominicain, afin d’assurer un processus de rapatriement conforme aux conventions internationales sur la matière et préservant la dignité humaine.

Information et Assistance Juridique

Afin d’ éviter les erreurs du passé  dans les opérations de rapatriements notamment de donner l’ impression de lancer une chasse à l’ homme, Il est essentiel que les personnes concernées reçoivent des informations claires et accessibles sur leurs droits et options juridiques pendant le processus de rapatriement. Les ONG et les fondations peuvent jouer un rôle crucial dans cette tâche, en fournissant une assistance juridique et en facilitant la régularisation de certains cas spécifiques.

Dialogue et Collaboration

Dans le discours public, l’exercice souverain du droit au rapatriement de la République Dominicaine ne doit pas être perçu comme une action politique contre Haïti ou ses ressortissants, car cela pourrait accroître la stigmatisation et le sentiment de rejet vers le peuple voisin et frère dans la société dominicaine.  Le processus doit s’inscrire dans un dialogue continu entre les autorités dominicaines et haïtiennes, la société civile et les organisations communautaires. Ce dialogue est essentiel pour mettre en œuvre efficacement les nouvelles mesures et répondre aux préoccupations réelles des parties concernées.

Impact Économique et Groupes Vulnérables

Depuis plus d’un an la République Dominicaine a unilatéralement fermé ses frontières avec Haïti ce qui a entrainé la suspension de livraison de visas (sauf 131 a des syndicats de chauffeurs de transport de marchandises en faveur de la RD) et par conséquent  des restrictions à la mobilité des personnes pour les activités commerciales, et professionnelles conduisant à la faillite d’ entreprises haitiano dominicaines notamment dans l’ hôtellerie, la restauration et le transport.  Les rapatriements annoncés entraîneront de nouvelles répercussions économiques dans les deux pays, affectant des secteurs comme l’agro-industrie et la construction en République Dominicaine, tout en réduisant les envois de fonds qui soutiennent les couches les plus vulnérables de la population haïtienne.  L’on devrait s’attendre à un éventuel phénomène de boomerang migratoire.

Par ailleurs, Il est crucial d’établir clairement que les Dominicains d’ascendance haïtienne sans papiers et les demandeurs d’asile ne sont pas concernés par ces rapatriements. Aussi, une approche sensible aux groupes vulnérables devra être adoptée, tout en régularisant toute anomalie qui pourrait affecter les personnes appartenant aux catégories suivantes :

Membres de familles mixtes

Retraités du Conseil d’État du Sucre ou autres personnes âgées

Personnes inscrites au PNRE

Personnes en processus de renouvellement de résidence

Étudiants universitaires

Enfants officiellement inscrits pour cette année scolaire (dans des établissements privés ou publics)

Missionnaires et travailleurs religieux

Commerçants, entrepreneurs et chefs d’entreprises ayant des opérations en cours

Professionnels de divers domaines qui ne constituent pas une charge pour l’État dominicain

Travailleurs de l’agro-industrie et ouvriers de la construction liés à une entreprise

Personnes en transit pour des questions migratoires ou consulaires

Conclusion

Une opération de l’ampleur annoncée par le gouvernement dominicain ne peut être exécutée sans un dialogue ouvert et constant avec Haïti, qui doit être prête à recevoir et réintégrer ses citoyens. Dans les circonstances actuelles, la Fondation Zile (FZ) recommande qu’il soit organisé en urgence un dialogue bilatéral à ce sujet afin d’analyser tous les aspects y relatifs. De même, la collaboration des organismes internationaux est essentielle pour assurer d’un côté, un processus respectueux et coordonné. Et de l’autre, contribuer à l’ accueil et  la réinsertion des rapatriés.

La FZ souhaite ardemment que le dialogue bilateral puisse donner lieu a la relance des travaux de la commission mixte (CMB)  pour traiter des questions d’ importance dont la normalisation des échanges entre les deux pays.

En tant que pays avec une importante communauté migrante, la République Dominicaine doit garantir aux migrants sur son territoire le même traitement qu’elle attend pour ses propres citoyens à l’étranger, avec dignité, respect et humanisme.

La FZ est une organisation à caractère binational fondée en 2005 a Santo Domingo dont la mission est la promotion de l’amitié, la solidarité et la coopération entre les deux peuples de l’ ile. Son conseil d’administration est présidé du cote dominicain par le Rev P Julio Antonio Acosta (Julin) et du coté haïtien par Mgr Oge Beauvoir.