Par Marnatha Ternier
Ex-ministre des Haïtiens vivant à l’étranger,
PORT-AU-PRINCE, dimanche 3 novembre 2024– Comme beaucoup d’Haïtiennes et d’Haïtiens, je suis profondément préoccupée par la situation actuelle, en particulier par le climat sécuritaire de notre pays.
Voir des soldats kényans en uniforme dans une vidéo et entendre nos policiers les qualifier de lâches sur les réseaux sociaux, les accusant même de refuser de poser le pied au sol pour atterrir et produire les résultats escomptés par notre population accentue encore plus mon inquiétude.
Une chose est certaine : la propagande internationale est bien orchestrée, et le gouvernement kényan tire amplement parti de cette mission en exploitant nos faiblesses et, éventuellement, nos ressources, tout comme le Brésil l’avait fait en dirigeant cette mission de l’ONU après le coup d’État de 2004 contre un président démocratiquement élu.
Dès lors, mon téléphone vibre sans cesse. Je reçois des messages et des extraits vidéo d’une interview de l’ambassadeur des États-Unis en Haïti, M. Dennis B. Hankins, nommé par le président Joe Biden et confirmé par le Sénat américain en mars 2024. L’ambassadeur Hankins a pris ses fonctions en mai 2024. Cette interview a été diffusée sur Télé Métropole, dans le cadre de l’émission Le Point, animée par le journaliste Wendell Theodore.
La première question qui me vient à l’esprit est celle-ci : pourquoi les Haïtiennes et les Haïtiens sont-ils en colère face aux propos de l’ambassadeur américain en Haïti concernant des relations quelconques du gouvernement américain actuel avec les gangs ? Après tout, serait-il le premier ou le seul à agir ainsi ?
Tout compte fait, cet ambassadeur est peut-être plus courageux ou plus honnête qu’un autre en ayant le courage de nous dire ouvertement, en langage diplomatique, qu’il n’est pas là pour défendre les intérêts d’Haïti, mais qu’il est là essentiellement pour défendre les intérêts des États-Unis d’Amérique.
À mon sens, il s’agit plutôt d’une invitation implicite lancée au peuple haïtien qui doit se réveiller et, comme en 1804, prendre en fin de compte son destin en main.
Aux dirigeants haïtiens, l’ambassadeur donne des leçons de civisme et de morale, rappelant brutalement qu’en matière de défense des intérêts américains, son gouvernement n’hésitera devant rien, même si cela signifie négocier avec le diable en personne. Avec les élections américaines qui approchent, le gouvernement démocrate actuellement au pouvoir ne souhaite prendre aucun risque ; perdre un citoyen américain en Haïti aujourd’hui serait nuisible pour la campagne électorale américaine.
L’ambassadeur parle de nous, et il le fait depuis notre sol. Mais son message ne nous est pas destiné. C’est un message destiné aux médias américains et aux citoyennes et citoyens des États-Unis, pour empêcher toute récupération politique par l’opposition républicaine, qui pourrait exploiter le chaos en Haïti pour nourrir sa rhétorique anti-haïtienne.
Si l’ambassadeur américain a jugé nécessaire de s’adresser à Jimmy Chérizier, alias Barbecue, porte-parole de Vivre Ansanm, c’est peut-être qu’il n’a aucune confiance dans nos institutions chargées d’assurer la sécurité de son personnel et de son ambassade. Pourquoi Barbecue et non un autre chef de gang, y compris ceux opérant près de l’ambassade des États-Unis à Tabarre, généralement connue comme la base principale de Vitelhomme ? Peut-être parce qu’il est le seul chef de gang à ne pas être recherché par les agences américaines, ou parce qu’il n’a jamais touché un ressortissant américain. Ou alors, les autorités détiennent des informations sur la transformation de Chérizier en “Barbecue” et les transactions d’armes qui s’opèrent au “Village de Dieu”.
Qu’en est-il par ailleurs des massacres à La Saline ? Tout semble connecté, mais tant de questions restent sans réponse. Et pourquoi citer un ancien président de la République dans ce contexte d’insécurité ? S’agit-il de rappeler aux Haïtiens, disciples de Sartre, que l’enfer, ce n’est pas les autres ?
Aux dirigeants haïtiens : l’ambassadeur, tout comme nous, aurait préféré un accord entre les branches de l’Exécutif pour éviter tout spectacle humiliant. Il reconnaît l’institution de la présidence et pense qu’il vaut mieux “ne pas jeter un chaudron neuf pour un usé”, tandis que la population s’enfonce dans la misère et que l’insécurité atteint son paroxysme. Il a évoqué le succès d’une opération conjointe de la Police nationale d’Haïti (PNH) et de la MMSS, qui a abouti à la récupération d’une simple chaîne en or appartenant à un chef de gang. Waou…
L’ambassadeur des États-Unis d’Amérique en Haïti a profité de cette interview apparemment bien programmée pour lancer une alerte rouge : les semaines à venir seront difficiles. Alors, accrochons-nous et préparons-nous pour la suite.
Alerte rouge… Mais, qu’en savez-vous, monsieur l’ambassadeur ?