Par Me. Sonet Saint-Louis,
Chacun a son itinéraire dans la vie. Chacun a sa vie et en fait ce qu’il veut. Pour ce qui est des questions politiques, je suis d’une rigidité extrême mais je ne m’impose pas sur le terrain de ceux qui ont un parcours différent du mien. Chacun a ses ambitions et ses intérêts personnels à défendre. Dans la gestion du bien commun, je ne souhaite pas cependant que les intérêts personnels égoïstes priment sur ceux de la collectivité. Tout intellectuel ayant le sens du bien commun doit refuser de mettre ses compétences au service de gouvernements s’ils n’ont pas la certitude qu’ils visent à promouvoir l’intérêt général. J’imagine que les plus sensés me demanderont comment mesurer scientifiquement la certitude et la volonté politique si on n’est pas dans l’action puisque c’est le faire qui explique le dire. C’est juste. Il faut toujours essayer car même dans le mal, on peut créer un bien.
En démocratie, ce n’est pas l’origine du pouvoir qui est le principal critère mais plutôt son exercice. J’ai appris cela du professeur Leslie Manigat. Il a dit une fois qu’il n’a pas échoué mais qu’il a failli réussir. Cela signifie qu’il faut toujours tenter quand on est bien intentionné, surtout en politique. C’est pourquoi je ne tiens pas par la gorge ceux qui veulent tenter une expérience. La politique s’apprécie par moments : il n’y a pas de ligne droite, dit-on. Chaque conjoncture a sa propre lecture et ses propres exigences. C’est pourquoi je refuse d’être absolu dans mes jugements afin de permettre aux gens qui relèvent le défi de la politique de faire leurs preuves. Donc le temps de comprendre et d’apprécier même si je suis de l’autre bord en observation critique ; c’est le cas actuel. C’est pourquoi, je ne souhaite l’échec d’aucun homme politique, d’aucun gouvernement car c’est finalement tout le pays qui en pâtit.
Depuis la nomination de Me Josué Pierre-Louis comme secrétaire général du Palais national, il ne cesse de recevoir des attaques. Pour comprendre pourquoi l’ancien patron de l’OMRH est l’objet de diffamation de la part de certains groupes, il faut savoir que la politique en Haïti est un jeu de coups bas, une activité très sale. La question politique n’est pas la plus importante mais la personne qui occupe tel ou tel poste. C’est pourquoi on s’acharne à le dénigrer. Je n’ai pas écrit ce texte pour défendre personne mais pour relever des faits de l’histoire récente, des affaires presque oubliées appartenant aux coulisses de la politique traditionnelle haïtienne dans ce qu’il a de plus triste, de sombre et de macabre. Je voulais montrer comment le coup bas qui peut anéantir un homme et à travers lui, l’espoir de tout un peuple, est souvent utilisé. Je souhaitais dire aux plus jeunes que la politique chez nous a toujours été une affaire violente, un combat sanglant à cause de la rareté mais bien plus à cause de la jalousie dont les élites ne peuvent se défaire. Comme Leslie Manigat, Jean Bertrand Aristide, Wilson Laleau, Jacques Edouard Alexis, Josué Pierre- Louis, chacun en ce qui le concerne, peut-être pour des raisons similaires ou différentes, a fait l’objet de combats haineux, sans pitié. Faire la politique dans une démocratie de la crasse, ce drôle de métier où il n’y a en majorité que des tueurs, me fait peur.
Me Pierre-Louis subit depuis des années des attaques insensées, surtout quand il est en poste (quand il n’a pas de fonction officielle, bizarrement on l’oublie, ce qui veut dire quelque chose). Mais il n’est pas le seul dans cette situation. La société haïtienne étant composée majoritairement de jaloux, on peut supposer le nombre effarant de personnalités à subir régulièrement le même abattage médiatique. Cela est dû au fait que nous sommes une société de la crasse qui expérimente une démocratie de la crasse. Tout le monde aspire à obtenir un poste dans l’appareil d’État parce qu’il procure des privilèges. La lutte pour accaparer l’État est âpre. Donc, il n’y a pas d’éthique : tous les mauvais coups sont permis. Le problème de la rareté de postes provoque l’instabilité et de violents conflits au sein de la société. À cause de ce problème, l’État n’est plus le lieu de distribution de services aux citoyens mais une ressource rare dont tout le monde veut s’approprier. Quand il s’agit de l’État, n’importe qui aspire à n’importe quoi. Ce qui fait qu’en Haïti, malheureusement, la médiocrité est le modèle qui réussit. On ne veut pas de la qualité et de l’excellence. Leslie Manigat a été combattu toute sa vie, non par les éléments de la bourgeoisie mulâtre qui appréciaient ses mérites, son intégrité et sa compétence mais par les intellectuels des classes moyennes. On l’a combattu par jalousie. Aujourd’hui les vidéos de Leslie tournent en boucle sur les réseaux sociaux, son nom est cité dans toutes les conversations pour parler de la qualité de l’homme qu’il était. C’est dire que si des morts pouvaient participer aux prochaines élections, le professeur Manigat serait élu Président d’Haïti, à titre posthume. Haut les mains, en plus ! Pourtant, que n’a-t-on pas dit à son propos, de son vivant ? On l’a accusé d’avoir participé au massacre de la ruelle Vaillant en 1987. Il aurait vendu en 1962 le vote d’Haïti aux Américains contre Cuba à Punta del Este, ce qui aurait occasionné la mise à l’écart de la République cubaine à l’OEA. Or, Manigat ne faisait même pas partie de cette délégation. Ce mensonge a duré un demi-siècle. Il a fallu un texte bien documenté de Daly Valet pour rectifier les faits historiques et restituer Leslie Manigat dans sa dignité. Tout a été l’œuvre des communistes et d’hommes de gauche haïtiens qui s’obstinaient à barrer la route à l’une des grandes figures de l’intelligentsia haïtienne de tous les temps. La lutte contre la qualité, écrit l’ancien dirigeant du RDNP, est une constante de notre histoire. À propos de cette rectification historique, Daly Valet, m’a dit qu’un adversaire de Leslie Manigat lui a reproché d’avoir « rectifié un mensonge qui a été déjà consommé ».
Il en est de même pour Jacques Alexis, un immense intellectuel. Ce dernier a dû faire face à une grave accusation de crime contre l’humanité. Il a été interdit d’entrer au Canada pour des crimes qu’il n’avait pas commis. Il a dû porter le fardeau de cette infamie, de cette ignominie pendant plus qu’une décennie.
Quant au président Jean Bertrand Aristide, il a été vendu par ses opposants et une certaine presse comme celui qui avait détourné des fonds publics. Pourtant, pendant ses deux mandats brutalement interrompus, plus de lycées et d’écoles nationales ont été construits qu’au cours de nos deux siècles d’histoire, et ce, avec un budget national de treize milliards de gourdes. À une certaine époque, Jean-Bertrand Aristide était sur le point de devenir l’un des plus grands hommes de la race noire. Au lieu de l’aider à corriger ses erreurs et même ses fautes, on l’avait combattu avec férocité, brutalité et sauvagerie. Sommes- nous vraiment des êtres intelligents?
Un autre cas : Wilson Laleau. J’ai fréquenté l’homme et appris à le connaître. C’est un type extrêmement brillant et compétent. Il a prêté ses services à un régime que je désapprouve, c’est un fait. Mais le Professeur Laleau n’est ni un voleur ni un corrompu. Un des opposants à Jovenel Moïse m’a dit un jour que si on veut déboulonner le Chef de l’État, il faut mettre Laleau à l’écart. Professeur dans l’âme, je sais qu’il ressent une profonde douleur de ne pas pouvoir retourner dans les salles de classe pour mettre ses vastes connaissances au service de la jeunesse haïtienne qui en a terriblement besoin. Il avait été forcé de quitter le poste de chef de cabinet de l’ex président Jovenel Moïse pour répondre aux accusations portées contre lui dans le dossier PetroCaribe. Une affaire entre-temps oubliée par les opposants d’hier. La gouvernance inclusive aurait donc apaisé les passions. En tout cas, on constate que des groupes qui autrefois s’affrontaient sur tel ou tel sujet s’unissent aujourd’hui de manière tout aussi imprévisible.
Il n’y a pas de ligne de direction claire, ni de vertu dans l’espace politique haïtien. Par exemple, ceux qui dans le passé dénonçaient la corruption avec la dernière rigueur acceptent d’intégrer un gouvernement illégitime, dépourvu de garde-fous, donc de transparence. C’est la « République des transfuges », pour répéter l’intellectuel et homme d’État, l’ancien Premier ministre Robert Malval.
C’est Haïti ! Fourberie, hypocrisie, mensonge, jalousie, tromperie et vérité, tout y est, tout se mêle, tout a le même goût. Nous devons apprendre à mettre chaque parole dans la balance pour en apprécier la vérité ou la fausseté. Sinon, nous risquons de continuer à compter des victimes de délation chaque jour.
La liste des victimes est bien plus longue. Je suis très mal placé pour dire qui est coupable ou ne l’est pas. Dans ces cas cités, il démontre quand même que dans la politique haïtienne, il existe un foyer de méchanceté qui invite à la repentance. C’est pourquoi, il faut toujours avoir du recul parce que nos hommes et femmes politiques sont rarement sincères. Ils nous infantilisent et racontent des salades quand bon leur semble, quand cela les arrange.
Le pire est toujours possible dans notre société. On dit tout à propos de tout le monde sans se soucier de l’impact que ces dires peuvent avoir sur la cohésion sociale. Sur le vivre ensemble. Tout se mêle au point de ne pas pouvoir savoir qui a tort ou qui a raison. On est dans l’impossibilité de séparer le bon grain de l’ivraie. Pour mettre un terme à la manipulation politique grossière, nous avons tous l’obligation de travailler pour la mise sur pied d’un système de justice indépendant, fiable, capable de donner la parole – et la justice – tant aux victimes qu’aux accusés. Plus que le citoyen ordinaire, ce sont les hommes du pouvoir, de l’avoir et du savoir qui ont plus intérêt à l’établissement d’un État de droit véritable en Haïti.
Dans cette Haïti où règne la haine de tous contre tous, la seule solution à ce déchirement social est la croissance économique, le développement social, la justice sociale et la lutte contre la corruption au nom de la protection de l’intérêt général. Dans la rareté, il est impossible d’apprécier le beau, le bien, la qualité et l’excellence. La crasse nous fait perdre le sens de la vertu, de la mesure et du juste.
En 2006, Leslie Manigat avait écrit aux responsables de l’École normale supérieure pour leur annoncer qu’il souhaitait enseigner à la section d’Histoire de cette institution mais aucune réponse ne lui était donnée jusqu’à sa mort. Pourtant, on lui a reproché de n’avoir pas mis ses connaissances au service de la jeunesse universitaire haïtienne.
On pouvait s’attaquer à Josué Pierre-Louis sur d’autres questions car tout homme est reprochable. D’ailleurs seules les personnes en activité sont susceptibles de commettre des erreurs ou de réussir un projet. Mais cette affaire de harcèlement sexuel qui revient dans l’actualité est sans plus ni moins un prétexte pour le démolir. Il n’est pas du même bord que ces personnes-là et l’attaque est facile.
En droit, ce genre de dossier délicat et complexe est quelquefois difficile à gérer. On a toujours tendance à croire les déclarations des femmes et des enfants considérés comme des êtres “fragiles” à cause de la structure de domination mise en place dans certaines sociétés et de ne pas tenir compte des propos et allégations – fussent-ils véridiques – des hommes. C’est le renversement du fardeau de la preuve.
Dénoncer les violences faites aux femmes dans une société machiste et patriarcale paraît légitime et fondé. La femme chez nous est dominée et parfois même dépréciée. Nous devons renverser cette situation au nom de l’égalité des droits, principe consacré à l’article 18 de notre Constitution. L’égalité de la femme haïtienne n’est pas un cadeau de l’homme haïtien. C’est une égalité conquise ensemble à partir de notre contribution à la création de cette nation. L’égalité est une question d’éducation. C’est au foyer que les garçons doivent apprendre à respecter les filles et pratiquer l’équité, ce principe au nom duquel on corrige les injustices dans la société.
Tout est explicable. C’est dans le cadre de ce combat politique actuel qu’il nous faut chercher à analyser la résurgence de ce dossier d’harcèlement sexuel concocté contre Josué Pierre-Louis depuis plus de dix (10) ans. Il faut sonder les mobiles politiques de cette accusation. Il y a abus, méchanceté, jalousie. Personne n’est prêt à dire la vérité parce que « le mensonge semble être consommé » alors que la justice a déjà tranché, la plaignante ayant renoncé à ses accusations fantaisistes. Pourquoi celle-ci n’avait pas interjeté appel contre la décision du juge instructeur mais plutôt choisi de désister ? Alors, qu’est-ce qui me donne le droit de croire les faits allégués par la plaignante et non la conclusion du magistrat qui avait filtré les informations recueillies dans son ordonnance de non lieu ? L’ancien garde des Sceaux de la République traîne derrière lui une carrière de fonctionnaire public depuis plus de vingt ans et on ne lui a relevé aucun acte de vol et de corruption. Brandir aujourd’hui ce dossier de harcèlement sexuel sur lequel la justice a déjà pris position et y a mis fin, constitue aux yeux de la loi tout simplement un acte de diffamation. La haine ne doit pas nous faire perdre notre bon jugement, le sens des faits et de la réalité.
Parce que c’est Josué Pierre-Louis, on pense tout se permettre ou dire n’importe quoi à son sujet. Cette stratégie en vogue chez nous d’obtenir le silence des plus brillants de notre société par l’intimidation politique et intellectuelle, est répugnante. Cette manière de faire, on l’a déjà expérimentée mais on en a constaté le résultat combien désastreux. Je le répète c’est la médiocrité qui doit être combattue et non la qualité et l’excellence. Sinon nous passerons toujours à côté de la vérité que nous devons tous chercher ensemble.
Plus nous sommes éduqués, plus la société attend de nous. C’est pourquoi, en tant qu’élite, muraille de protection pour le peuple et la nation, on attend de nous un comportement éthique et responsable dans tout ce que nous entreprenons.
Alors docteur Pierre-Louis, mon ami, mon conseil à vous c’est de vous atteler à bien accomplir vos responsabilités, à faire quelque chose de bien, de bon, de valable dans la fonction que vous occupez, comme vous l’avez si bien réalisé dans le cadre du programme de modernisation de l’État dans la perspective du bien commun. Ainsi vous planerez au-dessus de la bêtise et de la méchanceté des uns et des autres en continuant à rendre service à la République. Un intellectuel de votre trempe doit se soumettre à une obligation de résultat, peu importe les circonstances et l’équipe gouvernementale à laquelle vous collaborez. Compétence veut dire résultat, donc quand un gouvernant se donne un tel objectif, il crée un sentiment de confiance chez les gouvernés et ainsi mérite leur plein et entier respect.