Le 13 janvier 2020, Jovenel Moïse a mis fin brutalement au processus constitutionnel et démocratique en Haïti. Le pays se retrouve sans parlement fonctionnel et sans contre-pouvoir institutionnel. Le chef de l’Etat qui a pris le soin de préparer ce vide institutionnel, s’est donc offert un boulevard pour diriger tout seul, par décret et exécuter ses seules volontés et caprices. Il s’est donc donné les pleins pouvoirs. Et M. Moïse est en train de nous le démontrer ; tout ce qui compte, c’est lui et lui seul. Il agit en monarque présidentiel et se place au-dessus des intérêts du pays. Constitutionnellement, son mandat prend fin le 7 février 2021, mais il refuse de partir…
Suite et fin de l’analyse sur la fin fu mandat du président Jovenel Moïse
Port-au-Prince, 29 janvier 2021– Le président Jovenel Moïse est un autocrate. Il a sciemment provoqué ce vide institutionnel. Il s’en est servi pour, d’abord, fragiliser les institutions républicaines en installant à leur commande des responsables sans la double légitimité constitutionnelle exigée et ensuite pour s’approprier des pouvoirs que ne lui reconnaît pas la Constitution.
Contrairement à ce que Monsieur Moise a avancé, dans une insertion demandée publiée dans le Washington Times, Il n’est prévu nulle part dans la constitution que le Président haïtien, en cas de dysfonctionnement du Parlement, dispose de la latitude ou encore est autorisé à édicter des décrets ayant force de loi sur des questions d’intérêt général. La lecture des articles ci-dessous renseignent parfaitement sur l’intention malveillante du Président Moise d’induire ses interlocuteurs en erreur
Article 111. Le Pouvoir Législatif fait des lois sur toutes les questions d’intérêt général.
Article 111.1 L’initiative appartient à chacune des deux (2) chambres ainsi qu’au pouvoir exécutif.
Article 120. Aucun projet de loi ne devient loi qu’après avoir été voté dans les mêmes termes par les deux (2) chambres.
Article 128. L’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’au Pouvoir Législatif, elle est donnée dans la forme d’une loi.
D’ailleurs les stipulations de l’article 150 sont assez éclairantes
« Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la constitution ».
Monsieur Moise, depuis qu’il a lui-même fait le constat de la fin du mandat des membres de la chambre des Députés et de deux tiers du Sénat, s’est écarté de la légitimité constitutionnelle. Certaines de ces décisions législatives (décrets) publiés au Journal Officiel de la République depuis janvier 2020, relèvent, purement et simplement, de l’arbitraire.
Ces décrets contresignés par des ministres de fait, à l’évidence, constituent une vraie menace pour les droits et libertés du peuple haïtien et au caractère démocratique et républicain de l’Etat, tel que proclamé par la constitution de 1987. Bien plus, ils confirment la volonté, maintes fois, assumée du Président Moise de renouer avec les pratiques dictatoriales instaurées par les Duvalier.
Monsieur Moise et son équipe gouvernementale, en plus de s’attribuer des compétences législatives, se croit investi du pouvoir de changer, à sa guise la constitution du pays. Au mois d’octobre dernier, il a fait publier au Journal Officiel de la République, un arrêté présidentiel portant formation d’un comité consultatif chargé de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Comble d’arrogance, si ce n’est d’ignorance, il confie à un conseil électoral provisoire, formé en dehors des modalités prévues par la constitution la tâche d’organiser, entre autres, un referendum pour doter le pays d’une nouvelle constitution.
Les exigences constitutionnelles relatives aux prestations de serment obligatoire auxquelles sont astreints les membres du Conseil Electoral et d’autres grands commis, n’ont pas été respectées dans ces cas d’espèces
Le Président de la République ne dispose d’aucun pouvoir, d’aucun droit pour modifier ou changer la constitution par referendum. La seule compétence qui lui est reconnue, en la matière, est de proposer au pouvoir législatif, un projet d’amendement, à la clôture de la dernière session ordinaire de l’année législative.
Appui du BINUH et de l’OEA à cette criante violation de la constitution. Appuyer un changement de constitution dans un environnement aussi délétère créé un précédent dangereux. Ces dernières démarches de Monsieur Moise, qui semblent bénéficier du soutien, non équivoque, du Bureau Intégré des Nations Unies (BINUH) et de l’Organisation des Etats Américains (OEA) sont d’une gravite extrême. La consultation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale est l’une des principales exigences inscrites au préambule même de la Constitution de 1987. Tout semble indiquer que, dans cette voie, Monsieur Moise fait cavalier seul. A un autre niveau, l’article 284.3 est assez explicite
« Toute consultation populaire tendant à modifier la constitution par voie de referendum est formellement interdite ».
Ces faits confirment implicitement la mise en veilleuse de la Constitution en vigueur. Afin que nul n’en prétexte ignorance, il est rappelé que les actes posés par le Président Moise à l’encontre de la Constitution, qu’il avait jurée de respecter et de faire respecter, sont qualifiés de crime de haute trahison. Il doit, en effet, s’attendre le moment venu à répondre par devant la Haute Cour de Justice.
La Haute Cour de Justice. Le Pouvoir Législatif, en plus de ses prérogatives classiques de légiférer et de contrôler l’action gouvernementale, est aussi l’instance constitutionnelle chargée, sur le plan judiciaire et juridictionnel, de connaitre certains actes qualifiés de crimes de Haute Trahison, commis par les plus hauts responsables de l’Etat.
Article 21. Le crime de haute trahison consiste en toute violation de la Constitution par ceux chargés de la faire respecter
Article 21.1 Le crime de haute trahison est puni de la peine des travaux forcés à perpétuité sans commutation de peine.
Le Sénat de la République dispose de prérogatives constitutionnelles de s’ériger en Haute Cour de Justice. Son autorité en la matière est établie par la constitution en son article 185 se lisant comme suit :
Le Sénat peut s’ériger en Haute Cour de Justice. Les travaux de cette Cour sont dirigés par le Président du Sénat assisté du Président et du Vice-président de la Cour de Cassation comme Vice-Président et Secrétaire, respectivement, sauf si des juges de la Cour de Cassation ou des Officiers du Ministère Public près cette Cour sont impliqués dans l’accusation, auquel cas, le Président du Sénat se fera assister de deux (2) Sénateurs dont l’un sera désigné par l’inculpé et les Sénateurs sus-visés n’ont voix délibérative.
A la chambre des Députés incombe la compétence de la mise en accusation des responsables incriminés.
Article 186 : La chambre des Députés, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres prononcent la mise en accusation :
a)du Président de la République pour crime de Haute Trahison ou tout autre crime commis dans l’exercice de ses fonctions
- b) du Premier Ministre, des ministres et des secrétaires d’Etat pour crimes de Haute Trahison et de malversations ou d’excès de pouvoir ou tous autres crimes et délits commis dans l’exercice de ces fonctions
- c) des membres du Conseil Electoral Permanent et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif pour fautes graves commises dans l’exercice de leurs fonctions;
- d) des juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation pour forfaiture;
- e) du Protecteur du citoyen.
Les deux chambres du Pouvoir Législatif sont, depuis le deuxième lundi de janvier 2020, dysfonctionnelles. Ce vide parlementaire intentionnel participe de la ferme volonté du Président Moise de se donner les coudées franches pour installer son régime autoritaire et s’affranchir de toute poursuite éventuelle pour ses actes arbitraires. Cela explique toute l’arrogance de l’équipe au pouvoir se croyant tout permis et n’ayant de comptes à rendre à personne. Cependant, ce qu’il convient surtout de ne jamais oublier, ces actions et initiatives de Jovenel Moise créeront un précédent dangereux pour la démocratie et la stabilité politique et sociale du pays et même de la Région.
Chaque Président élu va se croire habiliter, à dissoudre les institutions républicaines, garantes de la loi et des libertés publiques, à changer la constitution pour renforcer son pouvoir et s’installer à vie.
Qu’il soit dit, en conclusion, que les membres du Gouvernement de monsieur Jouthe Joseph, les individus illégalement nommés au Conseil Electoral Provisoire, et ceux du comité consultatif pour l’élaboration d’une nouvelle constitution, participent et sont responsables, au même titre que le Président, des actes posés et engagements pris en dehors de la loi, des violations caractérisées de la Constitution et des crimes commis contre elle.
Article 163: Le Premier Ministre et les Ministres sont responsables solidairement tant des actes du Président de la République qu’ils contresignent que de ceux de leurs ministères. Ils sont également responsables de l’exécution des lois, chacun en ce qui le concerne.
Article 169: Les Ministres sont responsables des actes du Premier Ministre qu’ils contresignent. Ils sont solidairement responsables de l’exécution des lois.
Article 169.1: En aucun cas, l’ordre écrit ou verbal du Président de la République ou du Premier Ministre ne peut soustraire les Ministres à la responsabilité attachée à leurs fonctions.