Par Me Evens Fils, Avocat,
Port-au-Prince, lundi 17 janvier 2022– Actuellement, la presse regorge d’articles qui examinent la problématique d’Haïti. Sociologues, politologues, historiens ont tour à tour expliqué avec brio les causes du malheur haïtien. Des penseurs prolifiques, Haïti n’en manque guère. Surtout, les arguments délivrés ont démontré du génie dans leur production scientifique. Pour certains écrivains, Haïti connaît une crise politique provoquée par des politiciens véreux et maladroits. Pour d’autres, c’est un problème sociétal dont la solution dépend d’une prise de conscience nationale. J’avoue qu’ils disent tous relativement la vérité. Mais devant toute cette panoplie de solutions, quelle en est notre priorité ? Tel est ce que propose le présent article.
Voici ce dont Haïti en a désespérément besoin : la justice. La justice, d’abord ; puis, justice ; enfin, justice. La justice est la mère des vertus républicaines. Une justice tissée d’hommes de caractère et de fonctionnaires responsables. Il est mathématiquement impossible qu’un seul secteur de la vie nationale (économie, éducation, santé, environnement, tourisme…) enregistre un taux de progrès sans une dynamique judiciaire comme préalable.
Or, aujourd’hui, la justice est prise en otage par des magistrats fieffés corrompus. Des magistrats vendent la justice aux plus offrants. Des magistrats sont des protecteurs des bandits. Des magistrats absentéistes et sans dossier (mais carte de débit, carte téléphone, carburant, prime de risque chaque mois). Les dossiers judiciaires sont transformés en commerce très rentable. Ce service public qu’est la justice est devenu un bien privé dont le profit en est le seul but. Plusieurs magistrats recherchent le dossier de leur vie afin d’empocher le million de dollars de leur rêve. Ils sont plus avocats que magistrats. A la barre, ils plaident la cause de nantis, rendent des ordonnances célères alors que certains dossiers moisissent dans leur bureau depuis trois ans. Ils boycottent des dossiers sur demande expresse de leur parrain qui est souvent un manitou du Pouvoir. Les plus fainéants ont peur de dénoncer les plus endurcis. Ils sont tous pareil dans leur promiscuité, auteurs, coauteurs et complices. Des Doyens et des Commissaires du Gouvernement en sont les champions de la corruption. L’intégrité est devenue une infamie et un acte de barbarie. Lorsqu’on retrouve un magistrat honnête trié sous le volet, celui-ci est perçu comme un extraterrestre. Ils sont peu et sont engloutis par l’océan de la malédiction. Malheur au fils dont le père est magistrat trempé dans l’insulte nationale deshumanisant. Chacun cherche à s’adapter à la bêtise nationale comme au kidnapping sous prétexte de vouloir protéger leur vie avide de sens. Par la corruption systémique, ils instaurent l’impunité. Depuis combien de décennies la nation n’a pas connu un procès équitable du nombre des milliers qu’elle attend? Les magistrats se croisent les bras et se moquent de tout le monde.
En conséquence, il faut révoquer au moins les deux tiers des magistrats en fonction. Car plus de deux tiers sont corrompus sans possibilité de régénération. Il n’existe pas de société civilisée sans sanction, sans contrôle, sans rapport, sans reddition de compte. Comment reconnaître ces magistrats ? Ils sont improductifs, n’ont aucun sens de la justice, insensibles à la cause des faibles, arrogants et pétris dans l’art de dénaturer les faits et de violer la loi. Leur slogan : « Pa gen jistis Ayiti. » « Je ne peux rien faire à part empocher mon salaire mensuel ». « Mwen sèl pa ka chanje bagay yo. ». Ils ne pourront jamais soumettre le rapport de leurs activités pendant les cinq dernières années. Ils ne pourront jamais fournir une copie des dispositifs des décisions dont ils sont signataires. Leur patrimoine est cent fois supérieur à vingt ans de leur rémunération cumulée. Que fait donc un magistrat dans un système s’il est incapable de produire le moindre rapport de ses activités ? Que fait un juge commerçant dans la justice ? L’opacité est leur premier allié. Si la justice n’est pas transparente, c’est normal que nous payions cher pour le blackout dans nos villes.
Une liste exhaustive des conditions de vie des magistrats doit être dressée et publiée à l’international. Toute décision judiciaire doit faire preuve de publicité. En outre, ces magistrats corrompus qui sont les barrons du système judiciaire ne craignent rien si ce n’est le verdict populaire. Des mesures internationales seront prises contre eux. Cette liste sera connue de tous bientôt. Elle sera disponible dans les Parlements du Monde, les Ambassades, les Barreaux des autres pays, FBI, CIA. N’est ce-pas l’heure de la coopération internationale dans un monde globalisé ? En détruisant notre système judiciaire, nous nous faisons justiciable par devant d’autre système de justice, croyez-moi et observez. Vous en serez surpris ! Magistrats, n’oubliez jamais : tous nos actes sont enregistrés quelque part (appels, déclarations, actions fastes ou néfastes). Si on ne vous les révèle pas, cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Lorsque le moment fatidique sera venu, même le premier bénéficiaire de vos bévues « secrètes » s’apprêtera à vous dénoncer bon gré mal gré.
En définitive, ce scandale judiciaire inédit que nous offrons chaque jour au monde est répugnant, rébarbatif. Le comportement des magistrats choque l’imaginaire mondial. C’est pourquoi, certains dossiers doivent bénéficier de la coopération internationale. De même, certains magistrats doivent faire l’objet de poursuite internationale. La justice ne vit pas de scandale, dit-on. La nôtre n’est que scandale et disgrâce, voit-on ! Donc, elle n’est pas justice. Aux grands maux, les grands remèdes. Il faut immédiatement y mettre un terme : révoquer la quasi-totalité des magistrats. Recommencer avec un nouveau corps judiciaire basé sur l’honnêteté, le concours, la publicité des dossiers et l’approbation populaire. Favoriser la formation continue. Néanmoins, ne pourra être magistrat :
- Celui qui a peur de décider ;
- Celui qui décide sans connaissance de la loi ;
- Celui qui décide sans régulièrement rendre compte de ses décisions ;
- Celui qui n’est pas satisfait de son traitement mensuel;
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