Paris, jeudi 8 juillet 2021- 1.D’emblée, il manquerait de probité de prétendre que l’assassinat infâme de Jovenel Moïse impliquerait une solution constitutionnelle en raison de la fin du mandat de ce dernier depuis le 7 février 2021.
2.En revanche, il convient de concéder que la fonction de président de la République était occupée de fait par Jovenel Moïse depuis le 8 février 2021.
De ce fait, son assassinat occasionne effectivement un « vide institutionnel », qui doit être comblé dans le cadre de la continuité de l’État.
3.La solution à cette situation d’exception devrait s’analyser autour de trois angles factuels et juridiques : la légitimité de fait d’Ariel Henry, la perte de qualité de Joseph Lambert et la révocation au second degré de Claude Joseph.
4.En vérité, si l’on admet la fin du mandat de Jovenel Moïse le 7 février 2021, il paraît insensé de parler de vacance présidentielle. Car l’indisponibilité d’un « président de la République de fait » n’est pas prévue parmi les cas des vacances énumérés à l’article 149 de la Constitution de 1987 ( version amendée). Dans ce contexte, l’assassinat de Jovenel Moïse entraîne réellement un vide au niveau de la fonction présidentielle, ce qui diffère de la « vacances présidentielle ».
5.Puisque ce vide présidentiel ou institutionnel n’est pas prévu par la Constitution, l’on peut tâtonner une solution légitime qui cousine avec la politique juridique. C’est dans ce contexte qu’à ce jour la gouvernance du pays peut se questionner sur trois personnages politiques. Il s’agit d’Ariel Henry, de Joseph Lambert et de Claude Joseph.
L’ordre de fonction établi dans cet article parmi ces personnages n’est pas anodin.
I – La légitimité de fait d’Ariel Henry comme Premier ministre
6.Il paraît inadmissible de concéder la légalité de la nomination de Monsieur Ariel Henry qui est entachée d’irrégularité constitutionnelle. Car l’octroi de décharge aux anciens Premiers ministres et ministres relève de la compétence exclusive du Parlement (art. 233 Constitution). En dehors de la sanction bicamérale « (parlementaire) », tout acte administratif adopté en ce sens contrevient au principe de la séparation des pouvoirs.
7.Dans ce cadre, la qualité de Premier ministre de Monsieur Ariel Henry est inconstitutionnelle. Car l’admission de la légalité de sa nomination impliquerait la reconnaissance tacite de la compétence de l’exécutif pour juger la comptabilité publique et la méconnaissance du principe de l’indépendance des pouvoirs de l’État.
8.Cependant, la publication de l’arrêté de sa nomination lui confère juridiquement le titre de Premier ministre dont les effets ne peuvent être annulés que par la justice administrative ( CSC/ÇA ), étant devenu un acte administratif réglementaire ( art. 2 du Décret du 23 novembre 2005 et par la portée de l’article 141, alinéa 3, du Décret du 22 novembre 1995 sur l’organisation judiciaire ).
9.D’ailleurs, l’effet de sa fonction de Premier ministre n’est pas lié ni à l’investiture ni à l’approbation de l’autorité de sa nomination (président de la République). Car il est édicté à l’article 158 de ladite Constitution que le choix des membres du gouvernement entre dans la sphère de compétence du Premier ministre, les vocables « en accord » devant être compris comme le simple droit de regard de son collaborateur (président de la République).
10.Au regard dudit article (art.158), la prise de fonction de Premier ministre n’est subordonnée qu’à la sanction du Parlement, ce qui s’avère impossible actuellement en raison du dysfonctionnement de ce Parlement. C’est dans ce sens que l’investiture du Premier ministre nommé n’est qu’une formalité administrative dont l’inobservation n’emporte aucun effet juridique sur sa prise de fonction.
11.En conséquence, Ariel Henry est à ce jour le « Premier ministre haïtien de fait » dont la validation ne peut être annulée que par la CSC/CA sur le fondement de l’exception d’inconstitutionnalité sans l’écran d’une loi (théorie de la loi-écran en droit administratif) (art. 233 de la Constitution).
12.Par ailleurs, la solution à ce vide constitutionnel pourrait être obtenue à l’initiative de Joseph Lambert dont la perte de qualité découle notamment du contexte institutionnel.
II- La perte de qualité de Joseph Lambert
13.En réalité, la solution légitime pourrait être envisageable autour de Joseph Lambert.
En effet, il va sans dire que Joseph Lambert est l’autorité légitime au plus haut rang de la politique actuelle en Haïti en tant que Président du Sénat de la République. C’est à ce titre que la Constitution en vigueur le place sur la liste des politiques qui peuvent jouer un rôle déterminant pour combler le vide de la fonction présidentielle actuelle.
14.Mais, son rôle ne s’entend pas comme le successeur du « président de la République indisponible », le dernier alinéa de l’article 149 Constitution lui offre simplement la prérogative d’initier des démarches constitutionnelles pour élire au second degré le successeur du président de la République élu mais indisponible.
15.Toutefois, il apparaît que le président du Sénat actuel se heurte à deux contrariétés constitutionnelles.
16.D’une part, du point de vue constitutionnel (art. 134.2 Constitution), le décès de Jovenel Moïse est intervenu à l’issue de la cinquième année de son mandat. En ce sens, Joseph Lambert ne peut prétendre à initier ces démarches constitutionnelles pour combler ce « vide institutionnel ».
17.D’autre part, dans l’hypothèse où l’on admettait le décès de Jovenel Moïse au cours de la quatrième année de son mandat, le rôle déterminant de Joseph Lambert perd sa qualité en raison du dysfonctionnement du Parlement, étant entendu que son rôle de président de l’Assemblée nationale est tributaire de l’existence des deux branches du Parlement ( art. 98 Constitution).
18.Or, le Parlement haïtien est amputé de la chambre des députés depuis le 13 janvier 2020. À cet égard, Joseph Lambert ne peut être reconnu comme président de l’Assemblée Nationale.
S’il est vrai que son rôle n’est pas négligeable dans la recherche de la solution à ce « vide institutionnel » à la suite de l’assassinat lâche et piteux du président de fait Jovenel Moïse, il ne peut prétendre d’assurer la présidence provisoire de la République D’Haïti.
19.La constatation de défaut de qualité de Joseph Lambert s’étend également à Claude Joseph en raison de sa révocation administrative comme Premier ministre.
III- La révocation au second degré de Claude Joseph
20.Au vrai, la prétention de Claude Joseph pour assurer l’exercice du pouvoir exécutif par intérim jusqu’à l’organisation de la présidentielle paraît inenvisageable.
En réalité, il n’est pas nécessaire de développer beaucoup d’arguties juridiques pour démonter l’improbabilité de Claude Joseph dans pour remplir légitimement ce rôle.
21.En effet, le défaut de qualité de ce dernier s’explique par l’effet juridique de la nomination d’Ariel Henry par le président de la République de fait avant son décès. Ce défaut de qualité de ce dernier s’aligne sur la notion de révocation au second degré en droit administratif qui s’entend comme le retrait d’un « acte administratif » par un « autre acte administratif ».
22.Dans ce contexte, la publication de la nomination de Monsieur Henry dans le journal le Moniteur emporte la révocation automatique de Claude Joseph par Jovenel Moïse à la tête de la Primature.
La constatation de la révocation de Claude Joseph comme Premier ministre découle de l’article 137 de la Constitution en vigueur.
23.Il est vrai que la présence de Jovenel Moïse serait utile à la justice pour apporter un éclairage aux différentes exécutions sommaires, à des massacres commis sur la population et à la reddition des comptes dans le cadre de sa « présumée implication » dans des crimes financiers, mais il est regrettable que son assassinat déclenche en moins de 24 heures une guerre de pouvoir entre une autorité légitime partielle ( Ariel Henry) et une autre qui souhaite s’évader de sa qualité de ministre des affaires étrangères démissionnaire ( Claude Joseph).
24.Ces développements justifient la qualité d’Ariel Henry comme le Premier ministre de fait dont la légalité pourrait être contestée (avant le décès de Jovenel Moïse) devant la justice administrative. Toutefois, dans le cadre de l’intérêt général, ce dernier peut décider de démissionner de cette fonction pour permettre une « entente nationale empathique » aux fins de revenir au plus vite à l’ordre constitutionnel.
25.Dans le cas contraire, il va devoir concerter avec tous les secteurs représentatifs du pays en vue de dégager un « Accord politique » dans l’intérêt du peuple afin de combler le « vide institutionnel » de la fonction de président de la République et organiser les élections générales dans une atmosphère sécuritaire acceptable.
26.Dans ces circonstances, il serait encourageant que les groupements et regroupements politiques témoignent leur empathie à l’égard du droit à la vie de Jovenel Moïse en acceptant de renoncer aux « Accords politiques » adoptés en termes de sortie de crise du vivant d’un homme qui a eu quand même le courage de se proposer au servie de la République au plus haut niveau de l’État (Jovenel Moïse). L’histoire leur en sera reconnaissante.
Me Guerby BLAISE
Avocat et Doctorant
en Droit pénal et Procédure pénale
Centre de droit pénal et de criminologie
École doctorale de Paris Nanterre