Directeur exécutif du Réseau National de défense des droits humains (RNDDH), Pierre Espérance écrit depuis Port-au-Prince, Haïti…
PORT-AU-PRINCE, 15 avril 2025- Presque chaque nuit, je reçois des appels paniqués de personnes vivant dans des zones de Port-au-Prince sous l’emprise des gangs. « S’il te plaît, demande à la police d’envoyer des agents », m’a supplié un ami. « Aide-moi, on va mourir ! »
Le numéro d’urgence haïtien, notre équivalent du 911, est pratiquement inutile — la plupart du temps, personne ne répond. Les forces de police sont débordées, surpassées en nombre et en armement par des gangs meurtriers qui conquièrent de nouveaux quartiers en important des armes et des munitions depuis les États-Unis. La force internationale dirigée par le Kenya, soutenue par les États-Unis et les Nations unies, intervient de façon irrégulière.
Les gens cherchent donc de l’aide partout où ils peuvent, y compris auprès de moi, directeur d’une organisation de défense des droits humains basée dans la capitale. Depuis des années, nous plaidons pour une réforme de la police, et j’ai des contacts dans tout le corps policier. Que puis-je faire ? J’appelle les coordinateurs des opérations de police dans la capitale pour leur signaler les urgences. Parfois, ils peuvent intervenir. Mais souvent, ils sont déjà engagés dans d’autres combats. Des proches ont dû courir sous les balles pour fuir un assaut, parce que personne ne venait les secourir.
Si l’administration Trump souhaite vraiment renforcer la sécurité et la prospérité des États-Unis en resserrant le contrôle migratoire, elle ne peut pas se désengager de pays comme Haïti.
Depuis le printemps dernier, les gangs haïtiens ont cessé de se battre entre eux pour le contrôle des territoires et ont uni leurs forces contre l’État. Ensemble, ils violent, torturent et tuent. Ils affrontent la police, s’emparent de zones entières, attaquent des hôpitaux, des pharmacies, des écoles et des banques. Leurs chefs innovent sans cesse pour déjouer les forces de sécurité : ils creusent des tranchées sur les routes, percent des murs pour s’infiltrer dans les bâtiments, et cachent des armes sur des ânes ou dans des barils servant à transporter de l’eau ou du carburant.
Le gouvernement haïtien est trop compromis pour leur faire face efficacement. Pendant des années, des responsables politiques ont financé et armé des membres de gangs en échange de protection et pour intimider leurs opposants. Les sanctions internationales imposées à des responsables haïtiens ont révélé l’ampleur des liens entre l’État, les gangs, la corruption et le trafic de drogue et d’armes. Les États-Unis et le Canada ont sanctionné certains des personnages les plus puissants du pays : deux anciens présidents, trois anciens Premiers ministres et plusieurs ministres en fonction. Même le nouveau conseil présidentiel de transition, mis en place grâce à un accord appuyé par les États-Unis au printemps dernier, comprend trois membres accusés de corruption, convoqués par la justice pour répondre de ces faits.
Si rien ne change, ce ne sont pas seulement les Haïtiens qui continueront à souffrir, mais aussi les États-Unis, confrontés à une instabilité régionale croissante, à une hausse de la migration irrégulière et à une insécurité qu’ils auront contribué à nourrir par leur inaction.
« Haiti’s Gangs Have Evolved. The United States Will Pay the Price » a été publié egalement en anglais dans la section Opinion du New York Times