Editorial de Francklyn B. Geffrard,
PORT-AU-PRINCE, mardi 10 septembre 2024 – Les chefs de gangs haïtiens sont tristement célèbres pour la brutalité de leurs actions. Enracinés dans une culture de violence qui ne cesse de s’amplifier, ces criminels agissent souvent sous l’influence de drogues et commettent des crimes atroces avec une impunité déconcertante. La décapitation de policiers et de civils, suivie du démembrement de leurs corps, n’est que l’un des nombreux exemples de la barbarie de ces groupes. À ces actes, s’ajoute la diffusion de vidéos macabres sur les réseaux sociaux, où la violence extrême devient une mise en scène destinée à semer la terreur. Certains de ces chefs de gangs, adeptes de pratiques anthropophagiques, vont jusqu’à brûler les corps de leurs victimes pour en consommer la chair, atteignant ainsi un degré de cruauté inégalé.
Le viol collectif est un autre fléau qu’ils imposent à la population haïtienne. Des centaines, voire des milliers de femmes et de jeunes filles à travers le pays en sont victimes. En plus de ces atrocités, les gangs pillent régulièrement les biens publics et privés, s’appropriant des demeures somptueuses qu’ils transforment en lieux de débauche. Ce sont des endroits où règne une anarchie totale, où des orgies et des excès en tout genre se déroulent. À travers leurs possessions matérielles — véhicules tout-terrain, parfois blindés, autobus, poids lourds et des dizaines de motocyclettes —, ils affichent un luxe mal acquis. Cependant, derrière ces possessions se cache une réalité bien plus sombre que l’apparence trompeuse de pouvoir et de richesse.
L’argent qu’ils accumulent grâce à des activités criminelles lucratives telles que le kidnapping, le trafic de drogue, d’armes et d’organes humains, leur permet de vivre dans une opulence qui contraste violemment avec la misère de la majorité de la population haïtienne. Ils ont érigé des postes de péage illégaux sur les routes nationales, extorquant régulièrement les conducteurs, qu’ils soient privés ou opérateurs de transport public. Pourtant, cet argent qui coule à flots ne leur apporte aucun répit. Derrière leurs richesses, ces criminels sont prisonniers d’un malheur qu’ils ne peuvent échapper. Certains d’entre eux, comme Izo et Lanmo San Jou, ont accumulé des fortunes en quelques mois, achetant des maisons à l’étranger, ouvrant des comptes bancaires sous des pseudonymes, dans l’espoir d’assurer un avenir à leurs proches. Mais leur existence reste dominée par la peur constante, les rendant plus cruels à mesure qu’ils prennent conscience de l’absence d’avenir réel.
Malgré leurs biens matériels, ils vivent dans une semi-clandestinité permanente, changeant régulièrement de cachettes par crainte des trahisons. Leur crainte pour leur propre vie est omniprésente, les rendant extrêmement méfiants même envers leurs proches alliés. Certains possèdent des maisons remplies de liasses de dollars qu’ils n’osent même pas compter. Leurs vêtements de luxe, souvent contrefaits, et les montagnes de bijoux qu’ils exhibent sur les réseaux sociaux ne sont que des façades. Ils ne sont ni libres ni heureux. Tout cet argent, bien qu’abondant, ne leur permet pas de jouir de la vie qu’ils ont volée à d’autres.
Les rapports des Nations Unies ont mis en lumière l’étendue des exactions commises par ces gangs. En 2023, près de 2 800 homicides ont été imputés à ces groupes criminels, la plupart des victimes étant des civils innocents pris dans cette spirale de violence. Les viols, les enlèvements et les massacres font partie du quotidien de milliers de citoyens haïtiens. D’après les estimations de l’ONU, près de 600 000 personnes ont été forcées de fuir leurs foyers, se retrouvant déplacées à l’intérieur du pays dans des conditions précaires, sans accès à l’eau potable, aux soins de santé, ou à un abri digne.
Les quartiers et les villes comme Cité Soleil, Martissant, Torcelle, Village de Dieu, Canaan, Bas-Delmas, Tabarre, Carrefour et Gressier, autrefois animés par une vie sociale et économique dynamique, sont devenus des zones de non-droit. Ces territoires sont sous le contrôle total des gangs, et la population locale vit dans la terreur quotidienne. La vie économique est paralysée : de nombreuses entreprises ont fermé leurs portes, laissant des milliers de personnes sans emploi. Les écoles sont désertées, les services publics sont absents, et même les infrastructures de loisir ont été abandonnées. Les cinémas, théâtres et night-clubs ne fonctionnent plus, et la scène musicale, autrefois vibrante à Port-au-Prince, est réduite au silence. Les groupes musicaux qui faisaient la fierté de la capitale ont pour la plupart quitté le pays, se réfugiant à l’étranger pour fuir cette violence omniprésente.
Pétion-Ville, bastion de la classe aisée, est l’un des rares endroits où un semblant de vie sociale perdure. Pourtant, même là, les chefs de gangs n’osent pas s’aventurer de peur d’être capturés ou abattus. Leur richesse leur donne accès à des véhicules tout-terrain blindés, mais elle ne leur offre aucune liberté. Ils ne peuvent pas se déplacer sans risquer leur sécurité. Paradoxalement, ils sont aussi prisonniers de leur propre violence que ceux qu’ils persécutent. Tout ce pouvoir et cette terreur ne leur apportent aucune satisfaction durable.
Des figures comme Izo, Barbecue et Lanmo San Jou ont érigé des empires criminels dans des délais records, grâce au trafic de drogue, d’armes et d’organes humains, ainsi qu’au kidnapping, qui est devenu une véritable industrie. Cependant, malgré l’argent accumulé, ces chefs de gangs ne peuvent vivre normalement. Ils ne peuvent pas déposer leur argent dans des banques sans risquer de s’attirer l’attention. De plus, leurs richesses ne peuvent pas être investies dans des activités légitimes. Ils sont contraints de cacher leur argent dans leurs demeures volées, où des piles de billets s’amoncellent, mal comptées et inutilisées. Ces criminels exhibent leurs fortunes sur les réseaux sociaux, non pas pour partager une vie de bonheur, mais pour assouvir un désir de reconnaissance désespéré.
En dépit de leur richesse, ces chefs de gang sont en réalité des pions manipulés par des parrains bien plus puissants. Ces derniers, des politiciens et hommes d’affaires corrompus, restent en arrière-plan tout en orchestrant la violence pour préserver leurs intérêts et leur pouvoir. Ils fournissent des armes et des ressources aux gangs, assurant la perpétuation du chaos tout en restant à l’écart des projecteurs. Ainsi, bien que les chefs de gangs semblent être les acteurs principaux de cette violence, ils ne sont que les instruments d’une stratégie plus large. Ils vivent dans une illusion de pouvoir, mais sont eux-mêmes prisonniers de cette dynamique.
Leur alliance avec les élites corrompues ne leur apporte ni bonheur ni liberté. Ils sont piégés dans un cycle de violence et de peur. Leur existence, fondée sur la terreur et les trahisons, est vide de sens. Ces hommes qui exhibent leurs biens matériels sur les réseaux sociaux, tout en amassant des fortunes, ne parviennent pas à échapper à l’enfermement psychologique que cette vie de criminalité leur impose. Ils sombrent dans une spirale de malheur, incapables de profiter des fruits de leur vie de violence.
En fin de compte, tout cet argent, tout ce pouvoir, n’apportent ni bonheur ni sécurité. Ils vivent reclus, constamment en fuite, craignant à chaque instant la justice ou la vengeance de leurs propres alliés. Leurs crimes, aussi monstrueux soient-ils, ne leur apportent aucune paix intérieure. Leurs existences sont marquées par l’isolement, la paranoïa et la peur, les rendant encore plus misérables que leurs victimes. Plus ils s’enfoncent dans la violence, plus ils s’isolent du monde, incapables de jouir de la vie publique sans risquer leur sécurité.
Leur marginalisation est totale. Incapables de se réinsérer dans la société, ils sont rejetés par une population qui les perçoit comme une menace permanente. Leur isolement ne se limite pas au plan social. Évoluant dans une économie souterraine et illégale, ils ne peuvent pas faire fructifier leur richesse. Chaque acte de violence qu’ils commettent les éloigne davantage de toute rédemption ou réintégration possible.
En s’isolant dans leurs fiefs, terrifiés par les conséquences de leurs propres crimes, ces chefs de gangs vivent un enfer quotidien. Le peuple haïtien souffre sous le joug de ces gangs. Mais l’histoire a montré que les tyrans finissent toujours par chuter. Ni l’argent ni la terreur ne leur garantiront une véritable liberté ou le « bonheur » qu’ils recherchent désespérément.