PORT-AU-PRINCE, mardi 5 novembre 2024– Au cours du mois de juillet deux mille vingt-quatre, la toile Networking haïtienne est envahie par des nouvelles ou des scoops les unes plus graves que les autres qui mettent la communauté nationale et internationale sur le qui-vive et certains membres du Conseil Présidentiel de Transition sur la défensive.
Quels en étaient les faits ?
Le 24 juillet 2024, une correspondance émanée du cabinet de Me Sonet Saint-Louis dénommé : le Prétoire & Associés a été adressée au Premier Ministre Garry CONILLE aux fins de dénoncer aux hautes autorités de l « exécutif le comportement corruptible de trois membres du Conseil Présidentiel de Transition qui auraient demandé au Président du Conseil de la Banque Nationale de Crédit ( BNC) un montant de cent millions de gourdes ( 100.000.000.00 gourdes) pour qu’ils le maintiennent à son poste à la tête de la BNC.
Selon les dires de l’avocat de Monsieur PIERRE-LOUIS, les trois Conseillers dénoncés sont Louis Gérald Gilles, Emmanuel VERTILAIRE et Smith AUGUSTIN. Des échanges téléphoniques et des rencontres ont été planifiés et tenues en des endroits différents : une rencontre aurait eu lieu chez le Conseiller Gilles à Pèlerin, Une à l’hôtel OASIS pour rencontrer le Conseiller Smith AUGUSTIN et une autre rencontre chez Monsieur Raoul PIERRE-LOUIS à qui on aurait demandé de préparer un diner pour les trois Conseillers, rapporte-t ’on.
Le Premier Ministre Gary CONILLE, de son coté, voulant faire lumière sur la question a décidé de saisir la Direction Générale de l’Unité de Lutte Contre la Corruption sur le dossier. L’ULCC ouvre son enquête sur le dossier et les Conseillers Présidentiels de Transition visés se sont rendus volontairement à l’ULCC qui les a interrogés ou auditionnés sur les faits de tentative de corruption à eux reprochés. Raoul PIERRE-LOUIS de son côté a été limogé de son poste et a laissé le pays pour cause d’insécurité. Et ce, vu que les autorités étatiques n’ont pas répondu positivement à sa demande en prenant des mesures pour assurer sa sécurité.
Ce dossier a défrayé la chronique et fait l’objet d’analyse et d’opinions diverses dans les médias par des acteurs et des politiques tant sur le plan national et qu’international. Certains y trouvent moyens politiques pour combattre leurs adversaires politiques et faire avancer leurs causes.
Certains autres s’en prennent au côté moral et éthique ou sur le plan axiologique pour fixer leur position et d’autres acteurs jugent les faits comme des manœuvres et des tractations politiques perpétrées par des acteurs en dehors du pouvoir dans le but d’atteindre leurs objectifs. Certains considèrent les faits comme des stratégies politiques utilisées par une catégorie au sein même des équipes au pouvoir pour éclipser une autre catégorie (implosion).
Face à ce scandale politique entre les trois membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le Président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC), une analyse politique se révèle nécessaire en vue de dégager la signification qu’on pourrait donner à ce fait social. Cette analyse sera faite selon un plan triptype.
Dans un premier temps nous essayons de définir le concept « Fait social, dans le deuxième temps nous essayons d’identifier les principaux acteurs , leurs positions et leurs enjeux et intérêts sur le terrain politique et troisièmement nous analysons les faits en rapport au concept de corruption en Haïti considérée comme un phénomène global et pour conclure nous essayons de tirer sur la base de cette analyse faite une signification de ce scandale politique considéré comme un fait social.
Dans son ouvrage intitulé : les règles de la méthode sociologique, au chapitre premier : « qu’est-ce qu’un fait social » il définit quatre règles pour l’observation des faits sociaux.
Cette manière d’agir imposée par la société sur les individus trouve son corolaire dans la perception même du pouvoir en Haïti.
La conception du pouvoir en Haïti fait des acteurs politiques au pouvoir, des hommes à tout faire ou qui croient pouvoir tout faire. Mais le pouvoir a quatre pôles d’influence : Le pouvoir de faire, le pouvoir de faire faire et le pouvoir d’empêcher de faire ou le pouvoir de nuisance. Par les enjeux et les intérêts des protagonistes ou de chaque groupe, ils cherchent à exercer un pôle du pouvoir. Est-ce pourquoi, pour analyser ce fait, il importe de bien identifier les acteurs, les enjeux et les intérêts en présence aux fins de bien dégager la vraie signification de ce scandale comme un fait social.
Au sein des partis représentés au conseil Présidentiel de Transition, les enjeux pour l’exercice réel du pouvoir sont très forts. Chacun des sept membres du CPT, au départ, voulait assurer la présidence ou la coordination du Conseil Présidentiel de Transition. Chaque parti ou bien groupe de partis essaie d’avoir ou cherche à avoir une certaine prédominance sur les autres aux fins d’avoir une certaine légitimité aux yeux de la population et des opérateurs économiques. Ce qui peut provoquer une certaine tension à l’interne.
Le Chef du Gouvernement, Monsieur Gary CONILLE, imposé en grande partie par la Communauté Internationale, selon les dires de certains opposants politiques, ainsi que son équipe, se croyant être des enfants légitimes de cette Communauté, veulent bien tenir la dragée haute aux Membres du Conseil Présidentiel de Transition, sachant bien que le centre du pouvoir n’est pas en Haïti, mais aux USA . Ils peuvent avoir des intérêts dans l’affaiblissement du Conseil, ce qui pourrait lui permettre d’exercer une certaine influence sur certains membres,
Les partis non représentés ou non alliés au CPT ou à l’équipe au pouvoir trouvent assez de justification pour prouver que les acteurs au pouvoir ne sont pas à la hauteur de leurs tâches et ce, d’autant plus qu’ils sont versés dans la corruption. Donc ils ont des intérêts à lutter pour le départ de cette équipe en vue de prendre le pouvoir ou de les remplacer par des proches. Ils mettent en avant la cause du peuple haïtien qui n’est pas défendue par les acteurs au pouvoir.
En dernier lieu, il y a la population qui est un acteur clé, considérée comme la victime expiatoire contre laquelle agiraient tous les agents corrupteurs qui sont au Pouvoir. Le peuple a tout intérêt de voir que la justice sévisse contre ces derniers. Car la corruption cause des préjudices moraux et matériels à tous.
Donc, ce scandale qui est considéré comme un fait social pourrait s’apprêter à devenir un fait politique dans une société haïtienne en état de veille, non bridée par les menaces des agents des forces parallèles. Car, comme a dit Carn. Infos dans son texte publié, intitulé “le phénomène politique” : “ le fait social devient phénomène politique dès lors que la société en prend conscience comme d’une partie intégrante de sa structure “. (Google consulté le dimanche 3 novembre 2024).
Il montre bien que les valeurs morales s’effritent, et les vertus cardinales qui devraient guider les actions et les pas de nos hommes d’état n’existent plus. Ce qui peut affecter notre image sur le plan international et entraînera des conséquences sur le destin du peuple haïtien.
Le scandale politique entre les trois membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le Président du Conseil de la Banque Nationale de Crédit (BNC)` fait également éclater aux yeux de la communauté nationale et internationale que la corruption a pris une proportion démesurée au point qu’elle est devenue une maladie endémique, un phénomène global, touchant tous les secteurs de la société haïtienne.
Il montre bien l’état de nos hommes politiques qui font peu de soucis des intérêts collectifs et nationaux, se servent de leurs fonctions pour régler leurs propres affaires et s’enrichir illicitement au détriment du peuple haïtien.
Ce Scandale politique nous montre également que le pays ne peut aller nulle part sans une véritable révolution au niveau mental et sans une véritable lutte contre la corruption.
Comment imaginer que des hauts responsables chargés, même de fait, de veiller au bon fonctionnement des institutions étatiques, républicaines se mettraient à vendre des postes de directions générales à des tiers ?
Qu’est-ce qu’on pourrait attendre de quelqu’un qui achète un poste à prix d’argent sinon que de travailler pour tirer le bénéfice de son investissement ?
Comment expliquer une telle dérive au sommet de l’Etat Haïtien ?
Comme dit Emile DURKHEIM, la cause déterminante d’un fait social doit-être cherchée parmi les faits sociaux antécédents et non parmi les états de la conscience individuelle.
A bien analyser la situation, cette pratique de vente de poste au sein de l’Etat ne date pas d’aujourd’hui. Le Sénateur Gabriel FORTUNÉ, avant sa mort, eut à dénoncer cette pratique au niveau de la ville des Cayes où des hommes politiques vendaient des postes de Commissaires et de substituts Commissaires á des hommes de loi au niveau du Parquet de la Juridiction des Cayes.
Le Sénateur Anacacis Jean Hector eut à déclarer, sur les antennes des stations de radio de la Capitale, que, pour voter la politique générale du Premier Ministre Laurent S. LAMORTHE, Chaque sénateur aurait reçu une enveloppe de quarante mille dollars américains. Cette pratique est récurrente, endémique et systémique au point que le pouvoir est considéré comme un espace où les hommes politiques viennent changer leur statut économique. Et ce, avec moins de risque d’être poursuivi par la justice haïtienne.
Ce changement de statut économique visé par les acteurs épinglés confirme bien la quatrième règle d’Emile DURKHEIN sur l’observation des faits sociaux qui est la fin sociale poursuivie par les acteurs dans la commission de leur acte de corruption. Car, comme dit DURKHEIM : « la fonction d’un fait social doit toujours être recherchée dans le rapport qu’il soutient avec quelque fin sociale. » Donc, tous pauvres qu’ils étaient, ils veulent dans une poussière de temps changer leur statut économique.
Ce scandale revêt un cachet particulier, et c’est là pour moi la signification de ce fait social. Le temps de la fin de la corruption approche à grand pas dans la conscience des citoyens haïtiens qui commencent à se rendre compte des conséquences du phénomène de la corruption et de son impact sur tous les secteurs vitaux de la vie nationale. Du scandale Petro caribe au scandale du CPT/ Raoul PIERRE-LOUIS, ce sont des indicateurs ou des signes avant-coureurs qui rappellent aux hommes politiques, Hauts fonctionnaires de l’Etat, cadres et futurs cadres du pays, que la société ne tolère plus que le budget national et l’argent de l’Etat soient servis à d’autres fins que l’exécution des travaux pouvant servir la communauté historique. Le réveil a commencé par porter du fruit avec les rapports de l’ULCC qui, pour le moins, constituent même des sanctions morales et affectent quand même l’image des hommes politiques qui ont mal servi le pays ou qui ont volé l’argent de l’Etat et s’enrichissent illicitement au détriment des intérêts collectifs. Un jour, la justice prendra le relais et ils connaitront leurs sorts.
Écrit à Olivier, 2ème plaine de Petit-Goâve, le 30 octobre 2024.
Me. AUNONDIEU GESTE, AV.
CRIMINOLOGUE,
ANCIEN Juge / Juge d’instruction
Etudiant en Sciences Politiques.