Par Mouvement Mutation Haïti (MMH),
OUANAMINTHE, mercredi 13 septembre 2023- Fermer les frontières pour ouvrir d’autres frontières ; Ouvrir le canal pour fermer la dépendance économique.
Aujourd’hui, le théâtre mis en scène par le président dominicain Luis Abinader défraye la chronique comme ferait tout bon artiste digne de ce nom. Il existe une rivière qui sépare Haïti de la République dominicaine : la rivière Massacre. Au matin du mois de septembre 2023, la population du Nord’est a jugé bon de reprendre les travaux de construction d’un canal qui doit être relié à la rivière Massacre afin d’irriguer les centaines d’hectares agricoles en Haïti. Le canal est connecté, dans une jubilation à nul autre pareil. Le président Abinader, aussitôt informé, s’est révolté et a exigé la fermeture des travaux dudit canal. La population du Nord’est s’est opposée aux prétentions du président Abinader. Les travaux ont bel et bien continué. L’espoir que les terres agricoles de la région nordésienne soient baignées par les eaux de la rivière Massacre a vu le jour.
Par la présente, le MMH s’engage, au nom de la raison, à soumettre à l’opinion publique, quatre (4) observations.
Première observation : un incident diplomatique inutile, des remous économiques infondés.
L’extrême déferlement des mesures du président Abinader est une certitude mathématique que ce qui se passe aujourd’hui sur la frontière est l’ombre de ce que nous ne voyons pas. De toute évidence, il y a anguille sous roche. Les grandes décisions infondées du président Abinader dissimulent un stratagème avec des objectifs géopolitiques et économiques inconnus du commun des mortels. Le conflit pivotant autour des travaux d’un simple canal n’est qu’un prétexte pour initier cette saga. L’excès des mesures intenables du président Abinader en est la preuve irréfutable. Promettre de rompre toute relation diplomatique et commerciale avec Haïti, à cause d’une prise symbolique et non préjudiciable aux eaux partagées d’un canal, est un fardeau que le peuple dominicain aura du mal à supporter et un mal qui fera du bien au peuple Haïtien. Ce n’est qu’une cause occasionnelle provoquée. Les chercheurs en cette matière nous en diront bientôt davantage sur les objectifs réels de ces envolées diplomatiques, à la veille des rencontres internationales devant statuer résolument sur le cas d’Haïti.
De tout ce qui précède, les mesures excessives du président Abinader cachent la forêt. Les intérêts économiques, les opportunités électoralistes et des objectifs diplomatiques dissimulés sont, sans nul doute, les racines de ces remous.
Par ailleurs, l’on se rappellera que ce problème a été déjà posé et résolu en 2021. Après maintes discussions bilatérales, l’Institut National des Ressources Hydrauliques avait soumis ses conclusions techniques incontestées qui ont mis fin aux débats: « Les plans du gouvernement haïtien de construire une prise d’eau dans le canal de la rivière Massacre ne causeraient pas de graves dommages aux systèmes agricoles dans la région de Dajabón, puisque le débit d’eau utilisé serait inférieur à la quantité totale de liquide détourné vers la République dominicaine ».
Deuxièmement : La construction d’une prise sur la rivière Massacre est légale
La législation est un processus de socialisation efficace qui rend possible la vie en communauté. Lorsque les conflits surgissent entre des peuples, ce sont les textes législatifs (Traité, accord, conventions) qui sont à la base des règlements. Le peuple Haïtien vient de décider d’achever les travaux de construction d’une prise à la rivière Massacre, sans en altérer le débit ou en changer le cours naturel. Le travail repris par les paysans ne constitue ni une dérivation du lit de la rivière, ni une privation d’usage par un tiers. Cette décision est foncièrement légale au regard des dispositions de l’article 10 du Traité de paix, d’amitié et d’arbitrage du 20 février 1929 dont la teneur suit : « En raison de ce que des rivières et autres cours d’ eau naissent sur le territoire d’un des deux États, traversent sur le territoire de l’autre ou leur servent de limites, les deux Hautes Parties contractantes s’ engagent à ne faire ni consentir aucun ouvrage susceptible soit de changer le cours naturel de ces eaux, soit d’ altérer le débit de leurs sources. Cette disposition ne pourra s’interpréter de manière à priver 1’un ou l’autre des deux États du droit d’user d’une manière juste et équitable, dans les limites de leurs territoires respectifs, des dites rivières et autres cours d’eau pour l’arrosage des terres et autres fins agricoles et industrielles ». Il en résulte qu’il n’existe aucune violation du Traité qui gouverne la gestion de la Rivière Massacre, comme cela a été expliqué par le Dr Maismy Mary-Fleurant, à la radio télé métropole, ce lundi 11 octobre 2023.
Néanmoins, dans l’hypothèse qu’il aurait existé un autre document (traité, accord ou convention) autorisant les dominicains à tempêter de la sorte, il sied de rappeler que si ce document signé clandestinement, n’a pas été l’objet d’une approbation du Parlement Haïtien, il n’a aucune force de loi. Il est nul et non avenu. Seul le Traité de 1929 prévaut, outre les dispositions de l’Accord frontalier de 1935 et le Protocole de révision des frontières de 1936.
Troisièmement : Une nouvelle opportunité pour Haïti et le signal d’un malheur qui nous invite à un avenir meilleur.
En effet, les menaces du président Abinader sont excessives et illégitimes. Le Conseil de sécurité nationale a décidé de suspendre définitivement l’entrée de toutes les personnes impliquées dans le conflit ; cesser de délivrer des visas aux citoyens haïtiens jusqu’à nouvel ordre; maintenir la fermeture totale de la frontière à Dajabón et, si le conflit n’est pas résolu d’ici jeudi, fermer complètement la frontière pour le commerce terrestre, maritime et aérien.
Évidemment, cette précipitation nous laisse entrevoir la radiographie de la précarité d’Haïti vis-à-vis de la République Dominicaine. Si elles sont appliquées, ce qui est improbable, elles auront enseigné au peuple haïtien l’économie d’un pays souverain. En conséquence, le peuple haïtien doit s’indigner et transformer ces présages en opportunités. Nous savons tous que la dépendance économique d’Haïti vis-à-vis de la République Dominicaine est sans équivoque. De même, leur richesse dépend significativement des consommateurs haïtiens auxquels ils délivrent trop facilement leurs bonnes et mauvaises marchandises, dans la foulée de violation des droits humains assortie de déportation massive, l’une des entreprises les plus rentables en République Dominicaine (déporter les Haïtiens le matin et les faire pénétrer clandestinement dans le pays le soir, sous le regard consenti des autorités dominicaines). Ce qui en retour, leur rend également vulnérable et dépendant d’Haïti, à un autre niveau. Donc, il revient au peuple haïtien de changer le paradigme, d’ouvrir conditionnellement ses frontières à d’autres peuples en attendant un sursaut économique national axé sur la promotion de la production nationale en général et la promotion de l’agriculture en particulier.
Quatrièmement : La voie ouverte est l’arbitrage et non des sanctions diplomatiques expéditives
Du reste, l’on se souviendra des dispositions de l’article 3 du Traité de paix, d’amitié et d’arbitrage, signé à Santo Domingo, par les deux pays, le 20 février 1929 : « Les Hautes Parties Contractantes s’engagent à soumettre à l’arbitrage tous les différends de caractère international qui pourraient surgir entre elles en raison de la réclamation d’un droit formulé par 1’une contre 1’autre en vertu d’un traité ou autrement, réclamation qu’ il n’ a pas été possible de régler par la voie diplomatique et qui est de nature juridique parce que susceptible de décision par 1’application des principes du droit ».
Il en ressort que le président Abinader refuse de prendre la voie de la raison qui est l’Arbitrage. Ce n’est pas au peuple dominicain, dans l’hypothèse qu’il se croit victime, de se donner raison ou d’infliger des sanctions diplomatiques expéditives au peuple haïtien. C’est la voie de l’arbitrage internationale qui en est ouverte. Donc, tous azimuts, la volonté arbitraire du président Abinader est le vecteur directeur de toute une saga dont l’arbre cache la forêt.
Somme toute, le moment est venu pour renverser les effets négatifs d’une attaque diplomatique et commerciale injustifiée initiée par le président Abinader, au nom du peuple dominicain. Tout en évitant les défenseurs du canal à la vigilance, de veiller aux infiltrations, aux scènes de violence et actes illégaux, et aux coups bas, nous portons la conviction que le président Abinader perdra la face dans ses envolées diplomatiques à forte connotation électoraliste et certainement inspirées des intérêts géopolitiques dissimulés. Si l’actuel Gouvernement Haïtien, incapable à répondre aux besoins du peuple et attentionné quant aux arrêts des travaux, trahit les intérêts du peuple, ce problème resurgira aussi longtemps que les inégalités sociales et agricoles prévalent. Le peuple haïtien a besoin de créer la vie. Et l’ouverture du canal vers la rivière Massacre en est le signe microscopique d’un avenir qui s’annonce, d’un réveil qui résonne. De l’eau + des parcelles clôturées + des techniques + de l’orgueil, voilà les ingrédients d’une nouvelle alimentation nationale dont la souveraineté en est le résultat. Le président Abinader défend les intérêts de son peuple, c’est à nous de défendre les nôtres. Construire dans l’intérêt collectif et dans le respect des normes n’est pas une infraction. Cela n’entrave nullement l’ordre public. Alors, qui saurait s’opposer à une action légale et légitime ? Or, les dés sont jetés. Si le président Abinader fléchit dans l’exécution des mesures annoncées, il n’est pas digne de rester au pouvoir.