Paris, 30 juin 2021- 1. Comme il a été indiqué dans un court message publié sur les réseaux sociaux, notre opposition avec l’acte adopté par le Directeur Général de L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) est désintéressée. Elle ne doit pas être comprise comme une inimitié politique ou une menace à l’égard de ce dernier, même si la menace de droit est admise dans la matière pénale.
Au contraire, elle s’inscrit dans la politique juridique de changement de notre État de droit poussif actuel. C’est d’ailleurs dans ce sens que nous nous sommes opposé parfois aux réflexions de l’ancien Bâtonnier Monferrier Dorval et Me Samuel Madistin, deux éminents juristes dont nous apprenons régulièrement certaines arguties juridiques.
En ce sens, nous avons critiqué la thèse du « Droit à la nationalité » évoquée par Monferrier Dorval dans son dernier ouvrage pour expliquer que la consécration constitutionnelle d’une notion ne confère pas automatiquement un droit aux individus. Pour être reconnue comme un « droit », la méconnaissance de cette notion doit ouvrir le droit au recours juridictionnel. Or, le refus d’octroi la nationalité en Haïti ne confère pas le droit d’exercice de recours juridictionnel au bénéfice de l’individu.
Dans le même ordre d’idées, nous avons critiqué la dénomination de « Commission de sécurité pour les avocates/avocats en danger » instituée par le Barreau de Port-au-Prince sous l’égide de notre confrère-aîné Maître Mario Delcy. Ainsi, nous avons rappelé que le droit à la sécurité est une obligation des pouvoirs publics, intransférable aux personnes morales privées, même celles ayant une mission de service public comme l’Ordre des Avocats.
La transformation politique de nos critiques ne doit pas ébranler nos savoirs et notre engagement citoyen pour apporter un éclairage au scandale judiciaire de l’ULCC dans le dossier des Boulos, de l’Étude du Notaire Céant et Consorts.
En effet, des investigations sont ouvertes sous l’instigation de l’ULCC dans le cadre d’un prêt consenti par la société RBI à l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA).
Au cours de ces investigations, des faits de corruption seraient révélés à l’encontre de certains associés de ladite société, dont l’homme d’affaire et le politique Docteur Pierre Réginald Boulos. C’est dans ce contexte que le Directeur Général de l’ULCC a « ordonné à toutes les banques et institutions financières de geler la somme de deux cent soixante millions (26.000.000,00) de gourdes se trouvant sur les comptes bancaires des associés suspectés à titre de la somme détournée et « d’amende ».
À l’appui de son « ordonnance », le Directeur Général de l’ULCC se reconnaît le statut d’Officier de Police Judiciaire avec la casquette de Gendarme Anti-Corruption de la République et fonde la légalité de sa décision sur les articles 5.3 de la loi du 9 mai 2014 sur la Corruption et 58 de la loi du 11 novembre 2013 sanctionnant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
S’il est vrai que « l’ordonnance partielle » du juge Ramoncite Accimé dans l’affaire Petrocaribe pourrait être comprise comme une erreur procédurale en raison de la méconnaissance de la loi, l’acte adopté par le DG de L’ULCC dans le dossier Boulos/ONA paraît un scandale judiciaire dans la justice pénale haïtienne.
À cet égard, il importe de démontrer l’inexistence de statut juridique dudit acte avant de déterminer la prétention de juge judiciaire que s’attribue ledit DG.
I – L’inexistence de statut juridique de l’acte de gel
L’acte de justice peut revêtir le caractère soit de mesure d’administration judiciaire, soit d’acte juridictionnel. Dans le premier cas, la décision de l’autorité est insusceptible de recours contentieux. C’est dire que celle-ci s’inscrit dans le cadre de la bonne administration de la justice. Dans le second cas, la décision peut être contestée devant les juridictions judiciaires supérieures (opposition, appel, pourvoi en cassation, révision etc.).
Il importe de préciser que ce pouvoir décisionnel est conféré au commissaire du Gouvernement et juge judiciaire (art. 3 de la loi du 20 décembre 2007 portant le statut de la Magistrature) dans la procédure pénale haïtienne.
De fait, la combinaison des articles 7 et 11 du décret du 8 septembre 2004 portant création de L’ULCC consacre le statut de simple OPJ au Directeur Général de l’ULCC. D’ailleurs, le DG l’a reconnu dans son acte en évoquant clairement son statut de « Gendarme ».
En vérité, nous avons inventé en toute humilité le statut de Gendarme de L’ULCC dans le cadre du conflit opposant l’ancien DG de L’ULCC, Maître Claudy Gassant et l’ancienne diplomate haïtienne, Judith Exavier. Mais, le contexte dans lequel le DG actuel de L’ULCC a repris cette notion vide celle-ci de son sens du fait qu’il se soustraie au principe de légalité.
Bien que le DG soit reconnu comme un excellent juriste, le recours à cette « décision judiciaire » donne l’impression que ce dernier mésinterprète l’article 12 du décret de 2004 susmentionné, en ce que celui-ci offre effectivement la prérogative aux agents de L’ULCC de procéder à des saisies en cas de perquisition.
Toutefois, ce pouvoir coercitif s’inscrit dans l’esprit des articles 10 et 28 du Code d’instruction criminelle (CIC) combinés. Dans ce cadre, les agents de l’ULCC agissent en qualité de simple OPJ placé sous l’autorité du parquet, ou le cas échéant, du juge d’instruction en cas de procédure de l’information.
De ce fait, la saisie diffère complètement des opérations de gel et de confiscation, même si les trois consistent à placer les biens des individus suspectés sous main de justice.
À la lumière de ces analyses, l’acte adopté par le DG de L’ULCC à l’encontre des associés de la société RBI est dépourvu de statut juridique et n’entre pas dans le champ de la matière pénale pour défaut de qualité.
Dès lors, il est inutile de l’attaquer devant les instances judiciaires, et les banques et institutions financières ne devraient pas l’exécuter sous peine d’engager leur responsabilité. Dans cette optique, il ne pourrait évoquer l’article 400 du CIC pour éviter sa poursuite pénale devant l’instance correctionnelle, puisqu’il n’aurait pas le statut de témoin.
Ce défaut de qualité laisserait entrevoir la prétention par le DG de la qualité du « juge judiciaire sans statut ».
II – La prétention du titre de « magistrat judiciaire »
Il est prétentieux que le DG de L’ULCC se substitue à l’autorité judiciaire dans la matière pénale. Au vrai, les opérations réalisées par les agents de L’ULCC entrent dans le domaine de l’action répressive.
Néanmoins, le législateur haïtien organise la poursuite pénale de telle sorte que chaque acteur se voit confier des tâches dans le cadre de la justice pénale. À cet effet, la phase préparatoire du procès est confiée à des acteurs déterminés, et le procès se déroule sous l’égide du juge.
Au stade de la phase préparatoire du procès pénal, le DG de L’ULCC remplit le rôle de simple OPJ au regard de la hiérarchie établie dans la chaîne pénale, que ce soit dans la phase d’enquête (art. 10, 12, 41, 42 CIC) ou dans celle de l’information (instruction) ( 46 et 69 CIC).
En l’espèce, puisque l’affaire Boulos/ONA ne fait pas à ce jour l’objet de l’information, le DG de L’ULCC devrait saisir directement le commissaire du Gouvernement s’il estimait que des soupçons de corruption pesaient sur les Boulos et consorts. À cet égard, il incomberait au parquet de solliciter du Cabinet d’instruction le gel de la somme susmentionnée (art.37 CIC et 46 de la Loi du 11 novembre 2013 sur le blanchiment de capitaux et le financement des capitaux).
Dans ce sens, le commissaire du Gouvernement pourrait contourner le « pouvoir de filtrage » du juge d’instruction en saisissant directement le Doyen près le tribunal de première instance de Port-au-Prince afin de procéder à la confiscation de la somme en cause en cas d’impossibilité d’exercer l’action publique à l’encontre des personnes physiques (art. 65 de la Loi du 11 novembre 2013 sur le blanchiment de capitaux et le financement des capitaux).
Il en ressort que le DG de L’ULCC se transforme, par l’adoption de cet acte, en un véritable juge judiciaire.
En s’attribuant le pouvoir juridictionnel pour ordonner le gel de ladite somme sur les comptes des personnes suspectées dans le cadre de ce dossier, ledit DG excède de son pouvoir de police judiciaire, comme il l’a lui-même reconnu dans son acte, et s’expose à des poursuites sévères au regard de la combinaison des article 85 et 150 du Code pénal. Car les articles 7 et 11 du décret du 8 septembre 2004 créant L’ULCC le cantonnent dans un lien hiérarchique judiciaire dans la matière pénale, notamment avec le parquet.
Partant, tout pouvoir décisionnel de gel ou de confiscation relève de l’autorité judiciaire. D’ailleurs, le législateur de 2013 se préoccupe tellement des droits fondamentaux qu’il soustrait un tel pouvoir au commissaire du Gouvernement qui est lié hiérarchiquement avec le ministère de la Justice et de la sécurité Publique.
C’est dommage que le DG ait ambitionné la fonction de « juge judiciaire » au mépris du législateur. D’autant qu’il associe la peine « d’amende » à son acte. C’est un véritable juge en action !
L’on doit craindre que cette initiative n’exprime pas un message politique à l’égard des opposants de l’ancien président Jovenel Moïse, dont le Dirigeant de MTV Haïti, Pierre Réginald Boulos et l’initiateur d’État du procès Petrocaribe, Jean-Henry Céant.
Il se peut que cet acte traduise également un « show off » d’autorité.
En tout état de cause, l’on doit reconnaître au Directeur Général de L’ULCC la qualité d’un juriste affirmé et fourni.
Me Guerby BLAISE
Avocat et Doctorant finissant
en Droit pénal et Procédure pénale
Centre de droit pénal et de criminologie
École doctorale de Paris Nanterre