Par Guichard Doré,
PORT-AU-PRINCE, mardi 1e août 2023-C’est avec stupéfaction que j’ai appris la nouvelle du décès de Liliane Pierre Paul. J’ai connu LiLi personnellement. Très jeune, j’ai coordonné le journal de 4 heures en 1996. C’est à la radio Kiskeya que j’ai appris à écrire le créole et à développer mes capacités de synthèse. A l’époque, Stéphane Pierre Paul, Valery Numa, Wesly Delerme (…) faisaient partie de l’équipe de la salle des nouvelles. Elle est partie à un moment où la presse haïtienne est en crise et le pays, lui-même, connaît la crise multidimensionnelle la plus profonde de son histoire.
Avec la disparition de Liliane, c’est le journalisme militant haïtien qui a pris un coup dur mais, c’est aussi une carrière de près de 50 ans consacrée à la liberté d’expression et la promotion de la langue créole qui s’achève. Avec le décès de Liliane Pierre Paul, la gauche haïtienne connaît une perte importante qui sera difficile à combler. C’est une figure médiatique et politique enracinée idéologiquement qui s’en va pour l’au-delà avec, bien sûr, le sentiment d’avoir aidé son pays natal à sortir des griffes de la dictature.
La presse haïtienne est en deuil avec la disparition de l’icône du journal de 4 heures. Une voix sublime qui traverse les générations s’éteint. L’émission « Intérêt public » que Lili anime depui plus de 20 ans a fait la différence sur la bande FM. Avec cette émission sociopolitique et historique d’une qualité rare, c’est toute la classe politique et intellectuelle du pays qui est à l’écoute. Par ce rendez-vous dominical, on mesure l’importance d’une presse qui informe, analyse les faits d’actualité et forme le public. L’intérêt public est une émission pluraliste tant du point de vue politique qu’idéologique. Ces types d’émissions sont indispensables à l’épanouissement de la démocratie et au développement personnel des jeunes.
Nous vivons dans une période où le bruit et le « zen » se popularisent et font une concurrence déloyale à la bonne information, le vedettariat se démocratise et les médias sociaux redéfinissent nos rapports avec l’information. Dans ce carrefour historique où tout se rencontre et circule, il est plus que nécessaire à ce que les journalistes réfléchissent sur le devenir de leur profession. Aujourd’hui, le contenu de certaines émissions démontre un déficit de qualité. Le temps est venu d’organiser le sommet de la presse haïtienne. C’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Liliane Pierre Paul.
La qualité des programmes des médias est le meilleur moyen de protéger la liberté d’expression, de promouvoir la démocratie et le pluralisme idéologique. Il est un fait certain que la presse haïtienne a soutenu l’idéal démocratique et continue à le faire en dépit des difficultés rencontrées. Des journalistes ont payé de leur vie en cherchant des informations pour le public dans les territoires perdus de la république. Liberté d’expression conquise par la génération de Liliane Pierre Paul dans les luttes pour l’émancipation doit-être renforcée par la qualité des émissions.
Ayant commencé ma vie professionnelle dans les médias et connaissant les efforts qui restent à faire pour la consolidation de la démocratie en Haïti, je crois qu’il est important de doter le pays d’une instance indépendante de régulation des médias. Une Autorité Nationale de l’Audio-visuel (ANA) est nécessaire en Haïti pour réguler ce secteur qui est en plein développement.
Par peur ou par paresse, l’Etat n’a jamais eu une politique des médias alors que dans les anciennes démocraties et dans la plupart des pays en transition démocratique, pour éviter les dérives médiatiques, protéger le public et soutenir la démocratie, l’Etat crée une Autorité Nationale de l’Audiovisuel chargée de réguler les médias. L’accès à la communication audiovisuelle et le contenu de la communication audiovisuelle exigent l’application des règles juridiques. L’ANA est une institution publique indépendante qui devra préserver la liberté des médias, veiller au respect des lois par les responsables des médias (les éditeurs et diffuseurs), travailler avec les organismes publics concernés par l’autorisation de fonctionnement des médias électroniques, etcétéra .
Notre démocratie a besoin d’une presse plurielle garant des libertés d’expression et qui véhicule des contenus de grande qualité pour l’information et la formation du public. Le sommet de la presse s’impose afin de renforcer ce secteur d’activité nécessaire au développement du pays.
Pour finir, en ce moment pénible pour la presse haïtienne, j’exprime mes sincères condoléances à la famille de Liliane Pierre Paul, à toute l’équipe de la Radio Kiskeya, à tous les membres de la corporation de la presse et des médias et à toutes celles et à tous ceux qui sont éplorés-es par le départ de ce monument de la presse.