L’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse ne répond ni aux critères d’un crime international par nature ni à ceux du Statut de Rome, selon Me Guerby Blaise

Jovenel Moise, ancien president d'Haiti

Paris, mardi 24 août 2021-1. La commission du droit international proclame deux catégories de crimes internationaux. Il s’agit, d’une part, de crimes de droit international « par nature, et de crimes de droit interne par l’effet d’une Convention en raison de leurs conséquences qui dépassent les frontières (Annuaire de la Convention du droit international, Statut de Rome et Convention Palerme de 2000).

  1. L’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse ne répond ni aux critères d’un crime international par nature ni à ceux du Statut de Rome.
  2. En revanche, au regard de la Convention de Palerme du 15 novembre 2000, cet assassinat s’apparente à la « criminalité transnationale organisée » en raison des actes préparatoires réalisés dans plusieurs États dont les États-Unis d’Amérique, la Colombie, la République Dominicaine etc. À cet égard, la poursuite du crime relève de la compétence territoriale d’un ou plusieurs États et non de celle d’un « Tribunal international » (art. 15 Convention de Palerme).

Donc, le glissement de l’ordre interne à celui international est mal introduit par le ministère des Affaires Étrangères, en tant qu’elle sollicite l’intrusion des Nations Unies dans la recherche de la vérité dans le cadre de cette affaire.

  1. Malheureusement, Guichard Doré, l’un des anciens conseillers de Jovenel Moïse emprunte cette maladresse à la Chancellerie haïtienne. Pour justifier la compétence du tribunal pénal international, ce dernier a qualifié l’assassinat de Jovenel Moïse d’acte de terrorisme en se fondant sur le décret ANI de 2020.
  2. Honnêtement, il apparaît que Monsieur Doré s’est trompé de bonne foi en suggérant à la justice de retenir l’infraction susmentionnée.
  3. La thèse de Guichard Doré se heurte à deux difficultés.

En premier lieu, un décret ne peut édicter des mesures coercitives, c’est-à-dire l’emprisonnement, la perquisition, la garde à vue, la détention provisoire (art.24.1Const).

En second lieu la loi du 14 novembre 2013 subordonne l’infraction de terrorisme à deux conditions cumulatives : le décès d’une personne physique et « l’injonction au gouvernement ».

  1. Dans ce contexte, la cruauté de cet assassinat infâme ne peut pas justifier la violation du « principe de légalité criminelle » dans la phase préparatoire du procès pénal.
  2. En pareils cas, puisque ce crime est de nature transnationale, les autorités publiques haïtiennes peut se recourir à la justice états-unienne par «application de la loi pénale ds l’espace » et non au Conseil de Sécurité des Nations-Unies comme le suggère l’Office de Protection des citoyens et certains anciens députés de la 50e législature.
  3. Ce substitut procédural extraterritorial peut épargner la privation d’accès à la justice aux personnes soupçonnées.
  4. La thèse de CARDH relative à la constitution d’un tribunal spécial est erronée selon le principe de la légalité de l’établissement du tribunal (art. 173. Const).

Cette thèse ne correspond pas non plus à la justice pénale internationale, qui n’intègre pas d’ailleurs notre droit par défaut de ratification du Statut de Rome.

  1. L’on est conscient de l’émotion des citoyens et des autorités publiques que suscite l’assassinat d’un président de la République en fonction. Néanmoins, il est insensé de prétendre à inventer une « procédure pénale spéciale » pour un crime dont le champ d’application est déjà déterminé par la loi et une Convention.
  2. De ce fait, il est souhaitable que les autorités politiques haïtiennes lisent de façon fouillée la Convention de Palerme afin de comprendre qu’il est illusoire de croire que cet assassinat entre dans le champ de la « justice pénale internationale ». La lecture de cette Convention les conduirait à concéder sur l’assassinat relève au contraire de la criminalité transnationale organisée (art.2 et 3 Convention de Palerme).
  3. Le crime transnational organisé n’entraîne pas une enquête internationale, mais emporte la compétence d’une ou des États intéressés en vertu des principes de territorialité et de souveraineté (art. 4 et 15 Convention de Palerme).
  4. À cet égard, l’ingérence des Nations Unies n’est pas admise (art. 4 Convention de Palerme) et les techniques d’enquêtes spéciales insérées à l’article 20 de ladite Convention doivent cantonner dans le strict respect du droit national. C’est pourquoi d’ailleurs le collège de l’instruction viole l’article 44 du code d’instruction criminelle haïtien, qui institue un juge d’instruction unique dans la procédure de l’information (instruction).
  5. Dans ce cadre, le gouvernement haïtien peut laisser l’affaire sous l’autorité de la justice états-unienne (art.15 Convention ou en solliciter des enquêtes conjointes (art.19). D’autant que le rapport du RNDDH et les révélations du journal New York Times démontrent la complexité de l’affaire Jovenel Moïse.
  6. Il faut donc un juge d’instruction qui ne connaît pas le droit haïtien et la Convention de Palerme de 2000 de manière superficielle pour découvrir la vérité judiciaire.
  7. À défaut de compétence interne, les autorités politiques de pencher vers l’application de la procédure instituée par la Convention susmentionnée si elles ne cherchent pas à dissimuler la vérité judiciaire dans le cadre de cet assassinat révoltant.
  8. Nous espérons que les autorités haïtiennes et la communauté des juristes sont enfin édifiées, car nous n’interviendrons plus sur ces deux aspects dans cette affaire (compétence juridictionnelle et l’illégalité du collège de l’instruction).

 

Me Guerby Blaise

Doctorant finissant en Droit pénal et Procédure pénale

Centre de Droit pénal et de Criminologie

École doctorale de l’Université Paris Nanterre