Par Guichard Doré,
PORT-AU-PRINCE, lundi 14 août 2023- C’est avec regret que j’ai appris la triste nouvelle du décès de l’ancien président provisoire de la République, Me Boniface Alexandre. En dépit de son âge avancé, l’ancien président Alexandre n’a pas ménagé ses efforts pour répondre à ses devoirs de citoyen et aux appels de la République. Il a su faire preuve du courage et a résisté à la pesanteur du temps. Modèle de probité et d’humilité, Me Alexandre était un serviteur remarquable de l’Etat. Pétri des valeurs familiales et épris du sens de l’Etat, le natif de Ganthier a occupé avec honneur les plus hautes fonctions publiques du pays.
Ce 4 août 2023 est bien triste, parce que notre pays perd un de ses plus illustres fils. Cet avocat que le destin avait appelé pour occuper la fonction présidentielle dans une conjoncture politique explosive s’est comporté en homme d’Etat. Au sommet de l’Etat, il n’a pas considéré la politique comme un gain personnel. Il voyait la politique comme un sacerdoce permettant d’accomplir de grandes œuvres humaines. Serviteur infatigable de l’Etat, enseignant auréolé de vertus cardinales, ce juriste était Président de la Cour de Cassation et un bon connaisseur de l’histoire judiciaire haïtienne.
Président de la République dans une période difficile de la vie nationale, Me Boniface Alexandre a fait ce qu’il pouvait afin de permettre au pays de revenir à la normalité institutionnelle et d’avoir un fonctionnement démocratique par la tenue des élections générales de 2006. Guidé par le sens de l’intérêt général, président Alexandre considère l’esprit civique et la culture éthique comme la quintessence du service public.
L’administration Boniface Alexandre a laissé au pays une œuvre législative remarquable permettant à l’Etat haïtien de se relever après son effondrement en 2004. L’histoire impartiale retiendra de son administration des textes de référence qui marquent la vie administrative du pays, notamment l’arrêté du 2 juin 2004 établissant l’organisation du Conseil des Ministres ; le décret du 16 février 2005 sur la préparation et l’exécution des lois de finances ; le décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration Centrale de l’Etat ; le décret du 17 mai 2005 portant révision du statut général de la fonction publique, etc. Les citoyens soucieux de la bonne utilisation des deniers publics et les promoteurs impénitents de la transparence et la reddition des comptes se réfèrent toujours à deux institutions emblématiques et populaires créées sous la Présidence de Boniface Alexandre pour défendre leurs causes : l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) et l’Inspection Générale des Finances (IGF).
Chargé par le Président Jovenel Moise de conduire les consultations et de trouver d’éminentes personnalités devant constituer le Comité Consultatif Indépendant (CCI) pour élaborer le projet de la Nouvelle Constitution, je contactais l’entourage de l’ancien président Boniface Alexandre. Un rendez-vous avait été fixé afin de rencontrer le président Alexandre. Le Directeur du cabinet du président de la République et moi, nous nous sommes rendus chez l’octogénaire qui nous attendait. Il nous a reçus au salon de sa résidence à Delmas 75. Entouré de sa fille Marjorie, de son fils Bonny et de son beau-fils Michel Brunache, le président Boniface Alexandre, après les salutations d’usage, nous a répondu en ces termes : « Je suis honoré de votre visite, je vous demande de transmettre au président de la République, S.E. Jovenel Moise, mes cordiales salutations. Depuis que j’ai laissé le Palais National en 2006, c’est pour la première fois que je reçois une délégation d’une telle envergure. Que puis-je faire pour vous messieurs ? ». Etant donné que c’est moi qui coordonnais le dossier de la nouvelle Constitution pour le Président Jovenel Moise, le Directeur du Cabinet m’a fait signe pour prendre la parole. En quelques minutes, j’ai expliqué au président Alexandre le bien fondé de ma visite et le sens de ma démarche. Je lui ai dit en substance que la République sollicite ses services, une nouvelle fois, afin d’accomplir une œuvre magistrale pour la Nation. Ancien président de la République, Me Alexandre sait mieux que quiconque les problèmes de la Constitution de 1987 et les entorses qu’elle cause au bon fonctionnement de l’Etat. Notre demande a reçu une écoute attentive et positive de cet homme d’Etat qui avait de la tenue et de la retenue.
Nommé par arrêté pris en Conseil des ministres président du Comité Consultatif Indépendant (CCI) chargé d’élaborer le projet de la nouvelle Constitution, Me Boniface Alexandre a conduit les travaux avec honneur et respect. Il a équitablement distribué la parole et laissé travailler les membres du comité et les experts qui accompagnent le CCI. Sous la présidence du maître Alexandre, le CCI a fait un travail pour la prospérité et la postérité en donnant au pays un projet de Constitution qui rééquilibre les compétences des pouvoirs de l’Etat, préserve les droits fondamentaux, fixe la responsabilité pénale du président de la République, permet à l’Etat de fonctionner et accorde des pouvoirs de crises au Chef de l’Etat facilitant au pays de sortir des impasses majeures mettant en péril la pérennité des institutions, l’ordre républicain et l’Indépendance nationale.
Me Boniface Alexandre était un pilier important dans la rédaction du projet de la nouvelle Constitution. J’étais très heureux de travailler avec lui au CCI. J’ai appris beaucoup de choses en fréquentant ce magistrat d’une grande renommée. Il était conscient des règles d’éthique et de la gravité des charges qui incombent au serviteur de l’Etat et de la République. En côtoyant le professeur Boniface Alexandre au Comité Consultatif Indépendant, il m’a laissé une impression indélébile de sentiments mêlés d’affection et de respect.
L’apport du maitre Alexandre à la Nation et à l’Etat est une histoire passionnante et constitue une grande leçon éthique et déontologique post mortem pour tout agent de l’Etat soucieux du bien commun.
La mort est le stade final de notre existence, elle questionne et prévient les hommes sur la signification et la portée de leurs actions. Elle nous rappelle le parcours de l’existence, nous démontre que tout est futilité ici-bas et nous fait savoir que notre vrai tombeau n’est pas dans la terre mais dans le cœur des hommes.
Pour finir, en ces moments de deuil national, je pense aux enfants, à la famille et aux proches de l’ancien président de la République, Me Boniface Alexandre. Je leur présente mes condoléances et leur exprime le témoignage de mon affection et de ma profonde compassion.