Éditorial:
Par Franclyn B Geffrard
PORT-AU-PRINCE, dimanche 27 avril 2025, (RHINEWS)- À Port-au-Prince, ce n’est plus l’effondrement d’un État que l’on observe, mais l’instauration d’un siège. Lentement, méthodiquement, l’organisation terroriste “Viv Ansanm”, pivot d’une coalition criminelle sans visage officiel, encercle la capitale, coupe ses voies d’approvisionnement, anéantit ses défenses et terrorise sa population. Dernière cible en date : la route de Kenscoff. Seul et ultime corridor praticable vers les hauteurs, cette route est désormais sous la menace directe des assauts armés. C’est là que, lundi dernier, trois soldats haïtiens ont été tués dans une embuscade, six autres blessés. Ce n’est pas un incident isolé. C’est le point culminant d’une stratégie d’étranglement mûrement planifiée.
Lors de son intervention au Conseil de sécurité des Nations unies, le lundi 21 avril, María Isabel Salvador, représentante spéciale du Secrétaire général en Haïti, n’a pas mâché ses mots. Elle a affirmé que le gouvernement haïtien est désormais « incapable de contrer l’emprise croissante des gangs ». En trois mois, ces derniers ont étendu leur contrôle à des zones auparavant jugées relativement sûres. Centre-ville, quartier commercial, Pétion-Ville — longtemps bastion de la bourgeoisie — sont tombés. À Mirebalais, dans le département du Centre, les terroristes ont libéré plus de 500 détenus. Cette progression fulgurante signe un effondrement stratégique. Et elle converge vers une seule réalité : l’isolement total de la capitale.
Le siège est autant géographique qu’humain, social et psychologique. En deux mois, selon Salvador, 60 000 personnes ont été déplacées de force, s’ajoutant au million déjà recensé fin 2024. Ce chiffre seul illustre l’ampleur du désastre humanitaire. Dans un pays d’environ 12 millions d’habitants, un tel déplacement massif ne peut être absorbé sans chaos. Derrière les chiffres : camps de fortune, quartiers surpeuplés, enfants sans scolarité, hôpitaux débordés, ONG épuisées. Chaque kilomètre gagné par Viv Ansanm sectionne une veine supplémentaire de l’organisme haïtien.
Pendant ce temps, la force multinationale censée appuyer la Police nationale reste dramatiquement sous-dotée. Prévue pour 2 500 hommes, elle en compte beaucoup moins. Financement insuffisant, lourdeurs bureaucratiques, désintérêt manifeste de plusieurs puissances étrangères expliquent ce déficit. Le soutien logistique américain s’est concrétisé par 180 vols transportant du matériel non létal et du personnel civil — un effort notable, mais jugé largement insuffisant. Plus grave : 13 millions de dollars promis à la mission restent gelés par l’administration Trump, dans le cadre d’un moratoire sur l’aide étrangère. Le feu avance ; les fonds n’arrivent pas.
L’étranglement de Port-au-Prince est aussi un test de la volonté internationale. Viv Ansanm impose un siège non seulement militaire, mais symbolique : couper Kenscoff, c’est fermer l’ultime issue libre, interdire les convois humanitaires, empêcher toute évacuation médicale, toute retraite stratégique. C’est dire aux habitants : « Vous ne sortirez plus. » C’est dire à l’État : « Vous ne contrôlez plus rien. » Et dire au monde : « Haïti est désormais à nous. »
Ce n’est pas une tragédie purement locale. Ce que vit Haïti est le symptôme d’un échec international. Depuis des années, la communauté internationale se satisfait de mots creux — « renforcement des capacités », « gouvernance », « résilience ». Face à des groupes paramilitaires disposant de stratégie, d’armement, de financement et d’un projet politique, ces discours sont sans effet sans action.
Viv Ansanm ne cherche pas seulement à terroriser : il veut redessiner le territoire, prendre le pouvoir. Sa précision d’action ne peut exister sans réseau, sans financement, sans complicités. Ceux qui espéraient une décentralisation démocratique assistent aujourd’hui à une fragmentation mafieuse. Et les conséquences ne s’arrêteront pas aux frontières haïtiennes : c’est la crédibilité de l’ordre international, la stabilité régionale, la sécurité caribéenne qui sont en jeu.
Si Kenscoff tombe, ce sera plus qu’une perte stratégique : ce sera le signal que Port-au-Prince est complètement encerclée. Il ne restera que la mer — elle aussi sous contrôle criminel. Si rien n’est fait, il ne faudra pas parler d’effondrement de l’État, mais de capitulation de la communauté internationale.
Pourtant, sauver Port-au-Prince n’est pas impossible. Cela exige une riposte militaire, politique, sociale et diplomatique. La route de Kenscoff doit être traitée comme un intérêt vital national, et sécurisée par une opération spéciale immédiate avec des unités d’élite de la PNH appuyées par les forces multinationales. Les sources économiques de Viv Ansanm doivent être méthodiquement attaquées : racket, trafic de carburant, trafic d’armes et de drogue, enlèvements doivent être frappés au cœur par une cellule anti-terroriste dédiée, capable de geler les avoirs, de couper les flux financiers et de dénoncer publiquement les complices économiques. Un commandement centralisé, réunissant exécutif, haut commandement policier, mission multinationale et observateurs civils, doit être instauré pour coordonner les opérations et restaurer l’autorité étatique. Chaque territoire repris doit immédiatement voir revenir la présence civique : distribution alimentaire, soins de santé, scolarisation, enregistrement civil, sans quoi la reconquête militaire sera vaine. À l’international, une réunion d’urgence du Conseil de sécurité doit lever les blocages financiers, mobiliser des troupes supplémentaires, renforcer la surveillance aérienne et sanctionner sévèrement les soutiens du gangstérisme.
Tout cela ne sera possible qu’en opérant un changement radical de narration. Ce n’est pas une guerre civile, ni une crise humanitaire : c’est une insurrection mafieuse contre la République. L’État ne doit pas négocier ; il doit vaincre, puis reconstruire.
Car Viv Ansanm n’est pas une simple organisation criminelle. C’est un projet structuré, militairement organisé, idéologiquement encadré, politiquement soutenu. Cette offensive — conquérir Pétion-Ville, neutraliser des commissariats, couper Kenscoff, libérer des centaines de prisonniers — ne serait pas possible sans l’appui stratégique de cerveaux puissants.
Il est illusoire de penser que l’on combat Viv Ansanm en ne ciblant que les exécutants. Derrière les jeunes armés, souvent drogués et manipulés, se cachent des hommes en costume, en uniforme, en col blanc — parfois même des « hommes de Dieu ». Ils planifient, financent, protègent. Ils siègent à Laboule, à Thomassin, dans les salons d’ambassades, dans les ministères.
Neutraliser Viv Ansanm sans frapper ses cerveaux, c’est couper des branches tout en laissant intactes les racines. Et ces racines plongent profondément : dans les services de sécurité, l’administration publique, les réseaux de carburant, les systèmes de communication, et certaines églises transformées en paravents.
C’est pourquoi il est indispensable de constituer une commission d’enquête indépendante, nationale et internationale, chargée d’identifier, de cartographier et de rendre publics les auteurs intellectuels, leurs financements, leurs connexions.
La guerre contre Viv Ansanm est aussi une guerre pour la vérité. Haïti ne sera pas sauvée par les armes seules, mais par sa capacité à affronter les pactes mafieux, à nommer les coupables, à rétablir la justice. Tant que les cerveaux du crime dormiront dans leurs villas pendant que les enfants dorment dans les rues, il n’y aura ni paix ni république.