Paris, mardi 29 juin 2021- 1.La phase préparatoire du procès, c’est-à-dire l’avant-procès pénal, tend à proposer une vérité judiciaire dont les caractéristiques reposent sur des preuves indiciaires à travers le recueil d’informations et de renseignement. Pour cela, elle est dirigée par des principes directeurs dont les composantes sont édictées par la loi.
- C’est dans ce sens que la phase préparatoire du procès pénal se compose des procédures d’enquête et d’instruction dans la justice pénale haïtienne. Au stade de l’information, le magistrat instructeur propose sa solution à la fin des investigations (article 7 de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal) dont l’objet revêt le caractère de chose jugée. C’est dire que l’ordonnance du juge ne peut être modifiée que par la voie de recours juridictionnel et que le juge ne peut la rétracter, sauf en cas d’erreurs matériels, même si elle est entachée d’erreurs procédurales.
Dans ce cadre, la solution judiciaire proposée par le juge d’instruction est liée au principe de légalité criminelle (légalité des délits et des peines).
- L’ordonnance rendue par le juge Ramoncite Accimé dans la célèbre Affaire Petrocaribe s’inscrit dans cette pédagogie procédurale.
- En effet, des personnes ont saisi le cabinet d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile sur le fondement de l’article 50 du Code d’instruction criminelle (CIC) à l’encontre d’anciens Premiers ministres, ministres, Directeurs Généraux, des sociétés et autres à la suite du détournement des quatre milliards et deux cents millions de dollars américains.
Dans le même ordre d’idées, l’État haïtien a porté plainte par le biais de la Direction Général des impôts (DGI) le 5 février 2019.
- L’information étant ouverte, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance le 15 juin 2021 dans laquelle il a conclu à un non-lieu au bénéfice de certaines sociétés, dont celle du président de la République de fait Jovenel Moïse, COPHENER S.A, et, simultanément, « dit surseoir » sur les investigations en raison des contrariétés procédurales auxquelles il s’est dit confronter.
À l’appui de son ordonnance, le magistrat évoque trois thèses justificatives.
D’abord, il est révélé qu’il n’existe pas d’indices graves et suffisants qui pèseraient sur lesdites sociétés.
Ensuite, le magistrat estime ne pas disposer d’éléments objectifs dans le cadre de ses investigations en raison du silence de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratifs (CSC/CA) sur l’examen des opérations financières engagées par les comptables de deniers publics mis en cause. De ce fait, il juge opportun de surseoir sur ses investigations.
Enfin, juge Accimé évoque le principe de privilège de juridiction au bénéfice les Premiers ministres et ministres poursuivis en renvoyant la « responsabilité juridictionnelle » au Parlement.
- Il apparaît que cette ordonnance est entachée d’illégalité dont la démonstration sera développée en trois points.
À cet égard, il convient d’analyser l’insubordination du magistrat instructeur au législateur, démontrer l’extension de la loi du 9 mai 2014 sur la corruption aux comptables de deniers publics et l’inapplicabilité du privilège de juridiction de la Haute Cour de Justice en la matière.
I – L’insubordination du magistrat instructeur au législateur
- En principe, la procédure d’instruction se cantonne dans le principe cardinal de légalité criminelle. Cela dit, tous les actes d’instruction (perquisition, transport sur les lieux, saisie, audition, interrogatoire etc.) et ceux de juridiction (mandat de comparution, mandat d’amener, mandat d’arrêt, les ordonnances en cours d’instruction et de règlement) doivent être prévus explicitement par la loi.
Dans ce contexte, le législateur sanctionne la procédure de l’information soit par l’ordonnance de non-lieu si le juge estime qu’aucune charge ne peut être retenu à l’encontre des mis en cause (art. 115 CIC), soit par une ordonnance de renvoi dans le cas contraire (art. 116, 117 et 118 CIC).
- Par ailleurs, le juge est habilité à rendre d’autres ordonnances dans le cadre de la mesure de sûreté (l’ordonnance en placement en détention provisoire au regard de l’alinéa 1er de l’article 80 du CIC) ou en vertu du principe du libéralisme pénal (l’ordonnance de mainlevée à la lumière du principe de la liberté institué à l’alinéa 2 de l’article 80 du CIC, l’ordonnance de liberté provisoire sur le fondement des articles 95 et 96 du CIC).
- En clair, au-delà des ordonnances-mandats et des ordonnances d’administration judiciaire (ordonnance de délégation de pouvoir en vertu des articles 46, 69 et 70 du CIC, ordonnance de citation des témoins :art. 59 CIC), le juge d’instruction est confiné dans les quatre modes d’ordonnance susmentionnées (non-lieu, renvoi, mainlevée et liberté provisoire).
En ce sens, l’ordonnance du magistrat relative à la citation des personnes à titre de témoin semble revêtir le caractère d’administration judiciaire, c’est-à-dire insusceptible de recours juridictionnel. Cela étant, tout recours à d’autres ordonnances traduit la méconnaissance du principe de légalité criminelle sur lequel repose la procédure de l’information.
- S’agissant d’ordonnance d’administration judiciaire, nous nous opposons à la thèse de l’éminent juriste, Maître Samuel Madistin, qui aurait évoqué la possibilité pour le parquet de Port-au-Prince de relever appel de l’ordonnance du juge Renor Régis souhaitant auditionner certains individus, dont l’auteur, dans le cadre de l’Affaire Dorval. Espérons que cette opposition scientifique et intellectuelle avec Samuel Madistin ne serait pas transformée par des politiques intéressés comme des menaces proférées à l’encontre de notre « confrère-aîné ».
- À la lumière de cette analyse, la décision adoptée par juge Ramoncite Accimé de conclure à un non-lieu au bénéfice des sociétés mises en cause dans l’affaire Petrocaribe et suspendre en même temps les investigations constitue une « ordonnance partielle ». À cet effet, il importe de préciser que le législateur n’institue pas cette ordonnance dans la procédure pénale haïtienne.
Il est regrettable que le magistrat emprunte maladroitement cette mode d’ordonnance à la procédure pénale française, qui édicte effectivement celle-ci en cours de l’information.
Cependant, il convient de souligner que le juge instructeur français poursuit ses investigations même s’il décide de rendre une « ordonnance partielle » de non-lieu ou de renvoi (art. 182 du Code de procédure pénale).
- Donc, même dans l’hypothèse de la possibilité de transposition de cette mode « d’ordonnance partielle française » dans le droit haïtien, l’imitation serait mal opérée par juge Ramoncite Accimé.
Dès lors, l’ordonnance rendue par le magistrat s’évade du principe de légalité des délits et des peines, est donc entachée d’illégalité et est susceptible d’être annulée par la cour d’Appel.
L’illégalité de l’ordonnance s’explique également par le refus du juge d’étendre la loi du 9 mai 2014 sur la corruption aux comptables de deniers publics
II – L’extension de la loi du 9 mai 2014 portant prévention et répression de la corruption aux comptables de deniers publics
- Il a été indiqué que le magistrat double son ordonnance de non-lieu d’une ordonnance de sursis sur les investigations en raison de l’absence de l’arrêt de débet à l’encontre d’anciens comptables de deniers publics dont des Directeurs Généraux.
Par cette décision, le magistrat semble avoir lu la loi du 9 mai 2014 sur la corruption sans en déterminer la portée. Car l’article 4 de cette loi confère le statut d’agent public à ces comptables de deniers comptables.
- En revanche, le magistrat pourrait interpréter la portée de ladite loi au sens de l’interdiction de la rétroactivité de la loi pénale qui subordonne l’action répressive (la poursuite pénale) à l’interdit édicté par le législateur (articles 51 de la Constitution et 4 du Code pénal).
Cela étant, la loi doit prévoir le comportement antisocial de l’individu avant la commission de l’acte reproché. De ce fait, il se pourrait que la loi de 2014 ne soit pas applicable aux actes de corruption commis par ces comptables de deniers publics avant l’adoption de ladite loi.
- Néanmoins, l’inapplicabilité de cette loi de 2014 n’emporte pas l’impunité au bénéfice des personnes mises en cause. C’est dans ce sens que la procédure d’arrêt de débet dans le cadre de l’examen de la comptabilité publique (art. 200 de la Constitution) pourrait intervenir dans les investigations du juge.
Par conséquent, la décision de sursis adoptée par le magistrat instructeur méconnaît l’article 51 de la Constitution, l’article 4 du Code pénal et l’article 4 de la loi du 9 mai 2014 portant prévention et répression de la corruption combinés, de sorte que le juge aurait dû étendre l’article 4 de la loi de 2014 précitée aux comptables de deniers publics poursuivis pour des actes opérés après l’adoption de ladite loi pour avoir le statut « d’agent public ».
La dispense de poursuite pénale ne peut être non plus accordé aux anciennes autorités de l’exécutif.
III – L’inapplicabilité du privilège de juridiction de la Haute Cour de Justice en la matière
- S’agissant de la notion de privilège de juridiction évoquée par le magistrat au profit des anciens Premiers ministres et ministres, il convient de concéder que le débat paraît complexe. D’ailleurs, il n’existe pas ainsi à ce jour d’uniformisation au sein de la communauté des juristes.
Toutefois, la compréhension des articles 189 et 189.2 combinés de la Constitution démontre que la notion de privilège de juridiction n’est applicable qu’à l’égard des autorités en fonction, prévues à l’article 186 de la Constitution. Car la Haute Cour de Justice ne dispose pas de pouvoir de sanction pénale. Or, l’article 189 précité instaure la double sanction de déchéance et d’interdiction d’exercer la fonction publique ; d’autant que l’article 189.2 de ladite Constitution consacre le renvoi desdites autorités devant la juridiction de droit commun à la suite de la double sanction prévue à l’article 189.
- Il va donc sans dire que les anciennes autorités prévues à l’article 186 de la Constitution de 1987 ont le statut de simple citoyen au regard de la combinaison des articles 189 et 189.2 de la Constitution. Partant, les anciens Premiers ministres et ministres mis en cause dans l’affaire Petrocaribe peuvent être poursuivis sur le fondement de la loi du 9 mai 2014 sur la corruption.
Conclusion
- Il ressort de ces développements que l’ordonnance rendue le 15 juin 2021 est une invention peu inspirée du magistrat instructeur, qui s’attribue le rôle du législateur au même titre que le Directeur Général de L’unité de Lutte Contre la Corruption ( ULCC) qui s’attribue le « rôle de juge sans statut » (l’article est à paraître).
- Par cette décision, la procédure pénale haïtienne connaît désormais un juge-législateur et l’on doit le mérite de cette transformation à un magistrat qui semble avoir manqué de lucidité dans l’écriture de son ordonnance.
Cette ordonnance peut être relevée d’appel au sens de l’article 8 de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal. Toutefois, les appelants doivent être prudents afin de se prémunir du rejet de la cour d’Appel pour défaut de qualité. Car l’article 50 du CIC circonscrit le droit d’appel à la victime directe et personnelle. C’est pourquoi les appelants devraient préférer la notion d’intérêt général au recours à l’article 50 précité.
- Ce serait probablement l’occasion pour la cour d’Appel d’innover la politique juridique de la jurisprudence pénale haïtienne à la lumière de la justice pénale contemporaine.
Pour l’heure, les sociétés mises en cause ne sont pas encore lavées dans l’affaire Petrocaribe, tout comme les personnes physiques poursuivies.
Guerby Blaise
Avocat et Doctorant finissant
en Droit pénal et Procédure pénale
Centre de droit pénal et de criminologie
École doctorale de Paris Nanterre