S’appuyant sur l’article 134-3 de la constitution de 1987 amendée, la Chaire Louis-Joseph Janvier sur le constitutionalisme en Haïti de l’Université Quisqueya, estime que Jovenel Moïse dont le mandat a expiré le 7 février dernier ne peut bénéficier de prolongation de mandat. Analysant plusieurs articles de la constitution en rapport avec le mandat présidentiel, la Chaire est arrivée à la conclusion que le droit est piétiné. Elle estime que tous les actes posés par Jovenel Moïse après le 7 février 2021 participent de l’usurpation de titre…
Port-au-Prince, 10 février 2021- Le 7 février 2021 s’est écoulé alors que les partisans du maintien ou du départ de M. Jovenel MOÏSE n’arrivent pas à s’entendre sur l’interprétation constitutionnelle relative à la fin du mandat du président.
Face à ces positions inconciliables, la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le Constitutionnalisme en Haïti présente ici sa position uniquement à la lumière du droit, laissant le soin aux acteurs politiques nationaux et internationaux de se déterminer en raison de leurs dynamiques propres.
Une frange importante de l’opinion soutient que le mandat de M. Jovenel MOÏSE a échu le 7 février 2021 en application de l’article 134-2 de la Constitution amendée au motif qu’élu en 2016, son mandat expire cinq ans après l’année de l’élection. M. MOÏSE pour sa part s’appuie sur l’article 134-1 disposant que la durée du mandat présidentiel est de cinq ans et débute à partir de la prestation de serment du président le 7 février, pour affirmer que son mandat expire le 7 février 2022.
La Chaire rappelle que les articles d’un texte de loi s’interprètent l’un par l’autre et ne peuvent, en cas d’ambiguïté, être pris isolément. Elle rappelle encore que dans un texte, le législateur peut énoncer des principes généraux, mais aussi les assortir de dérogations qui constituent des exceptions ou règles spéciales. Il est enfin un principe d’interprétation selon lequel les règles spéciales dérogent aux règles générales. En cas de conflit entre les deux règles, c’est la disposition dérogatoire qui prévaut.
L’article 134-1 de la Constitution de 1987 amendée se lit de la manière suivante : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections ». La Constitution pose, en effet, comme règle générale, le principe du quinquennat présidentiel qui commence à courir à partir de la date de la prestation de serment du président de la République.
Mais, l’article 134-2, lui, constitue une mesure dérogatoire au principe posé à l’article 134-1 et s’applique lors des circonstances spéciales occasionnées par la non-tenue des élections présidentielles dans le temps prévu par la Constitution. Il dispose en effet : «
L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection ». Il en résulte que lorsque l’élection présidentielle n’a pu se tenir à la date prévue pour que le président prête serment le jour de l’expiration du mandat de son prédécesseur, le mandat du nouveau président prend fin le 7 février marquant l’échéance d’une période de cinq ans commencée l’année de l’élection.
En passant en revue le déroulement historique des faits, la Chaire constate que les élections présidentielles n’ont pu se tenir ni arriver à leur terme au cours de la cinquième année du mandat de M. MARTELLY. Elles ont été reprises, ou, pour reprendre l’expression du CEP, poursuivies après le 7 février 2016 marquant la fin du mandat de M. MARTELLY. Elles ont été organisées et effectuées le 20 novembre 2016, et elles ont abouti à l’élection de M. MOÏSE, comme l’indique le certificat qui lui a été délivré par le
Conseil Électoral Provisoire en janvier 2017. Ces circonstances rentrent donc dans le domaine d’application des mesures dérogatoires et spéciales prévues à l’article 134-2 in fine de la Constitution qui s’applique en lieu et place de l’article 134-1. Il s’ensuit qu’en application de cet article, le mandat de M. MOÏSE est réputé avoir débuté le 7 février 2016 et a expiré le 7 février 2021.
La Chaire ne peut esquiver le fait pour M. MOÏSE de continuer à occuper le Palais National en dépit du prescrit constitutionnel. La nature de sa présence et des actes qui en découlent doivent être analysés et qualifiés. L’article 134-3 de la Constitution de 1987 amendée est dépourvu de toute équivoque : « Le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat ». Le présent impératif employé écarte toute argutie et ne tolère aucun prétexte pour la continuité de la présence de M. MOÏSE à la tête de l’Exécutif. Sa conduite appuyée sur la force armée de la PNH est illégale et tous les actes posés par lui postérieurement au 7 février 2021 participent de l’usurpation de titre, infraction prévue par le code pénal.
La Chaire constate avec regret que pour la deuxième fois en moins de cinq ans les impasses politiques ont amené à l’absence d’élections et à une situation de vide constitutionnel du pouvoir. Le droit est piétiné ! La Chaire souhaite que pour le bien du pays la sagesse prévale.
Pour la Chaire :
Bernard GOUSSE, Titulaire
Jacky LUMARQUE, Recteur de l’Université Quisqueya