PORT-AU-PRINCE, jeudi 17 octobre 2024-Le 17 octobre marque le 218ème anniversaire de l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, père de l’indépendance haïtienne et fondateur de la première nation noire libre du monde moderne. Dessalines, né esclave en 1758, est un symbole de résistance et de détermination, ayant conduit Haïti à son indépendance après plus d’une décennie de lutte contre le colonialisme français et l’oppression esclavagiste. Son leadership, son idéal de liberté totale pour les descendants d’esclaves, ainsi que sa vision d’une Haïti forte et unie, ont marqué à jamais l’histoire du pays et du monde.
Dessalines, souvent perçu comme un chef militaire implacable de la Révolution haïtienne, était avant tout un stratège visionnaire. Lorsqu’il succéda à Toussaint Louverture, il comprit que la victoire contre les puissances européennes ne serait totale qu’en rompant définitivement avec la France. Après des batailles acharnées, notamment à Vertières, Dessalines proclama l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, faisant de la colonie de Saint-Domingue la première république noire libre de l’histoire. Il prit alors le titre d’Empereur Jacques Iᵉʳ et se consacra à bâtir une nation où l’esclavage ne trouverait plus jamais de place.
Cependant, sa vision ne se limitait pas à la simple libération du joug colonial. Dessalines rêvait d’une Haïti indépendante, économiquement forte et politiquement souveraine, où les anciens esclaves, devenus citoyens à part entière, prendraient en main la destinée de leur nation. Il initia des réformes agraires en redistribuant les terres des anciens colons aux soldats et aux paysans haïtiens, espérant ainsi ancrer l’indépendance dans une structure sociale et économique solide. Ce projet radical allait à l’encontre des intérêts des élites créoles et mulâtres, qui voyaient dans le pouvoir centralisé de Dessalines une menace à leurs privilèges.
L’idéal de Dessalines était une société égalitaire, sans distinction de couleur ou de classe, où chaque citoyen aurait un rôle à jouer dans la prospérité collective. Il prônait la justice et la rétribution pour les souffrances endurées par les esclaves et plaçait l’unité nationale au centre de sa politique. Dans son célèbre discours à la population haïtienne après la proclamation de l’indépendance, il déclarait : « Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ». Cette volonté farouche d’indépendance totale, tant politique qu’économique, contrastait avec les divisions internes qui agitaient déjà l’élite haïtienne.
Aujourd’hui, alors que l’on commémore la mort de Dessalines, Haïti se trouve à un carrefour exceptionnellement difficile. L’indépendance qu’il avait chèrement acquise semble compromise. La souveraineté du pays est hypothéquée, et le peuple haïtien, que Dessalines voulait libre et digne, vit dans des conditions de pauvreté extrême, dégradé dans la crasse. L’économie est exsangue, l’État est en faillite, incapable de répondre aux besoins de ses citoyens. Pire encore, les gangs armés dictent désormais leur loi et imposent leur volonté sur de vastes portions du territoire, remplissant le vide laissé par un État absent.
Contrairement à la vision de Dessalines, où le peuple haïtien devait être maître de son destin, depuis quelques temps, même nos dirigeants sont choisis par des puissances étrangères. Cette dépendance politique, bien éloignée de l’idéal d’indépendance totale prôné par Dessalines, empêche le pays de tracer une voie souveraine et autonome. La fierté et la liberté qu’il avait voulu offrir à son peuple semblent avoir été sacrifiées aux intérêts de quelques élites locales et à ceux de forces extérieures.
Le 17 octobre 1806, Jean-Jacques Dessalines fut assassiné lors d’un complot orchestré par ses anciens compagnons d’armes, Alexandre Pétion et Henri Christophe. Son assassinat marqua non seulement la fin de son règne, mais aussi l’échec temporaire de son idéal. Haïti, au lieu de devenir la nation forte et unie qu’il avait imaginée, entra dans une période de division, marquée par des luttes de pouvoir et la formation de deux États rivaux, celui du Nord dirigé par Christophe, et celui du Sud dirigé par Pétion. L’assassinat de Dessalines a ouvert la voie à une fragmentation de la société haïtienne, basée sur des clivages de classe et de couleur qui persistent jusqu’à aujourd’hui.
Si Dessalines n’avait pas été assassiné, Haïti aurait sans doute suivi un chemin différent. Son projet d’unité nationale, basé sur l’égalité des citoyens et la consolidation des acquis de l’indépendance, aurait peut-être permis de surmonter les fractures internes qui ont affaibli le pays. Sous son règne, l’accent aurait été mis sur le développement agricole, avec des réformes foncières visant à garantir l’autosuffisance du pays, loin des modèles économiques néocoloniaux qui ont par la suite freiné son développement. Dessalines, farouchement opposé à toute forme de recolonisation ou de dépendance envers les puissances étrangères, aurait également probablement maintenu une politique de non-alignement et d’indépendance radicale.
Son idéal, s’il avait été pleinement réalisé, aurait permis à Haïti de devenir un modèle de résistance post-coloniale et de souveraineté économique pour d’autres nations. Une Haïti dirigée par Dessalines aurait pu se consolider en tant qu’État capable de défendre ses intérêts, de résister aux pressions internationales et de créer une société plus juste et équitable. L’instauration de la justice sociale et la construction d’un État fort auraient pu permettre à Haïti d’éviter les luttes intestines qui ont souvent paralysé son développement.
En ce 17 octobre, alors que nous commémorons l’anniversaire de son assassinat, il est essentiel de se rappeler la vision de Jean-Jacques Dessalines et de réfléchir à ce qu’Haïti aurait pu devenir sous son leadership. Son idéal reste, à bien des égards, un modèle pour ceux qui aspirent à voir une Haïti plus forte, plus juste et véritablement indépendante. Le rêve de Dessalines ne s’est pas éteint avec son assassinat ; il demeure un symbole d’espoir pour les générations actuelles et futures qui luttent pour un avenir meilleur, fidèle aux principes de liberté et de souveraineté qu’il a laissés en héritage.