NEW-YORK, vendredi 27 septembre 2024 — Haïti, un pays où les paradoxes semblent être devenus la norme. Cette semaine, à l’Assemblée générale des Nations-Unies, deux délégations haïtiennes ont débarqué, toutes deux issues du seul et même pouvoir exécutif. L’une conduite par Garry Conille, chef du gouvernement de transition, et l’autre par Edgard Leblanc, président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Cette situation absurde révèle l’étendue des dysfonctionnements au sommet de l’État haïtien.
En principe, la gestion de la diplomatie relève exclusivement du président de la République, chef de l’exécutif. Or, l’exécutif haïtien actuel est bicéphale, composé du CPT, entité collégiale assumant la fonction présidentielle, et du Premier ministre nommé par ce même CPT. Cependant, il est inhabituel et inacceptable que deux figures représentant la même autorité se présentent sur la scène internationale avec des messages potentiellement discordants. Ce désordre institutionnel, symptôme de l’absence de leadership et de vision, affaiblit encore plus la position d’Haïti sur l’échiquier mondial.
Garry Conille, autrefois perçu comme l’« envoyé du blanc », s’est progressivement imposé comme le dirigeant de fait, réclamant et obtenant la gestion des ministères régaliens tels que les Finances, l’Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères, secteurs d’habitude réservés au chef de l’État. En cédant ces portefeuilles clés, le CPT a commis ce que beaucoup considèrent comme un “péché originel”, abdiquant son autorité. Ce geste a ouvert la porte à une série d’actes unilatéraux de la part du Premier ministre, accentuant la confusion et l’inefficacité de la gouvernance.
Ce paradoxe est encore plus frappant lorsque l’on observe l’attitude de Conille, qui semble ignorer celui qui l’a nommé. Sa participation à l’Assemblée générale des Nations-Unies, sans l’autorisation manifeste du CPT, symbolise cette rupture avec les principes républicains. Dans un système où le président ou ses représentants directs sont présents, le Premier ministre devrait normalement s’effacer.
Cette situation reflète la fragilité du pouvoir en place. Ni le CPT, ni le gouvernement de Conille ne disposent de légitimité constitutionnelle ou populaire. Issus d’un consensus politique basé sur l’accord du 3 avril 2024, ces dirigeants doivent leur position à l’appui de la communauté internationale, notamment des États-Unis, plutôt qu’à une véritable consultation démocratique. Ce consensus, extrêmement fragile, peine à masquer les tensions entre les acteurs politiques, certains préférant une autre forme de gouvernement. Cela révèle l’incohérence d’un pouvoir bicéphale incapable de maintenir l’unité au sommet de l’État.
Les répercussions sur la société haïtienne sont graves. Le pays est submergé par une violence criminelle sans précédent, avec des gangs armés contrôlant de larges portions du territoire. Pendant ce temps, l’exécutif, englué dans ses querelles intestines, semble impuissant à rétablir l’ordre. La population souffre à la fois de la violence criminelle et de la violence structurelle engendrée par un État défaillant, incapable de prendre des décisions fermes et cohérentes pour redresser la situation.
Comment un Premier ministre, qui devrait agir sous l’autorité du président — ou du CPT —, peut-il s’arroger des pouvoirs qui dépassent son mandat ? Comment cette dissonance entre les deux branches de l’exécutif peut-elle perdurer alors que la population attend désespérément des résultats ? Les gangs armés, qui sèment la terreur, semblent parfois mieux organisés que ceux censés gouverner le pays.
Les défis auxquels Haïti fait face sont colossaux : rétablir la sécurité, organiser des élections crédibles et redonner espoir à une population victime de la mauvaise gestion et des divisions internes. Peut-on espérer que l’actuelle équipe puisse réussir ces missions ? Une transition réussie nécessite un pouvoir fort, cohérent et capable de rompre avec les pratiques qui ont conduit le pays dans l’impasse actuelle. Mais ni un CPT affaibli, ni un Premier ministre usurpant les prérogatives présidentielles ne semblent à la hauteur.
Les Haïtiens, déjà trop souvent humiliés sur la scène internationale, méritent mieux que ce spectacle de désordre institutionnel. Ils attendent des dirigeants responsables, capables de prendre des décisions pour le bien du pays, et non pour satisfaire des agendas personnels ou externes. La communauté internationale peut fournir un soutien temporaire, mais seule une refonte interne, reposant sur une volonté politique nationale forte, pourra sortir Haïti de cette impasse.
Lors de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, Haïti a offert, une fois de plus, un spectacle des plus pittoresques. Alors qu’Edgard Leblanc s’adressait solennellement à l’assemblée internationale, tentant de défendre la position fragile d’un pays au bord du gouffre, son Premier ministre, Garry Conille, profitait d’un moment de répit en s’endormant sur son siège. Ironie du sort, celui qui concentre aujourd’hui les pleins pouvoirs, ayant réclamé la gestion des ministères régaliens, se laissait aller à un sommeil impassible pendant que son “président” tentait de sauver les apparences.
Le contraste est frappant et révélateur de l’état du pouvoir exécutif haïtien. Dans un système où l’exécutif est bicéphale, et où le CPT est censé être l’autorité institutionnelle, ce moment d’assoupissement du Premier ministre souligne une réalité troublante : Garry Conille, malgré son rôle théoriquement subordonné, s’octroie la véritable autorité, jusqu’à ignorer ostensiblement son supérieur immédiat.
Ce sommeil n’est pas anodin. Il reflète un paradoxe criant dans la gestion des affaires publiques en Haïti. Comment un Premier ministre peut-il revendiquer autant de pouvoir tout en minimisant l’autorité de ceux qui l’ont nommé ? Comment peut-il s’octroyer le rôle central sur la scène internationale, alors que la coutume républicaine veut que ce rôle revienne au président (ou dans ce cas, au CPT) ?
Le symbole d’un Premier ministre endormi pendant que le président du CPT s’exprime est une métaphore vivante du pouvoir haïtien : l’une des têtes est éveillée et tente de faire bonne figure, tandis que l’autre, dans son arrogance ou son désintérêt, s’endort sous les projecteurs. Ce paradoxe complique davantage la tâche de redresser le pays.
Le pouvoir en place est tiraillé entre un CPT symbolique, vidé de ses prérogatives, et un Premier ministre agissant en monarque sans couronne, usurpant des responsabilités pour lesquelles il n’a aucune légitimité constitutionnelle. Pendant que les gangs armés terrorisent la population, ceux qui sont censés gouverner se ridiculisent à l’international, incapables de s’accorder sur qui doit réellement diriger.
Le contraste entre un chef d’État fictif qui parle et un Premier ministre qui dort incarne la gouvernance haïtienne actuelle : à moitié éveillée, à moitié endormie, et complètement dysfonctionnelle. Si ce pouvoir exécutif ne parvient même pas à gérer la représentation d’Haïti à une assemblée internationale, comment peut-on espérer qu’il puisse relever les défis plus complexes de la transition politique, de la sécurité et du rétablissement de la souveraineté nationale ?
Dans ce contexte, la question se pose : qui gouverne vraiment Haïti ? Le président du CPT, qui tente de maintenir une façade diplomatique, ou le Premier ministre, qui s’endort dans l’illusion de son pouvoir ? Le pays, quant à lui, attend impatiemment des dirigeants capables de sortir des contradictions qui paralysent toute possibilité de redressement.