HAÏTI : sécurité et sécurité encore…

Guichard Dore...

Par Guichard DORÉ

Fondation Nationale pour la Démocratie et

Les Études Stratégiques (FONADES)

 

PORT-AU-PRINCE, jeudi 15 août 2024-Haïti connait une crise sécuritaire qui attaque le fondement de l’État et menace la cohésion nationale. Les conflits momentanés sur fond de crise électorale des années 2000 ont cédé aujourd’hui la place aux violences socialement structurées dans les quartiers, aux crimes organisés et aux actes terroristes. Ces actions criminelles qui sont l’œuvre des gangs lourdement armés aux ramifications nationales et internationales ont détruit les initiatives personnelles et les liens sociaux longtemps tissés dans certaines communautés. Dans le temps, ces liens ont permis la coexistence pacifique des citoyens d’origine géographique et de conditions socio-économiques variées.

Au plan institutionnel, le pays est faible. Globalement, la société n’était pas préparée pour apporter des réponses institutionnelles aux problèmes engendrés par l’insécurité qui accable la population. Toutefois, au regard des missions de souveraineté qui sont inhérentes à l’État républicain et démocratique, le gouvernement ne saurait se soustraire de ses responsabilités de rétablissement de l’ordre, de la sécurité et du contrôle du territoire. Il est vital pour le  gouvernement de faire tout ce qui est nécessaire afin que l’autorité de l’État puisse s’exercer sur tous les espaces occupés par les groupes armés tout en offrant à la population la possibilité de faire une réappropriation réelle et effective de ces sites.

Conflits armés et impacts socio-économiques de l’insécurité

Les conflits armés se multiplient régulièrement sur le territoire national, en dépit des appels au calme des autorités publiques et des personnalités de la société civile. Les mécanismes de régulation sociale des conflits que la société traditionnelle a mis en place autrefois ont été anéantis par les bouleversements sociétaux des trois dernières décennies. Les notables des quartiers, les patriarches des Lakous, les prêtes, les pasteurs ou les ougans qui avaient un ascendant particulier et une influence prépondérante sur les membres de leurs communautés ont perdu, avec le temps, en prestige social et en autorité morale. Ils sont incapables de communiquer aux jeunes issus des quartiers populaires socialement désorientés, aux délinquants en mal d’identité et aux bandits lourdement armés qui tuent de paisibles citoyens. Ces bandits violent, volent, pillent ou détruisent les biens publics et privés.

Les bandits ont provoqué une crise sécuritaire sans précédent dans le pays. Par son ampleur, cette crise a dégradé l’aménagement urbain de la capitale, défiguré les espaces publics et privés, accentué la pauvreté dans les quartiers et aggravé les disparités socio-économiques entre les territoires. Beaucoup de lieux publics sont devenus insécurisants tant à la capitale que dans les villes de province. Des ministères sont vidés de leurs fonctionnaires. Des entreprises, des écoles et des établissements universitaires sont contraints de fermer leurs portes. Familles et enfants sont tourmentés par des tirs nourris et intempestifs.

La multiplication des attaques armées dans les quartiers contrôlés par les gangs a contraint les habitants desdits quartiers à laisser leurs maisons et leurs lieux de travail pour se réfugier dans les communes qui sont plus calmes. Les impacts économiques et sociaux de la violence des gangs armés sont énormes : assassinats de paisibles citoyens, incendie et destructions des biens matériels, chômage, endettements, interruptions des circuits économiques, faillites des petites et moyennes entreprises, promiscuité, prostitution, séparation, divorce, etc.

Une démographie qui donne sa facture salée

La pression démographique compliquée par l’éclatement de la cellule familiale réduit les marges d’action de l’État qui n’arrive pas à faire le contrôle nécessaire à la paix et à sécurité publiques. La majorité de la population à moins de 30 ans. Ce dividende démographique n’a pas été utilisé à bon escient. Aujourd’hui, il donne sa facture sous des formes variées : incivisme, absence de sentiment patriotique, épuisement et désespoir, désacralisation des dates historiques, reniement aux valeurs fondatrices de la nation, etc. On ne le dit pas suffisamment, l’âge moyen des bandits qui terrorisent la population est de 20 ans. Si rien n’est fait pour prendre au sérieux les conséquences de la pression dermographique et mettre le cap sur la formation professionnelle, l’enseignement technique et la création d’emplois, le dividende démographique compliquera davantage le vivre ensemble espéré par de nombreux compatriotes. Actuellement, nous avons une société qui se parle par la crise et par les conflits. Le pays est devenu crisogène et criminogène ! Crise et crime se croisent dans l’impasse de l’insécurité. L’ordre moral de la société est fissuré avec le détournement de certaines institutions sociales des missions qui leur ont été dévolues. Beaucoup de citoyens vivent durement et avec peine ces problèmes qui assombrissent l’avenir de la génération future.

Prendre la nouvelle orientation des Armées de l’Amérique latine comme modèle

À la sortie de la guerre froide, le sous-continent latino-américain et caribéen a été marqué par de grandes mutations sociétales et géopolitiques sur fond de réforme démocratique. Les armées de la sous-région, suite aux réformes courageuses conduites par les démocrates ayant accédé au pouvoir dans la décennie 1990, ont tourné définitivement le dos aux coups d’État et à la dictature militaire. Les institutions militaires et les services de renseignement de la sous-région ont été modernisés et placés sous l’autorité du pouvoir civil. Après la signature de la charte démocratique de Santiago au Chili en 1990, des programmes inspirés des pays ayant de longues traditions de stabilité et de démocratie ont contribué au changement des relations civils-militaires en Amérique latine et ont fait émerger de nouveaux paradigmes pour les forces de sécurité et de défense. Les programmes de formation des policiers, des militaires et des agents de renseignement accordaient une place au respect des droits de l’homme et à la protection des institutions démocratiques.

 À l’aide des réformes entreprises, les pays latino-américains ont passé d’une armée de conscription à une armée de métier. Le service militaire a été supprimé dans la plupart des pays. Le poids de l’armée sur la société latino-américaine s’amenuise. Les services de renseignement sont plus performants dans leurs missions de protection des libertés individuelles et des intérêts fondamentaux de la nation. Les armées ne font plus de coup d’État. Elles se cantonnent dans leurs missions qui sont celles d’assurer la protection du territoire, de la population et des intérêts fondamentaux de la nation. Elles n’interviennent et n’arbitrent plus le jeu politique. Elles ne remplissent plus les missions de sécurité intérieure sauf sur demande expresse du pouvoir civil. À l’exception de cas de force majeure, les armées latino-américaines ne remplissent pas les missions de sécurité intérieure. La gestion de la sécurité intérieure est confiée à la police. L’armée garantit la sécurité des frontières et protège les institutions et les sites stratégiques.

La nouvelle armée haïtienne a intérêt à analyser le parcours suivi et la transition opérée dans les forces armées de l’Amérique latine afin qu’elle puisse s’assurer d’une professionnalisation réussie et d’une adaptionsau contexte et aux enjeux sécuritaires de la région.

Réformer et moderniser les forces haïtiennes de sécurité pour éviter le pire

La situation de violence dans laquelle se trouve le pays peut-être une occasion pour porter les dirigeants à prendre au sérieux la question de sécurité. Plusieurs pays ont utilisé les désastres provoqués par la guerre pour moderniser leurs organisations étatiques et leurs services de sécurité, c’est le cas de plusieurs pays européens notamment la France après la seconde guerre mondiale. Pour résoudre ses problèmes de sécurité, Haïti doit compter d’abord sur ses propres forces de sécurité notamment l’armée, l’agence centrale de renseignement et la police. Pour y arriver, l’armée haïtienne remobilisée en novembre 2017 doit suivre la voie de la modernisation que les armées et les services de renseignements des pays de l’Amérique latine ont emprunté au cours de la décennie 1990. Cette modernisation aura pour conséquences le renforcement des capacités organisationnelles et opérationnelles des Forces Armées d’Haïti afin qu’elles puissent lutter efficacement contre les individus armés qui contrôlent des portions importantes du territoire et resouder les citoyens à la notion de sécurité nationale et de surveillance du territoire.

Le pays a pris tardivement conscience de l’impérieuse nécessité d’avoir une armée pour remplir, au nom de l’État souverain d’Haïti, la mission de défense et de sécurité nationale. La présence de l’armée dans le paysage institutionnel d’Haïti est un signe d’espoir. L’État haïtien fait face à des problèmes de sécurité globale qui menacent son existence entant que puissance publique. Pour sortir de cette situation critique d’insécurité globale et prendre la voie royale de la sécurité permanente, il est nécessaire de doter l’État d’un pôle technique en matière de défense et de sécurité incluant un conseil national de sécurité et de défense (CNSD), une armée équipée (FADH), une agence centrale de renseignement efficace (ANI) et une police réformée (PNH).

Travailler ensemble pour le retour à la sécurité

Retourner à la sécurité, c’est reconnaître que le territoire national est un espace de travail et un lieu à surveiller et à protéger. Cela implique et demande aux autorités de l’État la recherche de synergie et la mobilisation des acteurs institutionnels d’origine diverse en vue d’avoir une lecture plurielle des menaces et des risques, de bien les identifier en amont, de les évaluer avec précision afin d’avoir des réponses adaptées et modifiables en fonction des circonstances qui se présentent à la sécurité du pays. Pour prévenir et parer aux menaces et aux risques multiformes que connaît le pays, l’approche de la sécurité globale est la méthode à privilégier. L’avantage de cette méthode est multiple. Dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan national de sécurité (PNS), elle permet aux différents ministères et services impliqués dans la chaine de sécurité de travailler ensemble. Elle offre l’opportunité de mobiliser les compagnies privées de sécurité et d’impliquer les spécialistes, les universitaires et les organisations de la société civile dans une entreprise collective et patriotique visant à faire face aux risques et menaces qui pèsent lourdement sur la sécurité de la nation. Aujourd’hui, la population demande la sécurité. Agir maintenant pour créer l’espoir !