Par Jude Martinez Claircidor
RHINEWS présente cet article proposant une approche historique du drame haïtien, en conjonction avec la célébration de la fête du drapeau, symbole fondamental de notre identité, et en commémoration de la lutte opiniâtre menée par nos ancêtres pour nous léguer la terre d’Haïti. Cette célébration survient en plein cœur d’une crise sociale, politique et économique, dont les racines plongent dans l’histoire. L’article vise à susciter une réflexion sur les événements historiques et à encourager l’élite du pays à s’engager différemment pour réorienter le destin d’Haïti.
IlPORT-AU-PRINCE, mercredi 15 mai 2024- Il n’est pas surprenant que notre pays ait atteint un tel niveau de détresse. Nous sommes témoins d’un drame à la fois sociologique et historique. L’histoire mouvementée d’Haïti a été marquée par les destins tragiques de ses dirigeants, reflétant les défis immenses auxquels le pays a été confronté. Ces parcours tumultueux, loin d’être de simples chapitres historiques, peuvent grandement éclairer notre situation actuelle, soulignant ainsi leur importance cruciale dans le contexte contemporain.
Sur une soixantaine de présidents ayant gouverné le pays, seuls six ont réussi à terminer leur mandat présidentiel et à transmettre le pouvoir à un successeur. Parmi eux figurent des noms comme Nissage Saget, Sudre Dartiguenave, Louis Borno, Sténio Vincent, René Préval et Michel Martelly. Leur capacité à achever leur mandat dans un environnement politique marqué par l’instabilité et les tensions est remarquable et mérite d’être soulignée. Il est important de noter que la majorité de ces chefs d’État ont réussi à terminer leur mandat grâce à l’occupation américaine ou à la présence des soldats des forces onusiennes du territoire.
L’histoire haïtienne est marquée par des tragédies impliquant ses dirigeants eux-mêmes, ainsi que certains événements survenus dans le pays. Parmi ces moments sombres, on se souvient du cas du Roi Henry Christophe, qui s’est suicidé d’une balle dans la tête en octobre 1820.
Environ 62 % des présidents haïtiens ont été renversés ou assassinés au pouvoir, marquant une histoire tumultueuse parsemée de gouvernements éphémères et de périodes de violence. Des figures emblématiques telles que Jean-Jacques Dessalines, Sylvain Salnave, Cincinnatus Leconte, Guillaume Sam et Jovenel Moïse ont été tragiquement assassinés ou renversées. Ils incarnent les cinq présidents victimes de violences dans l’histoire du pays.
Entre 1913 et 1915, une période tumultueuse secoua Haïti avec une succession de coups d’État et de troubles politiques. Des figures telles que Michel, Oreste, Edmond Polynice, Oreste Zamor et Joseph Davilmar Theodore, fondateur des Cacos, furent contraintes à l’exil après avoir été renversées. Les soulèvements populaires et les conflits armés, notamment le lynchage de Vilbrun Guillaume Sam en juillet 1915, illustrèrent la frustration populaire et l’instabilité du pays, menant à l’occupation américaine.
Les coups d’État et les troubles politiques ont été fréquents, alimentant l’instabilité chronique du pays. Les observateurs soulignent les contradictions internes qui entravent la gouvernance stable, pointant du doigt l’incapacité des élites politiques et économiques à s’entendre. Certains accusent même une complicité avec des intérêts étrangers, comme le tristement célèbre Jean-Baptiste Conzè, exacerbant les tensions et les conflits internes.
Après une crise politique qui a entraîné la chute du président Paul Eugène Magloire en 1956, Haïti a été le théâtre d’une instabilité gouvernementale. En l’espace d’un an, le pays a vu défiler trois présidents. Cependant, le 22 octobre 1957, François Duvalier a pris les rênes de la présidence et y est resté jusqu’à sa mort. Il a modifié la constitution en 1964 pour permettre à son successeur, Jean-Claude Duvalier, de prendre le pouvoir à l’âge de 18 ans. Jean-Claude Duvalier a dirigé le pays jusqu’en 1986, année de son renversement.
La chute du régime des Duvalier n’a malheureusement pas apporté la stabilité tant espérée. De 1986 à 1991, Haïti a été secouée par une série de coups d’État, l’armée jouant un rôle central dans cette instabilité. Leslie François Manigat, premier président élu après les Duvalier, a pris le pouvoir en février 1988, mais a été renversé quelques mois plus tard, en juin de la même année.
Le lieutenant général Henry Namphy ne reste pas longtemps au pouvoir. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1988, la garde présidentielle organise un coup d’État, plaçant successivement Prosper Avril puis Hérard Abraham au pouvoir. Ertha Pascale Trouillot, juge à la Cour de cassation, succède à Prosper Avril après sa démission et est chargée d’organiser de nouvelles élections. Le 16 décembre 1990, Jean-Bertrand Aristide est élu président d’Haïti. Cependant, son mandat est écourté par un coup d’État militaire orchestré par la junte militaire de Raoul Cédras, le forçant à prendre l’exil aux États-Unis.
Sous la présidence de Bill Clinton et avec le soutien du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis interviennent en Haïti le 15 octobre 1994 pour rétablir le président Aristide dans ses fonctions. Ce dernier laisse ensuite la présidence à son successeur, René Préval, élu président de la République le 17 décembre 1995.
En mai 2000, Jean Bertrand Aristide est réélu président, mais il quitte le pouvoir le 29 février 2004 sous la pression américaine. Boniface Alexandre assure alors l’intérim, suivi de René Préval, élu en 2006 avec le soutien des forces de l’ONU. Michel Martelly lui succède en 2011, suivi de Jocelerme Privert, puis de Jovenel Moïse, assassiné en 2021. Après deux ans au pouvoir, Ariel Henry est contraint à l’exil, laissant place à un conseil de transition qui prendra les rênes de la nation.
La réalité actuelle du peuple haïtien peut être scrutée sous divers angles : social, économique et historique et même « mystique ». Cette instabilité chronique découle en partie de l’histoire mouvementée du pays, de la lutte des classes et du pouvoir, ainsi que des défis persistants en matière de gouvernance. L’incapacité des autorités à établir un cadre commun et un dialogue national pour définir des priorités claires entrave le développement du pays.
Haïti a une longue histoire marquée par l’expérimentation avec des conseils présidentiels, comprenant le Conseil des secrétaires d’État en 1874, le Comité révolutionnaire de Port-au-Prince en 1876, le Comité d’Ordre Public en 1879, le Comité révolutionnaire en 1915 et le CNG après le départ de baby doc. La question cruciale demeure : le Conseil Présidentiel de Transition pourra-t-il répondre aux attentes en instaurant la paix sociale, en organisant des élections pour permettre l’accession de nouveaux élus au pouvoir, et en facilitant le retour au processus démocratique ainsi qu’à la stabilité politique et économique ? C’est là une interrogation majeure. En tant qu’originaires d’Afrique, avons-nous réellement adopté le modèle de démocratie occidentale et compris la nécessité de le promouvoir nous-mêmes ? C’est là une autre interrogation à considérer.