PORT-AU-PRIBCE, mercredi 23 octobre 2024 – Le climat de terreur qui s’installe en Haïti s’intensifie alors que Jimmy Barbecue Cherizier, chef redouté de la coalition de gangs « Viv Ansanm », a menacé publiquement quatre journalistes haïtiens. Lucner “Louko” Désir, Esaue César, de l’émission Matin Débat diffusée sur Radio Télé-Éclaire, ainsi que Gurrier Dieuseul et Johnny Ferdinand de Radio Télé-Caraïbes, sont désormais des cibles déclarées des gangs qui opèrent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. La menace de Cherizier, connu également sous le surnom de “Jeanjean”, prononcée lors d’une session en direct sur les réseaux sociaux, met en lumière une situation critique pour la presse haïtienne qui se trouve sous une pression croissante et constante.
Cette menace survient dans un contexte où la situation sécuritaire en Haïti atteint des niveaux alarmants, et où les journalistes peinent à couvrir l’actualité dans des conditions normales. En effet, depuis plusieurs années, les quartiers de la capitale et d’autres régions stratégiques sont inaccessibles aux médias en raison de la présence omniprésente des gangs armés qui contrôlent 80 % du territoire métropolitain. Les reporters, autrefois garants de la transparence et de la circulation de l’information, sont aujourd’hui contraints au silence ou à l’autocensure, craignant pour leur vie. Dans ce contexte, les menaces de Cherizier contre quatre figures médiatiques illustrent un état de fait où la liberté de la presse est piétinée, alors que l’indifférence des autorités et de la société civile semble encourager cette dérive.
Cette situation n’est pas sans précédents. Au cours des dernières années, plus d’une dizaine de journalistes ont été tués en Haïti, souvent dans des circonstances troubles et jamais élucidées. Ces assassinats, restés sans suite judiciaire, soulignent une impunité totale qui mine la confiance envers le système judiciaire et met en danger l’ensemble de la profession. Alors que les journalistes continuent de faire face à des menaces de plus en plus explicites, l’absence de réaction concrète des autorités envoie un signal inquiétant : en Haïti, la vérité peut être tuée sans conséquence.
Le phénomène de la montée en puissance des gangs armés n’est pas nouveau en Haïti, mais il atteint aujourd’hui une dimension inédite. Depuis la fin des années 2000, les quartiers populaires de Port-au-Prince et d’autres régions stratégiques sont devenus des bastions quasi inaccessibles, sous le contrôle de groupes paramilitaires qui agissent en toute impunité. La situation sécuritaire a continué de se dégrader au fil des années, avec des gangs de plus en plus puissants, mieux armés et mieux organisés. L’effondrement des institutions étatiques et l’absence d’une gouvernance forte ont permis à ces groupes de s’enraciner, rendant l’exercice du métier de journaliste encore plus dangereux. Dans ce contexte, ceux qui continuent de travailler au péril de leur vie deviennent des cibles privilégiées pour ceux qui cherchent à imposer leur loi par la violence et la terreur.
Dans ce climat de peur généralisée, Jimmy Barbecue Cherizier, un ancien policier devenu l’un des chefs de gang les plus influents du pays, n’hésite pas à se positionner en juge et bourreau. Lors de son intervention sur les réseaux sociaux, il a donné des ordres directs à Vitelhomme Innocent, un autre leader notoire, de capturer les quatre journalistes afin de les faire juger devant un « tribunal populaire » qu’il prétend diriger. Ces déclarations marquent un tournant inquiétant dans la manière dont les gangs imposent leur contrôle sur la société, utilisant la peur pour museler toute forme de contestation. À ce jour, aucune réponse ferme des autorités haïtiennes n’a été enregistrée face à ces menaces. L’inaction des pouvoirs publics face à ces intimidations accrédite l’idée d’une défaillance de l’État, incapable de garantir la sécurité des journalistes et de défendre la liberté d’expression.
Ce vide sécuritaire et institutionnel est accentué par la normalisation de la violence et de la terreur. Des figures influentes de la presse et des associations de journalistes haïtiens, qui devraient normalement s’élever en bloc contre de telles menaces, semblent désarmées face à l’ampleur du problème. Peu d’entre elles ont réagi avec vigueur aux propos de Cherizier, donnant ainsi l’impression que la solidarité au sein de la profession s’étiole au moment où elle devrait être la plus forte. La désillusion face à la capacité de la presse à jouer son rôle de contre-pouvoir dans un contexte de violence généralisée laisse planer des doutes sur l’avenir de la liberté de la presse en Haïti.
Les conséquences de cette crise sont profondes. Une société qui tolère les atteintes à la liberté de la presse compromet non seulement la sécurité des journalistes, mais elle fragilise également les fondements mêmes de la démocratie. Les médias constituent un contre-pouvoir indispensable, et leur affaiblissement risque de faire disparaître l’une des rares barrières qui empêchent le basculement définitif vers l’autoritarisme. Les journalistes, lorsqu’ils sont menacés, ne sont pas seulement des individus isolés. Ils représentent la voix de la société, celle qui doit pouvoir s’exprimer sans crainte de représailles, pour dénoncer les injustices, pour informer, pour éclairer les zones d’ombre laissées volontairement dans le flou.
Dans ce contexte, il est inquiétant de constater que les gangs se posent désormais en censeurs. En s’appropriant le discours public, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux où ils disposent de leurs propres relais et “journalistes” autoproclamés, ils imposent leur propre agenda et s’assurent que leur version des faits domine le récit national. Le contrôle de l’information devient un enjeu stratégique pour maintenir leur emprise, et tout journaliste qui tente de révéler la vérité devient une cible. Il est symptomatique de constater que même à l’étranger, certains journalistes haïtiens ne sont pas à l’abri des menaces de ces groupes criminels. La violence dépasse les frontières, et la peur devient un outil de répression global.
L’indifférence apparente de la société haïtienne face aux menaces croissantes contre les journalistes soulève des questions fondamentales. Cette indifférence peut être interprétée comme une perte de confiance envers une presse souvent perçue comme partisane ou inefficace. Mais il est aussi possible que cette absence de réaction traduise une fatigue face à une crise qui semble sans fin, et à un système médiatique qui, malgré ses efforts, peine à informer une population lassée par des années de violence, de corruption et de mensonges. Si cette situation perdure, la presse haïtienne risque de perdre toute crédibilité, et avec elle, la capacité de jouer un rôle crucial dans la reconstruction du pays.
Pourtant, la lutte pour la liberté de la presse en Haïti n’est pas une cause perdue. Face à la montée de la violence et à la multiplication des menaces, la solidarité et le soutien international deviennent essentiels. Des organisations de défense des droits de l’homme, des associations de journalistes à travers le monde, et des acteurs de la société civile doivent se mobiliser pour apporter leur soutien aux journalistes haïtiens. Cette bataille pour la vérité et pour la liberté d’expression dépasse les frontières d’Haïti ; elle concerne chaque personne et chaque nation qui croit encore en la valeur d’une information libre et indépendante.
Le défi est immense. La violence des gangs, l’impunité qui règne, et la faiblesse des institutions haïtiennes constituent autant d’obstacles à surmonter. Mais il est impératif que la lumière soit faite sur les crimes commis contre les journalistes, que les coupables soient poursuivis, et que des mesures concrètes soient prises pour protéger ceux qui, chaque jour, risquent leur vie pour informer le public. Sans une presse libre et courageuse, la société haïtienne se dirige vers un abîme où le silence deviendra la règle, et où la vérité sera remplacée par la peur.
Il est crucial de rappeler que chaque journaliste menacé ou assassiné en Haïti est une perte pour la démocratie, une défaite pour la justice, et un coup porté à la liberté de la presse mondiale. Il est de la responsabilité de chacun, en Haïti comme à l’étranger, de soutenir et de protéger ces voix courageuses qui, malgré le danger, refusent de se taire. La survie de la presse haïtienne, et par extension, celle de la démocratie en Haïti, dépend de notre capacité à agir et à ne pas céder face à la terreur.
Prudence! Prudence! Prudence!