Par Catherine Osborn, chroniqueuse spécialisée en Amérique latine pour Foreign Policy. Cet article a été publié dans la rubrique “Latin America Brief” de Foreign Policy le 13 décembre 2024.
PORT-AU-PRINCE, vendredi 13 décembre 2024– Ces dernières semaines, les limites des solutions internationales à la crise en Haïti ont été mises en lumière. Malgré l’intervention d’une mission de sécurité principalement composée de policiers kenyans et financée en grande partie par les États-Unis depuis juin, la violence continue d’augmenter, tandis que l’accès humanitaire s’aggrave dans le pays.
Le week-end dernier, les forces kényanes n’ont pas pu empêcher un massacre de gangs qui a fait au moins 184 morts à Port-au-Prince, la capitale. En novembre, le contrôle de l’aéroport par des gangs a conduit des organisations humanitaires à réduire leurs opérations. Selon un rapport de Reuters, près de 20 officiers kenyans auraient récemment proposé leur démission, bien que cette information ait été démentie par la mission de sécurité.
Face à ces échecs, plusieurs acteurs internationaux appellent à une nouvelle approche. Lundi, Human Rights Watch a rejoint des gouvernements des Amériques pour demander à l’ONU de lancer une mission de sécurité à part entière en Haïti. Cette prise de position marque un changement significatif, d’autant plus que l’organisation avait jusqu’alors exprimé des réserves sur le retour de l’ONU en Haïti, en raison du lourd héritage de sa dernière mission. Celle-ci avait été entachée par des scandales d’abus sexuels et l’introduction du choléra dans le pays.
Le 29 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adressé une lettre au secrétaire général António Guterres pour lui demander de formuler des « recommandations stratégiques » sur la façon dont l’ONU pourrait mieux répondre à la crise haïtienne. Cette démarche reconnaît l’insuffisance des efforts actuels.
« C’est une décision que nous ne prenons pas à la légère », a déclaré Juan Pappier de Human Rights Watch. « L’ONU a probablement le moins de légitimité en Haïti par rapport à d’autres pays. »
Le soutien à une nouvelle mission s’inscrit également dans un contexte politique complexe, alors que l’administration Biden, qui a insisté sur des mesures de surveillance pour prévenir les abus des droits humains, s’apprête à céder la place à l’administration Trump. Sur le terrain, la campagne de Donald Trump a été marquée par des discours alarmistes sur les migrants haïtiens, et il reste incertain si la prochaine administration maintiendra le même soutien à une approche axée sur le respect des droits humains.
Actuellement, la mission de sécurité en Haïti est financée volontairement par plusieurs gouvernements. Une mission financée directement par l’ONU serait moins vulnérable aux changements politiques dans les pays membres. Toutefois, pour que le Conseil de sécurité approuve une telle mission, la Chine et la Russie devront abandonner leur scepticisme. En novembre, ces deux pays n’ont pas bloqué l’envoi de la lettre à Guterres, laissant entrevoir une éventuelle évolution de leur position.
Des figures éminentes des droits humains en Haïti, telles que Pierre Espérance du Réseau national de défense des droits humains, ont également appelé à une intervention onusienne. Dans une tribune publiée en juin, Espérance a souligné que « la force militaire seule ne peut pas offrir une stabilité à long terme à Haïti, et les besoins des Haïtiens doivent être au centre de tout effort militaire. »
Human Rights Watch a, de son côté, recommandé la mise en place d’un conseil indépendant pour surveiller les actions d’une éventuelle force onusienne. Si ces mesures sont adoptées, elles pourraient établir un nouveau standard de responsabilité pour les opérations de maintien de la paix, en Haïti et ailleurs dans le monde.
(Source : Catherine Osborn, “Haiti’s Crisis Sparks a Rethink of U.N. Peacekeeping”, Foreign Policy, publié le 13 décembre 2024).