Par Joseph Manès Louis, Av. Ex-député,
PARIS, vendredi 22 septembre 2023- À la grave crise multidimensionnelle que connait Haïti depuis plus de deux ans, s’ajoute un différend né des relations haïtiano-dominicaines. Il faut rappeler que la République d’Haïti et la République dominicaine sont deux peuples frères insulaires. Ils partagent aussi de profonds liens historiques. Ils sont donc condamnés à évoluer ensemble et harmonieusement. De quoi s’agit-il en fait ?
En pleine crise de désaccords avec un Premier Ministre de facto, M. Ariel Henry, qui ne fait que s’engager et se désengager dans des accords politiques mort-nés. Haïti vit difficilement sous le poids des gangs lourdement armés. Ces gangs volent, violent, incendient, kidnappent et assassinent à longueur de journée. Ils jouissent aussi d’un système d’impunité sous les yeux complices des jouisseurs d’un pouvoir n’ayant aucune légitimité administrative. Des acteurs importants du secteur politique avancent avec raison que ce Premier Ministre et sa coalition au pouvoir constituent, en eux-mêmes, une crise dans la crise qu’on ne l’aurait imaginé.
Nombreux sont les haïtiennes et haïtiens, toutes couches confondues, qui ont été contraints de quitter la mère patrie en quête de sécurité et/ou d’un mieux-être sous d’autres cieux. Le climat d’insécurité s’est détérioré. Le phénomène inflationniste est hors de contrôle. Les déplacés de Cabaret/Source Matelas, de Carrefour -Feuille, et pour ne citer que ceux- là, ne savent pas à quel saint se vouer. Bref, la crise humanitaire fait des victimes. C’est dans ce contexte que, abandonnée à elle- même, la vaillante population de Ouanaminthe a décidé de continuer les travaux de construction du canal sur la rivière du massacre. Aux termes du Traité de Paix, d’amitié et d’arbitrage signé le 20 février 1929 qui lie ces deux peuples, chacun peut équitablement utiliser souverainement les eaux de cette rivière aux fins d’irrigation. Et contre la reprise desdits travaux, les autorités dominicaines protestent et menacent de fermer leurs frontières avec Haïti. C’est ainsi que le 15 septembre écoulé, le président dominicain, raciste de son état, est passé à l’action en verrouillant ses frontières avec Haïti.
Que dit alors le droit international Public, puisqu’il s’agit d’un différend international, greffé sur l’existence d’une convention liant les Hautes parties contractantes ?
Mon devoir de citoyen me commande de faire le point en disant le mot du droit. Cette démarche s’inscrit aussi dans une logique de clarification visant une meilleure compréhension sur une question d’intérêt national.
Avant tout, il convient de préciser que les relations internationales reposent sur un ordre interétatique, donc un ordre juridique décentralisé et sur la volonté des États souverains.
1 – l’ordre juridique international
Il s’agit là d’un ordre juridique décentralisé qui est construit sur les rapports entre des États égaux qui édictent des règles de droit auxquelles ils souhaitent de bonne foi se soumettre. Donc aucun État n’a de titre juridique pour imposer sa volonté à un autre État. Il n’y a pas non plus un pouvoir central mais un pouvoir décentralisé. Dans un différend opposant deux États, aucun d’eux ne peut pas recourir à une police internationale, et d’ailleurs qui n’existe pas, pour faire valoir ses prétentions. Même l’ONU n’est pas une sorte de « super-État » auquel ses membres seraient soumis. En droit international, pour résoudre un différend (juridique ou politique), « on est donc confronté à trois alternatives : a) La recherche d’un règlement qui y mette fin ; b) entre la voie concertée et la voie unilatérale c) L’emploi de la force qui est prohibé dans l’état actuel du droit », selon Jean COMBACOU et Serge SUR, Professeurs émérites de l’Université Panthéon-Assas (Paris II). Toutefois, il est toujours interdit de régler le différend par des moyens non pacifiques. C’est ce que prévoit l’article 2 de la Charte des Nations Unies (CNU) : « Les membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, ils s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force (art. 2 § 4) ».
2) La volonté des États dans l’ordre juridique interétatique
Contrairement à ce qui se passe avec l’État en droit interne, il faut en droit international public l’accord de plusieurs volontés. Sans cet accord, il n’y a pas de règles juridiques. Toute règle de droit procède de la volonté de l’État. Selon le dictionnaire de droit international public, le volontarisme est une « doctrine juridique selon laquelle le droit international est fondé sur la volonté des États » La Cour Permanente de Justice Internationale avait exprimé cette doctrine dans plusieurs arrêts : « Les règles de droit liant les États procèdent de la volonté de ceux-ci» Le droit international est le produit de la volonté des États. Pacta sun servanta : les accords doivent être respectés.
Revenons aux faits cités plus haut :
Sur la poursuite des travaux, objet du différend, chaque État est libre d’apprécier sa propre situation envers un autre État. Les États ont le droit de se défendre mutuellement, sans que l’un soit supérieur à l’autre. Ainsi l’un peut demander des comptes à l’autre (par des canaux diplomatiques) dépendamment de celui qui s’estime lésé par un acte illicite (appréciation subjective) mis à la charge de l’autre. Bizarrement, le Président dominicain, après s’être fourvoyé dans un courant extrémiste nationaliste, a décidé d’adopter un train de mesures illicites à l’encontre de L’État haïtien. Et, en agissant ainsi, il viole de manière flagrante les principes du droit international public. Car il ne s’agit pas de demander à l’État haïtien de faire marche arrière, le plaçant ainsi dans une position fautive. Du reste, les limites de l’indépendance des États ne se présument pas.
De tels comportement doivent s’analyser au régime de contre-mesures, constituant largement une pratique américaine. Par contres mesures, il faut entendre un ensemble de décisions unilatérales qui doivent répondre à un acte illicite préalable d’un État vers qui, elles sont dirigées. Et si l’on s’en tient au terme du traité du 20 février 1929, Haïti n’a commis aucun acte illicite préjudiciant aux intérêts de l’État dominicain. Et pourtant la diplomatie haïtienne n’a pas été à la hauteur de ses fonctions. Je partage le point de vue du Professeur Guichard DORÉ qui a évoqué les maladresses du Gouvernement Ariel Henry. Car la délégation haïtienne qui a été en République dominicaine avant l’adoption de ces mesures arbitraires, en est une, n’en déplaise à ses membres qui peuvent bien s’y connaitre dans ce domaine. Se tromper est humain ; errare humanum est.
A mon humble avis, il revenait aux autorités dominicaines d’envoyer une délégation en Haïti. La raison est facilement compréhensible, dès lors que c’est l’État dominicain qui s’estimerait lésé à partir de sa propre appréciation des faits. Une telle appréciation ne saurait en aucune manière lui ouvrir le droit de recourir prématurément au régime de contre-mesures. Car l’article 52 § 1 de la codification du droit international stipule : « Avant de prendre des contres -mesures, l’État qui s’estime lésé doit notifier à l’État responsable toute décision de prendre des contre-mesures et offrir de négocier avec cet État ». Il s’avère nécessaire de préciser deux choses ; la première est celle qui fait obligation à l’auteur de ces mesures unilatérales de les notifier ou de sommer et la deuxième, celle de proposer une offre de négociation à l’État considéré comme fautif, soit pour le porter à amender son comportement ou à négocier. Nul ne peut pas transiger sur les intérêts supérieurs de la Nation haïtienne. Toutefois ce qui est souhaitable c’est de voir que l’État haïtien arrive à un partage équitable d’exploitation de cette rivière, conformément à l’article 10 de ladite convention. Pourtant, la République dominicaine en a déjà 11 captages. Subordonner la reprise des pourparlers à la cessation desdits travaux relève d’une arrogance démesurée et non pas des principes du droit international public. La clause compromissoire insérée dans le traité doit attirer l’attention des uns et des autres. Quant à la note du gouvernement de facto, rien n’a été dit sur la violation systématique des droits des ressortissants haïtiens en République voisine. A ceux qui détiennent le pouvoir et qui en jouissent, y compris les avantages mêmes indus, au détriment du peuple haïtien, je me permets de leur demander de cesser de se plaindre en nous faisant part de leurs “préoccupations”. Ils vivent aux frais de la République en vue de répondre, en principe, aux attentes de la population. Mais ils en ont fait fi. Ils se pavanent dans des voitures luxueuses blindées pour des résultats zero, disant au peuple soufrant : « kimele m ».” Le rien” qu’ils dirigent n’a rien à voir avec la doctrine des pouvoirs de crise. Laquelle doctrine avait permis à de nombreux pays qui furent en crise de s’en sortir à la satisfaction de l’intérêt général. Qu’attendez-vous, membres de ce gouvernement de la honte, pour tirer les conséquences de vos graves méfaits, résultant d’une gouvernance calamiteuse.
Solidarité à la vaillante Population de Ouanaminthe !