Éditorial,
PORT-AU-PRINCE, mercredi 8 janvier 2025– Dans un contexte de crise sécuritaire, démocratique et institutionnelle, Haïti se trouve à la croisée des chemins. Selon l’accord du 3 avril 2024, de nouvelles autorités issues d’élections devraient entrer en fonction le 7 février 2026. Pourtant, alors que 2025 est censée être une année électorale, aucune condition fondamentale ne semble encore réunie pour espérer des scrutins crédibles, libres et inclusifs. Cette situation illustre les défis titanesques auxquels le pays fait face, exacerbant les tensions dans une transition déjà fragilisée.
La crise sécuritaire reste l’obstacle le plus immédiat à la tenue d’élections, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, les groupes terroristes réunis au sein de “Viv Ansanm” occupent plus de 89% du territoire. En dépit des efforts de la Police nationale d’Haïti (PNH), le pays est sous la coupe de bandes armés de plus en plus puissantes et organisées. L’organisation terroriste Viv Ansanm, parmi d’autres, domine des pans entiers du territoire, semant terreur et chaos. Extorsions, enlèvements, massacres, viols collectifs : le quotidien de nombreux Haïtiens est marqué par une violence indescriptible.
Selon l’Organisation des Nations-Unies (ONU), “la violence des gangs a tué au moins 5 601 personnes l’année dernière, soit une augmentation de plus de 1 000 victimes par rapport à l’année 2023, selon les chiffres vérifiés par le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies. 2 212 autres personnes ont été blessées et 1 494 enlevées. Plus de 700,000 personnes ont été forcées de fuir leurs foyers.”
La PNH, affaiblie par un sous-équipement chronique et un effectif insuffisant, peine à contenir cette montée en puissance. Les maigres appuis internationaux, restent loin de répondre à l’ampleur du défi. À cela s’ajoute une économie exsangue, où l’inflation galopante et la rareté des ressources vitales exacerbent les souffrances des citoyens. Ce climat d’insécurité mine la confiance populaire et rend difficile l’organisation d’un processus électoral dans un environnement où les électeurs eux-mêmes craignent pour leur vie.
Outre la sécurité, l’organisation des élections dépend de la mise en place d’un cadre juridique et constitutionnel adapté. La révision constitutionnelle promise dans la feuille de route de l’actuel pouvoir de transition est censée définir le régime politique à adopter. Si une commission a déjà soumis son rapport, son adoption par voie référendaire reste un défi colossal. Organiser un tel référendum nécessitera des ressources similaires à celles d’élections générales, exigeant une sécurité et une logistique actuellement hors de portée, sans compter la controverse qui entoure.
Cette incertitude alimente les spéculations politiques. De nombreux acteurs cherchent à imposer leur vision d’une transition “sur mesure”, souvent en ignorant les aspirations du peuple. Les ambitions personnelles prennent le pas sur les besoins collectifs, contribuant à un climat de méfiance et de division qui compromet davantage la stabilité du pays.
Si les élections ne se tiennent pas en 2025, les conséquences pourraient être désastreuses. D’un côté, l’incapacité à organiser les scrutins alimenterait les critiques contre le Conseil présidentiel de transition (CPT) déjà affaibli par un scandale de corruption qui éclabousse trois de ses membres, et accentuerait la défiance envers les institutions. De l’autre, elle offrirait un prétexte aux groupes criminels et aux secteurs réfractaires au suffrage universel pour perpétuer le chaos. Ces derniers, souvent liés à des réseaux de trafic d’armes, d’organes humains et de drogue, disposent des moyens financiers et logistiques pour influencer l’avenir politique du pays à leur avantage.
Le manque d’offre politique constitue une autre menace majeure. La crise des partis politiques, couplée à l’effondrement du système démocratique, risque de laisser la voie libre à une reproduction du système honni. Des secteurs réactionnaires, historiquement liés à la corruption et au crime organisé, pourraient se recycler et reprendre le contrôle, aggravant ainsi la situation.
Malgré l’ampleur des défis, Haïti ne peut pas se permettre l’immobilisme. La tenue des élections, bien que difficile, reste cruciale pour restaurer une certaine légitimité institutionnelle. Les acteurs de la transition doivent donc redoubler d’efforts pour répondre aux exigences sécuritaires, logistiques et politiques. Un appui international plus structuré, sincère et coordonné sera également essentiel pour renforcer les capacités de la PNH et garantir un environnement sûr pour les électeurs.
Dans ce contexte, les Haïtiens progressistes et patriotes ont un rôle clé à jouer. Ils doivent œuvrer à construire une offre politique crédible et inclusive, capable de répondre aux aspirations populaires tout en rompant avec les pratiques du passé. Le chemin vers une Haïti stable et démocratique est semé d’embûches, mais il reste l’unique voie pour sortir le pays du cycle de crises et de violences qui le maintiennent dans l’impasse.
L’avenir d’Haïti dépendra de la capacité de ses dirigeants à mettre les intérêts du peuple au-dessus des ambitions personnelles. Sans une transition bien menée et des élections réussies, le pays continuera de sombrer dans le chaos, au grand désespoir de millions de citoyens en quête de paix et de dignité.