Discours sur le discours sur la non-fatalité du séisme en Hayti

Dr. Marc Louis Pierre

PORT-AU-PRINCE, lundi 9 mai 2022- Sept (7) mai 1842 – sept (7) mai 2022, cela fait exactement 180 ans depuis qu’un séisme majeur a provoqué une catastrophe en Hayti. La société d’Hayti pouvait modifier(réduire/augmenter) ce risque et cette catastrophe sismiques certes, mais elle ne pouvait, en aucun cas, éviter le séisme ou l’aléa sismique. Il est vrai que cette vérité me parait être universellement évidente, mais il est courant en Hayti mêmedans les milieux académiques, politiques et médiatiques,d’entendre dire que ‹‹tranbleman tè pa yon fatalite, se pare pou n’ pare››. J’avais l’habitude de répéter ce slogan sans fondement scientifique dès mon très jeune âge. Celui-ci,m’amenant à la raison, me pousse, grâce au doute méthodique, à montrer le niveau de l’acceptation du mensonge comme vérité au sein de la société, d’une part, et à expliquer, d’autre part, pour l’histoire et pour la vérité, que le séisme est une fatalité et l’on peut seulement s’y adapter!

Il est difficile de corriger même les mœurs jugées les plus mauvaises certes, mais j’ai pris le risque, après le séisme du 13 août 2021, de publier sur ma page Facebook : ‹‹ tranbleman tè se yon fatalite, se adapte pou n’ adapte nou ››. Des réactions fusaient de toute part. Des étudiants à la Faculté des Science de la Terre de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire (FSTEAT) au Campus Henry Christophe de l’Université d’Etat d’Haïti à Limonade (CHC-UEH-L), des enseignants au niveau secondaire, des professeurs d’universités ont réagi publiquement et/ou en privé me signalant que j’ai commis une erreur. C’est ainsi que je me suis dit qu’il m’est nécessaire de continuer à remettre en question les absurdités-vérités afin qu’elles n’affectent pas le cerveau des générations montantes et futures.

Au mois de septembre de la même année, la réaction des élèves de la quatrième année de l’unique école de géologie du pays, Ecole Nationale de Géologie Appliquée (ENGA) me fait comprendre que ce mensonge gagne aussi l’esprit même de ceux qui devrait avoir les connaissances les plus pointues dans le domaine. Si ceux qui étudient la géologie en Hayti ne savent pas que le séisme est une fatalité, le commun des mortels peut facilement croire qu’il soit même l’accomplissement d’un plan divin (comme une mère qui explique à sa fille, étudiante en aménagement du territoire, que c’est Dieu qui pose la petite pointe de son orteil sur la terre causant la récente inondation de la région du Nord. S’il yposait tout son pied, ce serait l’inimaginable). Douze janvier 2022, après avoir relancé le post de 2021 dans le cadre de la douzième année après le séisme de 2010, des discussions controversées sur ce sujet animent chaudement leur groupe whatsApp et leur page Facebook. Ce jour-là, j’étais plus que satisfait lorsqu’un étudiant en phase de rédiger son mémoire de licence m’a envoyé un screenshot, décrivant une discussion où il est arrivé à convaincre un ancien de l’école qui fait actuellement sa maitrise en géographie au Brésil, accompagné d’un message attaché : ‹‹ Dr., m sot’ konvèti y’on ene la››. Si certains restent attachés à un slogan qui n’était jamais une vérité, d’autres arrivent et arriveront, bien sûr, à comprendre et accepter que l’aléa sismique est une fatalité.

Dérivé du latin, l’aléa signifie jeu de dés ou hasard. L’aléa est un phénomène (naturel ou anthropique) plus ou moins probable sur un espace donné. L’aléa naturel est un phénomène résultant des facteurs ou de processus échappantau contrôle humain (cyclone, éruption volcanique, séisme, tsunami, etc.). Il fait référence au destin, à l’inévitable, au sort… D’où l’expression latine ‹‹alea jacta››  (le sort en est jeté), devenue célèbre après être prononcée par Jules César en franchissant le Rubicon.

Dans le monde entier et en Hayti en particulier, le destin ou le sort sismique est déjà jeté. Car, l’existence naturelle des plaques tectoniques et des failles, entre autres, fait du séisme un phénomène inévitable. Comme l’homme ne peut éviter sa mort, il ne peut non plus, en l’état actuel des connaissances,éviter un tremblement terre. A bien des égards, l’homme ne peut même pas empêcher un séisme de causer des dommagesnotables ou catastrophiques aux enjeux humains, économiques et environnementaux. Le séisme, un aléa naturel, est donc sans conteste une fatalité.

Comprenez-vous bien que l’homme peut prendre des mesures pour ne pas facilement tomber malade ou mourir prématurément comme toute société peut prendre des mesures de réduction des risques de catastrophe. Le premier se fait vacciné, consulté, soigné pour résister aux maladies ou vivre plus longtemps. Mais, une chose est sûre, il ne peut être échappé à la mort. Il en est de même pour la deuxième face aux aléas naturels. Elle peut concevoir, élaborer et exécuter des plans d’adaptation, de réduction ou de gestion des risques, mais elle ne peut empêcher les aléas de se produire voire de causer des dégâts potentiellement catastrophiques même dans les pays les plus avancés dans le domaine. Pourquoi dit-on donc que le séisme n’est pas une fatalité en Hayti? Hayti est-il vraiment un pays spécial?

Non, il ne l’est pas! C’est l’expert en Hayti qui,globalement sans culture de précision, se baigne souvent dans la confusion. Dans le pays, on confond trop souvent aléa, risque et catastrophe. C’est catastrophique ! C’est habituel d’entendre à la radio, à l’annonce du passage d’un cyclone, que des hommes d’Etat et des journalistes s’exclament que‹‹la catastrophe va passer sur le pays, il faut que la population se prépare››. Cette situation de confusion nous fait croire que le séisme  n’est pas une fatalité.

Cependant, il est important de préciser que c’est le risque sismique, comme la catastrophe, qui n’est pas une fatalité. Dans la mesure où il est défini, au sens classique du terme, comme le croisement/la jonction/la rencontre entre l’aléa et l’enjeu. Les facteurs humains deviennent de plus en plusimportants que ceux de la nature dans les sociétés modernes. Comme le risque dit naturel ne l’est pas totalement, il n’est donc pas une fatalité. Car, au moyen de la prévention, entre autres, l’homme peut le réduire considérablement comme il peut l’accroitre aussi au point qu’un faible aléa peut générerune catastrophe. Celle-ci, considérée comme la matérialisation du risque et l’exagération des dégâts qui perturbentprofondément une communauté ayant besoin de l’aide extérieure pour se relever, est un élément révélateur des vulnérabilités territoriales (contenant/contenu). Tout comme le risque, elle dépend de l’organisation politique, économique et sociale d’un pays. Bref, elle peut-être donc considérée comme une production/construction sociétale qui, dans une certaine mesure, peut être évitée ou limitée.

En conclusion, le risque et la catastrophe sismiques ne sont pas une fatalité. Car, les actions humaines peuvent lesmodifier. Mais, l’aléa sismique, c’est-à-dire le séisme lui-même, est incontestablement une fatalité. Personne ne peut l’empêcher de se déclencher et de causer, dans une certaine mesure, des dommages. Que les nouveaux slogansscientifiquement corrects soient ainsi :

1- ‹‹(Aleya)Tranbleman tè se yon fatalite, se adapte pou n’ adapte nou››.
2- ‹‹ Risk Tranbleman tè se pa yon fatalite, se adapte pou n’adapte nou››.
3- ‹‹Katastwὸf tranbleman tè se pa yon fatalite, se adapte pou n’adapte nou››.

 

 

Dr. Louis-Marc PIERRE,

Chercheur en géographie urbaine et des risques de catastrophe. Contact: louismix49@yahoo.fr