Des morts en attente de mourir à Port-au-Prince!

Me Sonet Saint-Louis

Par Me. Sonet Saint-Louis,

Si les différents protagonistes de tous les camps et de toutes les classes sociales ne comprennent pas la nécessité d’imposer la raison, la situation sécuritaire et sociale va être plus terrible qu’en 1986. La folie criminelle à laquelle nous sommes tous exposés nous contraint à l’action. Nous assistons tous les jours au pillage du commerce par les bandits, sans aucune crainte d’être appréhendés. Chaque zone a son groupe armé. On ne sait pas exactement à quel moment tel secteur va être livré au saccage des truands sans foi ni loi. Ils sèment l’horreur partout où ils passent. La mort. La douleur. La souffrance.

Après le chaos des gangs, lorsque le peuple souffrant montera sur la scène pour demander des comptes à ses massacreurs, il ne restera plus rien dans cette république. Les torts et les blessures qui lui ont été infligés sont tellement profonds. Ailleurs, on invente toutes sortes de choses pour éviter la souffrance aux êtres humains, chez nous, on vole les vies. Le bien le plus précieux et le plus sacré que l’homme puisse posséder, est bafoué. La vie, ce cadeau de Dieu, n’est ni respectée ni protégée. Une absence totale d’humanité enveloppe tout un peuple, qui se vide de son sang tant au sens propre que figuré. Notre Haïti devient un camp de la mort. De toutes sortes de morts. On meurt de mort lente et calculée mais aussi subite et spontanée. L’autre n’existe pas. Mais comment peut justifier son existence dans le bannissement de l’autre ? La vie aura un sens seulement quand on comprendra que garantir l’existence de l’autre, c’est garantir la sienne.

On est devenu bête, donc irresponsable. L’humanité et le sens de la responsabilité se sont éloignés de nous. La terreur qui frappe le secteur privé n’est pas normale, ni justifiée mais elle peut être expliquée. Aux problèmes collectifs et de société, nos élites dirigeantes ont toujours appliqué des solutions individuelles et dès lors elles ne peuvent que se fourvoyer dans leur primitivité. Les entités privées à la recherche de leurs seuls intérêts ont remplacé l’État, sous le couvert du libéralisme, voilà le drame d’Haïti. Après avoir contribué à la faillite de l’État d’Haïti pour avoir le contrôle sur tout, les possédants et leurs alliés risquent de perdre tout.

Il y a d’un côté ceux qui ont tout et de l’autre ceux qui n’ont rien. C’est la guerre sociale qu’avait annoncée le professeur Leslie Manigat. Une bataille entre ceux qui mangent et ceux qui ne mangent pas. Un affrontement entre les « have » et les « have not ». Ce conflit social qui se pointe ne risque-t-elle pas de se transformer en guerre civile ?  Prions pour que Dieu nous épargne de ces malheurs!

La paupérisation de masse est l’une des causes de la perte de toutes les vertus. L’État n’est plus. Il n’offre plus de services aux citoyens. Ainsi, les espaces de vie se sont vite transformés en zones précaires et sauvages où la loi du plus fort devient la règle. La police a les moyens de faire son travail mais elle est politiquement contrariée. L’autorité du malfaiteur s’affirme soit par la complicité, soit par l’incompétence des gouvernants actuels.

Haïti est abandonnée à son sort. Tout s’écroule rapidement et sûrement sous les yeux d’une communauté internationale indifférente qui n’a qu’une seule réponse au drame : les élections sous la supervision du BINUH. Cette structure s’est pourtant donné pour rôle d’encadrer les institutions responsables de la mise en œuvre de l’État de droit. À la fin de la journée, les plus avisés, notamment mes étudiants, vont finalement découvrir à travers mon enseignement de méthodologie de la recherche que rien n’est ce qu’il paraît. Que derrière tout projet apparemment désintéressé, il y a un mensonge organisé, une contre-vérité à faire admettre, une escroquerie intellectuelle à petite ou à grande échelle à imposer, souvent sous le couvert de la science.

Cette situation dramatique à laquelle nous assistons aujourd’hui ne saurait se faire en dehors de la conscience des classes dominantes et dirigeantes : il doit y avoir un choix politique à la base de cette catastrophe que nous sommes en train de vivre. Il n’y a pas d’autre explication.

Mais que signifie cette terreur ? Est-elle une arme pour des groupes pour se protéger contre d’éventuelles poursuites ? En tout cas, ce que ces gens qui orchestrent le chaos doivent comprendre que, pour fonctionner, le capitalisme a besoin d’un minimum d’État. Mais en Haïti, on a préféré fonctionner sur les dépouilles de la République, ce qui conduit à signer sa perte.

Les élites barbares d’Haïti n’ont pas compris que ce sont les hommes détenteurs du savoir, de l’avoir et du pouvoir qui ont intérêt dans la construction d’un État de droit. C’est dommage qu’ils ne saisissent pas cette profonde vérité car cet aveuglément les pousse à agir dans le mauvais sens. Cette incompréhension montre en tout cas que tout chez nous est caduc, y compris l’Esprit haïtien.

Mais les sauvages ont fait leur temps. Leur modèle de leadership a montré ses limites. La confiscation du pouvoir total conduit à l’impuissance. Le renouveau d’Haïti devra forcément passer par une renaissance éthique, politique et intellectuelle de la nation. Une autre nature du pouvoir, axée sur la modernité, doit émerger. Nous y sommes contraints si nous voulons survivre.