Crise migratoire : Haïti face à ses responsabilités, une réponse diplomatique et politique urgente…

Des haitiens expulses de la Rep. Domionicaine

MIAMI, dimanche 13 octobre 2024– La décision de la République Dominicaine d’expulser massivement les migrants haïtiens, avec pour objectif annoncé de déporter au moins 10 000 personnes par semaine, suscite de vives inquiétudes quant au respect des normes internationales et des droits des migrants. Alors que des milliers d’Haïtiens ont déjà été renvoyés dans leur pays, il est primordial de comprendre les mécanismes juridiques et diplomatiques que devrait mettre en place le gouvernement haïtien pour faire face à cette situation complexe.

Les expulsions massives sont strictement encadrées par plusieurs conventions internationales que la République Dominicaine a ratifiées. Parmi elles, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 interdisent les expulsions collectives sans examen individuel des cas, garantissant aux migrants le droit à une procédure équitable et une protection contre le refoulement. De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), également ratifié par la République Dominicaine, précise que les étrangers doivent être protégés contre des expulsions arbitraires. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée par les Nations Unies, stipule que tout migrant doit bénéficier de droits fondamentaux, y compris celui de ne pas être expulsé de manière inhumaine ou dégradante.

Malgré ces engagements, les violations des droits des migrants haïtiens sont fréquentes. De nombreuses expulsions sont menées sans procédure légale adéquate, ignorant les situations individuelles et procédant à des arrestations arbitraires. Les conditions de détention temporaire des migrants avant leur expulsion sont souvent jugées déplorables, tandis que les personnes déportées, incluant des femmes et des enfants, se retrouvent dans des conditions précaires. Ces pratiques constituent une violation flagrante des conventions internationales, en particulier de l’article 22 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants, qui exige un traitement juste et transparent pour chaque individu.

Pour répondre à cette situation, le gouvernement haïtien se doit d’adopter une approche proactive. Cela passe d’abord par une gestion efficace de l’accueil des migrants expulsés, en prévoyant des centres d’accueil temporaires et une assistance humanitaire d’urgence. Des partenariats avec des organisations internationales comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et les agences des Nations Unies sont cruciaux pour coordonner les efforts de réinsertion des migrants. La planification rigoureuse de ces infrastructures est essentielle pour éviter une crise humanitaire à l’intérieur des frontières haïtiennes.

Sur le plan diplomatique, Haïti doit exiger de la République Dominicaine le respect strict des conventions internationales, notamment celles protégeant les droits des migrants. Le rétablissement d’un dialogue bilatéral est fondamental pour établir un cadre de coopération migratoire, tout en garantissant la sécurité et le bien-être des migrants. Les mécanismes de consultation doivent aboutir à des accords garantissant la régularisation des migrants haïtiens en République Dominicaine, tout en assurant que les expulsions soient effectuées dans des conditions respectueuses des droits humains. Ce dialogue pourrait être renforcé par une intervention d’organisations régionales comme l’Organisation des États Américains (OEA), qui a déjà abordé cette question.

Haïti pourrait également envisager des recours juridiques devant des instances internationales comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans le cas où des violations des conventions seraient avérées. De telles démarches permettraient de mobiliser la communauté internationale pour exercer une pression sur la République Dominicaine, afin qu’elle se conforme aux obligations internationales.

Au-delà des solutions à court terme, il est indispensable de s’attaquer aux causes profondes de l’émigration haïtienne. La crise migratoire est un symptôme de l’instabilité politique, de la violence des gangs, du chômage massif, et de la crise humanitaire persistante en Haïti. Le gouvernement haïtien doit donc œuvrer pour une stabilisation politique, une sécurité renforcée et une relance économique permettant de créer des emplois et offrir des perspectives aux jeunes, afin de réduire la pression migratoire. Les initiatives pour un développement économique durable sont des éléments-clés pour limiter l’émigration à long terme.

Le renforcement de la coopération bilatérale entre Haïti et la République Dominicaine est une autre piste à explorer. Les deux pays partagent une longue histoire marquée par des tensions migratoires et des épisodes douloureux. En 1937, sous la dictature de Rafael Trujillo, des milliers de Haïtiens ont été massacrés lors du tristement célèbre “Massacre du Persil”. Plus récemment, en 2013, la République Dominicaine a déchu de leur nationalité des milliers de Dominicains d’origine haïtienne, les rendant apatrides et accentuant la précarité de leur situation. Ces événements tragiques, encore présents dans la mémoire collective, rappellent la fragilité des relations entre les deux pays et l’importance d’aborder la crise migratoire avec une approche pacifique et respectueuse des droits humains.

Les conventions internationales et les mécanismes de protection des migrants ne sont pas de simples principes abstraits. Elles constituent des engagements juridiques fermes auxquels la République Dominicaine doit répondre. Au-delà des discussions bilatérales, Haïti doit plaider sur la scène internationale pour que les expulsions soient effectuées dans le respect des normes de droit international. La protection des droits des migrants, tant par les tribunaux internationaux que par la diplomatie, est essentielle pour éviter une détérioration de la situation humanitaire et garantir que les déportations ne deviennent pas un prétexte à des violations systématiques des droits de l’homme.

Cependant, il est impératif de souligner que la solution à cette crise migratoire ne pourra être pleinement trouvée qu’en Haïti même. Il incombe au gouvernement haïtien de mettre en œuvre des politiques publiques capables de répondre aux difficultés socio-économiques des citoyens haïtiens. Cette crise ne fait que refléter le désespoir d’une population qui fuit l’instabilité, le manque d’opportunités et l’insécurité. Une approche de long terme basée sur le développement économique, l’amélioration des infrastructures et l’accès à l’emploi est nécessaire pour offrir des alternatives viables à l’émigration. Chaque Haïtien, où qu’il soit dans le monde, mérite d’être soutenu par un État qui se montre responsable de ses ressortissants, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières.

Ainsi, l’histoire tumultueuse des relations entre Haïti et la République Dominicaine, combinée aux obligations internationales en matière de droits des migrants, exige une réponse concertée et informée. La gestion des expulsions, tout comme la résolution des causes profondes des migrations, doivent s’inscrire dans une stratégie globale, visant non seulement à protéger les migrants, mais aussi à établir des relations pacifiées et respectueuses entre les deux nations. Haïti doit se doter de tous les moyens diplomatiques et juridiques pour protéger ses ressortissants et influencer de manière constructive la gestion de cette crise migratoire persistante, tout en adoptant des politiques publiques internes capables de freiner l’exode de ses citoyens.