Par Myrtha Désulmé
KINGSTON, samedi 13 juillet 2024-Pendant des siècles nous avons regardé le peuple Haïtien être abusé, maltraité, violé, torturé, lynché, décapité, et pendu sur la place publique. Leurs quartiers dans la république voisine sont souvent détruits au cours de pogroms organisés par des hordes racistes et xénophobes, déchaînées par le discours de haine savamment distillé au sein de la population dominicaine par des démagogues extrêmes qui utilisent les Haïtiens comme boucs émissaires pour les maux de leur société dont ils ont abdiqué la responsabilité. Ces malfrats se défoulent et passent leur rage sur nos concitoyens, incendiant leur communautés, les battant sauvagement, quelquefois à 2 doigts de la mort, avec l’abandon de ceux qui savent qu’ils agissent en toute impunité.
Les nations qui souhaitent une Haïti sans Haïtiens ont déclenché depuis des décennies un plan d’extermination contre le peuple Haïtien. Au fait, depuis le succès de notre glorieuse révolution, l’obssession des puissances coloniales a toujours été de retourner dans les fers de l’esclavage ces “Africains galonés” comme les appelait Napoléon. Le senat Américain complétera pour lui: “pour empêcher la contagion morale qu’entrainerait une insurrection victorieuse de Nègres, qui porte ses fruits”. De la dette de l’indépendance, qui paralysa à dessein le développement d’Haiti; en passant par l’Occupation qui instaura la traite négrière d’Haïtiens trafiqués pour couper la canne dans les plantations sucrières américaines en République Dominicaine et à Cuba; à la destruction systématique de la production nationale, pour forcer l’exode rural et façonner un chômage inédit avoisinant un taux de 70%, créant ainsi une main d’oeuvre elle aussi reduite à l’esclavage, non seulement au terroir mais dans les territoires voisins; tout a été fait pour réduire le peuple Haïtien à sa plus simple expression. Leur vie étant devenue infernale, il ne leur reste aucune autre porte de sortie que de se suicider en haute mer en défiant les requins dans des canoës de fortune, leurs enfants à la remorque, prêts à échouer n’importe où le vent les mènera. Quand ils atteignent enfin ce qu’ils pensent être la terre promise, ce n’est que pour se heurter à la brutalité et à l’inhumanité la plus extrême de la part de ceux-là même qui en détruisant leur pays les a forcés à entreprendre cette fuite désespérée, avant d’être déportés et retournés à l’enfer.
Depuis 2018, l’étau s’est encore resserré. Le peuple a été livré en pâture aux mercenaires armés par l’oligarchie et les politiciens véreux en collaboration avec “les amis d’Haïti” qui leur fournissent les armes nécessaires pour perpétrer un génocide commandité.
Nous, de la Société Haïti-Jamaïque (SHJ), croisons les chemins de ces victimes quand elles croupissent dans les geôles infectes de la région, dans des conditions infrahumaines, au bord du suicide pour avoir subi des abus indicibles en violation flagrante du droit international humanitaire et de la Convention des Nations Unis sur les refugiés. Nous les trouvons aussi au bout d’un téléphone portable, émergeant du notoire Darien Gap, où pour avoir commis le crime d’essayer de fuir l’enfer, elles ont trouvé un pire enfer. Elles ont été battues et dépouillées, et ont dû souffrir le traumatisme indélébile de voir leurs compagnes être violées, ou leurs compagnons massacrés, devant leurs yeux. La première urgence qui s’impose est toujours de trouver un Western Union quelconque où qu’ils soient, pour leur faire parvenir quelques dollars qui pourraient leur acheter un minimum de répit dans leur tourmente. L’héroïque Avocate Malene Alleyne de Freedom Imaginaries se sacrifie sans relâche et leur offre ses services pro bono pour les demandes d’asile et les procès pour exiger que leurs droits soient respectés. Pourtant la cruelle ironie veut que ces braves exilés sous-tendent l’économie de la terre voisine, ainsi que celles de beaucoup d’autres pays de l’hémisphère.
Nous avons suivi ces horreurs avec un sentiment de rage mêlé d’impuissance, sachant que les corrompus qui nous sont imposés à la tête de cet état qui sévit contre la nation obéissent à la consigne de fermer les yeux et jouer à l’aveugle devant la souffrance de leurs concitoyens, parce que ce statu quo est voulu et monté de toutes pièces. Les officiels, les ambassadeurs, les ministres, les consuls, tous ceux qui jouissent de privilèges et de généreuses rémunérations pour assurer la protection et le bien-être du peuple haïtien sont inscrits aux abonnés absents. La diplomatie haïtienne, formée des amis et des concubines des législateurs, est devenue un vaste dépotoir. Affranchis de leurs responsabilités en tant que protecteurs des ressortissants Haïtiens, libres de décider s’ils veulent ou pas se présenter au travail, et habilités à s’adonner au trafic de passeports et a une pléthore d’autres rackets, ces “diplomates” s’enrichissent aux frais du contribuable pendant que la SHJ et les autres organismes des droits humains et des réfugiés sont obligés de se saigner pour secourir nos concitoyens aux abois.
Les dernieres tragédies en date sont le décès d’une rapatriée et le double meurtre commis sur des ressortissants Haïtiens en RD en moins d’une semaine. Le vendredi 5 juillet, le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) s’est indigné dans un communiqué de presse face à la banalisation de la vie des Haïtiens en terre voisine et a tiré la sonnette d’alarme sur la tournure inquiétante de la situation. L’équipe du GARR a assisté au rapatriement à la frontière de Belladère de la jeune femme haïtienne de 23 ans décédée aux mains des autorités dominicaines. Le même jour, à la frontière Sud-est d’Haïti (Pedernales/Anse-à-Pitres), ils furent alertés par leur réseau d’information sur l’assassinat brutal de deux Haïtiens en territoire dominicain.
Selon des données partagées avec le GARR par l’Office National de la Migration (ONM), la jeune femme morte, rapatriée par la migration dominicaine, est originaire de Saut d’Eau. Elle a été appréhendée à Duarte le mercredi 3 juillet alors qu’elle était souffrante et en route pour Haïti. On l’a placée en détention sans accès à un minimum d’assistance médicale. Son état s’est vite détérioré et elle a succombé dans l’indifférence la plus totale le 4 juillet, au cours de sa déportation. Les agents de la migration ont quand même tenté de déposer le cadavre au niveau de la partie haïtienne sans explications, en la faisant passer pour une personne vivante mal en point. Mais grâce à la vigilance des agents de protection à la frontière, la migration dominicaine a été contrainte de rebrousser chemin avec le corps pour assurer les suivis nécessaires, comme l’exige le protocole d’accord sur les rapatriements dûment signé entre Haïti et la République Dominicaine. Le 5 juillet, l’ONM, accompagné de la famille de la victime, reçut le corps sans vie de Saint Mira Millien à la frontière de Belladère.
Le GARR a déploré les conditions dans lesquelles la jeune femme a perdu la vie. L’inconsidération, le manque d’humanité et la brutalité qui caractérisent les actions des agents de la migration dominicaine envers les migrants haïtiens traqués en sont principalement la cause. Placer une personne migrante, souffrante, en prison, sans soins, relève d’une cruauté sans borne. Pire, cette chasse dirigée systématiquement contre les migrants haïtiens, réguliers ou pas, s’apparente la plupart du temps à un système d’extorsion qui fait fructifier l’économie dominicaine. Le GARR a rappelé aux autorités de la République Dominicaine que les Haïtiens présents sur leur territoire ne sont pas de la volaille, et ont droit au respect et aux traitements dignes qui sont dus même aux animaux.
La seconde barbarie que le GARR a refusé de passer sous silence, est le double assassinat odieux perpétré contre deux ressortissants Haïtiens le mardi 2 juillet à Paso Cena vers 6h pm. Les victimes sont Jean Duverssaint et Maurice Delia, originaires de Jacmel. Deux paisibles frontaliers haïtiens, âgés respectivement de 65 et de 49 ans. Selon les déclarations d’un témoin, le présumé assassin est dominicain et répond au nom de Hungria Diaz, un familier des victimes. Jean et Maurice furent froidement abattus avec un revolver alors qu’ils ne faisaient que chercher du bois pour faire le feu au moment des intempéries survenues en début de semaine. Ce crime a plongé en émoi la population d’Anse-à-Pitres et perturbe le rapport de bon voisinage qui lie généralement les populations frontalières.
Les proches des victimes, accompagnés des organismes de défense des droits humains et des migrants, ont dû faire maintes démarches auprès de l’Etat dominicain qui essayait d’étouffer l’affaire. Après autopsie, dont les résultats demeurent toujours inconnus pour les familles éplorées, les deux corps ont été enterrés dans le secret et avec empressement au cimetière municipal de Pedernales. Il est pratique courante en Dominicanie que les Haïtiens se fassent abattre pour rien. Quand ce ne sont pas des militaires dominicains qui en sont les auteurs, ce sont de simples citoyens qui s’arrogent le droit de tuer des Haïtiens. La plupart du temps, quand les faits n’ont pas été dénaturés par les autorités dominicaines, les dossiers disparaissent et les fautifs demeurent en liberté.
Accoutumé à l’impunité de l’Etat dominicain et au laxisme de l’Etat haïtien face aux traitements inhumains infligés aux ressortissants Haïtiens sur le sol voisin, le GARR a vivement interpellé les autorités des deux pays, notamment le service diplomatique haïtien, à s’emparer de ces deux dossiers afin que lumière soit faite et que justice soit rendue aux familles des victimes. Par ailleurs, le GARR invite les organismes de défense des droits humains en Haïti, en Dominicanie, et dans la communauté internationale, à dénoncer ces violations systématiques des droits des ressortissants haïtiens en République Dominicaine.
On ne s’attendait vraiment plus à rien du gouvernement haïtien, qui n’est qu’une plaie qui gangrène notre mère patrie, et n’offre que le déshonneur à ses ressortissants. Quelle ne fut donc pas notre surprise de découvrir le 17 juin un article qui relatait que dans son premier acte officiel depuis son entrée en fonction, la Ministre Dupuy avait ordonné au Consulat haïtien en Équateur de porter assistance a des compatriotes bloqués depuis une semaine, dormant sur des chaises dans la salle d’attente de l’aéroport de Guayaquil. Etait-ce l’avènement d’une nouvelle ère ou un incident isolé? On osait à peine espérer…Pourtant le 8 juillet, la Ministre frappait une seconde fois. Dans une note publiée sur son compte officiel, la chancellerie haïtienne déplorait la mort des trois haïtiens assassinés en notant qu’une fois de plus, des citoyens haïtiens sont victimes d’un traitement inhumain dans la zone frontalière et en territoire voisin. Elle poursuivit en exigeant que la République Dominicaine dépêche les moyens nécessaires pour déterminer les circonstances de ces décès et identifier les responsables. L’Ambassade d’Haïti à Santo-Domingo a été saisie du dossier et en assurera le suivi. Wow! L’assassin des 2 Haïtiens, Hungria Diaz, étant le père du Commissaire du gouvernement fiscal de la zone, ce dossier va devoir être suivi de près par le MAE.
La chancellerie dominicaine a, comme toujours, nié l’évidence, avec la même grossièreté, arrogance, et audacité qu’elle le fait depuis un siècle, pensant qu’en vociférant pour désavouer les atrocités dont témoignent des millions de personnes, qu’elle pourra convaincre le monde de ne pas croire ses propres yeux. Si confortables sont-ils avec leurs crimes que le Président Abinader a même osé briguer un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unis, qui lui fut octroyé aveuglément par les délégués. Non satisfait, il a même essayé d’en briguer la présidence! L’obtention de ce siège doit être contesté par la République d’Haïti.
Merci Ministre Dupuy, d’avoir accordé ce minimum de dignité à nos compatriotes, même si ce n’est que dans la mort. Ne vous taisez surtout pas! Le mutisme de l’État haïtien alimente la bestialité envers nos ressortissants, et engendre une impunité qui favorise la multiplication de ces actes répréhensibles. Ne vous laissez pas intimider par les pressions et les diktats. Ne vous laissez pas acheter. Continuez dans cette voie, débarrassée des vestiges du passé. Nous vous appuyons et sommes fiers de vous. L’histoire retiendra qu’une lueur d’espoir a vu le jour au milieu des ténèbres, et vous réservera une place d’honneur pour la postérité.
L’espoir de rupture avec le statu quo de la corruption, de l’ingérence, et de la criminalité dans nos affaires publiques et sociales a visiblement été galvaudé. La route est encore longue pour ceux qui œuvrent pour une Haïti libre et souveraine afin d’atterrir cette transition “koupe fache” invariablement détournée et co-optée. Nous allons néanmoins persévérer dans notre rude labeur. Mais en attendant de pouvoir accomplir le rêve de rapatrier à la terre de leurs ancêtres nos frères et soeurs, cette masse souffrante contrainte à déferler sur l’hémisphère pour être assujettie à ces crimes contre l’humanité, si nous arrivons à leur porter secours et restaurer leur humanité, nous aurons au moins essuyé la honte de notre visage.