Un éditorial du Washington Post,
PORT-AU-PRINCE, lundi 8 août 2022– Alors qu’Haïti s’enfonce de plus en plus dans le pandémonium, avec une grande partie de la capitale saisie par des coups de feu et des guerres de gangs, elle a reçu des livraisons récentes des États-Unis de deux produits qui ne peuvent que contribuer à son effondrement : des armes et des déportés. Ces exportations – l’une de contrebande, l’autre ouvertement – sont le dernier symptôme du mépris insensible et de la myopie morale du monde à l’égard du pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental. Haïti n’a pas de gouvernement fonctionnel, pas de démocratie, pas de paix, pas d’espoir. Et la réponse de la communauté internationale est le silence.
Le mois dernier, au milieu d’un spasme de violence armée qui a fait des centaines de morts, de blessés ou de disparus dans la capitale Port-au-Prince, les douaniers haïtiens ont saisi des conteneurs d’expédition qui, selon eux, contenaient 18 “armes de guerre”, plus des armes de poing et 15 000 cartouches. Selon Reuters, les articles ont été envoyés des États-Unis à l’Église épiscopale d’Haïti. L’église a nié toute connaissance du conteneur, dont le contenu a été décrit sur un document de fret comme “Marchandises données, fournitures scolaires, aliments secs”.
Quelques jours plus tard, un vol d’expulsion de la Louisiane est arrivé à Port-au-Prince – le 120e avion de ce type à arriver en Haïti cette année seulement. Peu de déportés haïtiens ont la possibilité de demander l’asile aux États-Unis. Depuis que l’administration Biden a pris ses fonctions, elle a envoyé au moins 26 000 migrants haïtiens dans leur pays d’origine, où la vie a été bouleversée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse l’été dernier. Selon des groupes de défense, environ un cinquième des déportés étaient des enfants ; des centaines étaient des nourrissons de moins de 2 ans.
Les États-Unis ne sont pas seuls dans leur insouciance. L’Organisation des États américains, dont la mission déclarée est de prévenir les conflits et de promouvoir la stabilité, n’a pas fait grand-chose en Haïti au-delà de la publication de tièdes déclarations d’inquiétude. Le Conseil de sécurité de l’ONU a récemment prolongé les opérations de l’O.N.U. Bureau intégré en Haïti d’un an, une mesure qui est passée inaperçue pour la plupart des Haïtiens, et pour cause : elle a été totalement inefficace.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a acheminé les livraisons de nourriture vers le pays par voie maritime, pour mieux éviter que ses camions ne soient pillés par des gangs. Jean-Martin Bauer, directeur du PAM en Haïti, a reconnu que la violence des gangs signifie que “les gens ne peuvent pas travailler, les gens ne peuvent pas vendre leurs produits”. Les prix des denrées alimentaires ont grimpé de plus de 50 % au cours de l’année écoulée, un bilan dévastateur dans un pays où le PAM estime que près de la moitié de la population de 11 millions d’habitants a besoin d’une aide alimentaire immédiate.
Peu surprenant que depuis octobre dernier, la garde côtière américaine a interdit plus de 6 100 Haïtiens essayant d’atteindre les États-Unis par voie maritime, une énorme augmentation par rapport aux dernières années.
Il est grand temps de réévaluer la piété commode, exprimée par les diplomates, les avocats et les militants, selon laquelle Haïti devrait être laissé pour trouver une “solution dirigée par les Haïtiens”. La vérité est qu’une “solution menée par Haïti” est une chimère, et sans intervention internationale musclée, la souffrance du pays s’aggravera. Ignorer cette réalité, c’est être complice du mépris du monde pour l’angoisse d’Haïti.