Par Me. Sonet Saint-Louis,
Dans son édition du 28 juillet 2021, Le Nouvelliste a écrit dans un article titré « Ariel Henry perd sa première bataille à la tête du gouvernement » que le Premier ministre devrait remettre le pays sinon sur les rails de la démocratie mais au moins sur le chemin menant au train. Le quotidien va trop vite en besogne. Comment le nouveau Premier ministre peut-il remettre le pays sur les rails quand il est lui-même déraillé ? Sans légitimité démocratique, sans légalité, sans représentativité, il a accepté de prendre le pouvoir sous la bénédiction du « Core Group ». Le nouvel homme fort du pays n’est responsable que devant lui-même : il n’a de compte à rendre à personne. Sans contrôle parlementaire, il cumule autant les fonctions exécutives que législatives. Pour une gouvernance à deux établie par la Constitution de 1987, la situation de ce nouveau chef de gouvernement dépasse vraiment la mesure. L’État doit être un corps de fonctionnaires intègres. Or Haïti a sa tête un Premier ministre, Chef de l’administration publique, qui agit en dehors de toute règle de contrôle, donc de sanction. Avec une telle gouvernance dépourvue de l’éthique gouvernementale, le risque de corruption est élevé. Du coup, l’intégrité de l’ensemble des membres du gouvernement est déjà compromise.
En l’absence des mécanismes de contrôle qui sont cruciaux pour endiguer tout excès de la part d’un gouvernement, exiger des comptes au nom de l’intérêt général, la gouvernance devient obscure et l’action gouvernementale, douteuse. Le contrôle passe par des contre-poids, des freins et un régime de sanctions. Dans notre régime politique, il ne peut pas avoir de gouvernants sans législateurs, de gouvernement sans parlement, d’action gouvernementale sans contrôle parlementaire. C’est le choix que nous avons fait, le consensus que nous avons établi à la fin de la dictature, en 1986. Si ce consensus ne tient plus pour des raisons exceptionnelles comme celles nous connaissons aujourd’hui, nous devons tous retourner à la table des négociations afin de décider ensemble un autre pacte.
Qui dirige le pays ?
Le pays n’a pas de dirigeant. On n’a que que des inconscients qui dansent sur les dépouilles de la République. Ces petits clans mafieux qui ne pensent qu’à eux se retrouvent aussi bien au Palais qu’à la Primature. Ils vont entraîner toute une nation vers sa perte, sa d’échéance. Comme dit l’autre, la gestion d’un pays est trop importante pour la confier à des âmes grossières ; en effet elles ne devraient pas avoir à décider dans une république.
Le Premier ministre peut présider un Conseil de gouvernement mais il n’entre pas dans ses prérogatives de convoquer un conseil des ministres. Cette attribution relève du Président de la République. En tant que PM, il ne peut pas s’approprier la totalité de la fonction exécutive. Il aurait dû le savoir, vu qu’il est sensé détenir une certaine expérience de l’État pour avoir été ministre en deux occasions. Le cas de dire qu’il y a de ces expériences qui ne valent pas grand-chose et qui sont même néfastes, surtout celles de la corruption et de la médiocrité. Haïti est le seul pays où l’on réédite volontiers l’échec et où on camoufle l’ancien en le présentant comme nouveau.
La Constitution établit une gouvernance à deux. Entre les deux chefs de l’Exécutif, il n’existe pas une relation de subordination. La loi mère attribue à chacun des responsabilités propres. Ariel Henry en exerçant toute la fonction exécutive devient un « monstre à deux têtes ». Comme dit Baudelaire dans « Les fleurs du mal » : « Ô blasphème de l’art ! ô surprise fatale ! La femme au corps divin, promettant le bonheur, Par le haut se termine en monstre bicéphale. »
Rénald Luberice a trouvé illégale la tenue d’un conseil des ministres sous la direction du Premier ministre Ariel Henry. Pourtant, la Constitution qu’il évoque, a été bien enfouie dans la terre par son ancien Chef, Jovenel Moïse. Sa remontée surprenante contre Ariel Henry ne traduit pas une volonté de faire respecter les règles mais dévoile une guerre sale pour le contrôle du pouvoir.
Ce jeune ambitieux sans trop d’état d’âme qui, pour plus d’un, portait les habits de l’imposture et de l’indécence, n’a jamais questionné les décisions de son ancien patron prises en marge de la Charte fondamentale ni celles de son poulain, Claude Joseph qui s’était proclamé président provisoire dans un arrêté pris en conseil des ministres, en application de l’article 149 de la Constitution ; même si, par la suite, il a changé d’avis en acceptant le poste de ministre des affaires étrangères au sein du gouvernement de Ariel Henry, celui-là même qu’il a dénigré en présence de ses tuteurs internationaux.
Ariel Henry ne peut pas révoquer Rénald Luberice, c’est un fait. Au regard de la loi, il n’ a pas cette compétence. Il faudrait un arrêté présidentiel pour le démettre de sa fonction. Une telle décision devrait émaner d’un Président. Mais le poste de Luberice lui-même soulève aussi deux interrogations de taille. Qu’est-ce qui justifie le poste de secrétaire général du Conseil des ministres et la pertinence de cette charge en l’absence du Président de la République de qui il tire son autorité ? Et de plus, le greffier du Conseil des ministres peut-il rappeler à l’ordre un Premier ministre ? D’où a-t-il trouvé cette toute-puissance ? Sur ce point, l’interrogation du Nouvelliste est pertinente : qui dirige le pays ? Est-ce une gouvernance tricéphale avec Luberice, Claude et Henry ?
Je le répète : le droit fait appel à la logique cohérente. La Constitution prévoit une gouvernance à deux. Selon ce mode d’organisation du pouvoir exécutif, les compétences attribuées à l’organe exécutif sont exercées par le Président de la République et le Premier ministre.
Dans notre système politique, n’en déplaise à certains hors-la-loi, mangeurs de constitutions, notre Charte de 1987 accorde de réels pouvoirs au Président de la République. Trop même. Ce qui est important, c’est de savoir comment les exercer. S’il y a un personnage dans la Constitution de 1987 qui est mieux placé pour influencer l’État et la société, c’est bien le Président de la République. Il jouit d’une position prédominante dans notre régime politique.
Dans l’état actuel du droit, il est impossible de penser la gouvernance post Jovenel Moïse sans un Président, des freins et une instance de contrôle. Il faut réduire l’arbitraire des gouvernants par l’application des principes de l’État de droit. Les compétences propres et personnelles du Président de la République ne peuvent pas être exercées par le Premier ministre.
Le mouvement qui est né avec un Premier ministre semblable à un monstre à deux têtes sans président, formalisé par l’international, relève d’une dangereuse facilité.
Je m’oppose à cette formule irrationnelle d’une gouvernance permettant à une seule personne de confisquer l’État, alors que l’article 59 de la Constitution précise que les trois pouvoirs constituent le fondement de l’État auxquels le peuple a délégué sa souveraineté. C’est une difficulté à la fois théorique et pratique. Il est donc urgent de mesurer l’impact de cette décision (gouvernance monocéphale) car il y a risque de blocage de la machine étatique. Ce ne sera pas sans conséquence sur la situation générale du pays qui est déjà catastrophique.
Il est vraiment regrettable que, pour certains, le désordre généralisé se révèle une condition idéale pour continuer à gangrener la République. Ce système de corruption imposé de l’extérieur, ne pourra que gâcher les potentialités des jeunes générations. Il y a nécessité d’entente entre tous pour sortir du désert constitutionnel dans lequel nous sommes par la concertation en attendant que des élus issus des urnes soient investis de la légitimité populaire.