Me. Sonet Saint-Louis, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Etat d’Haiti, a récidivé en gratifiant les lecteurs du RHInews un autre texte d’analyse de belle facture sur la conjoncture. Il nous invite à ramasser par terre le drapeau de notre dignité nationale, pour éviter une autre forme de souillure et d’humiliation comme au temps de l’affaire du capitaine Batsch, en 1872.
Avec les initiatives irréfléchies, supportées par les États-Unis, du Président Jovenel Moïse, ce n’est pas seulement l’avenir du régime PHTK qui est menacé d’effondrement mais celui tout un peuple. Comment a-t-il pu se permettre de telles dérives sans qu’il en paie les conséquences ?
Haïti a un Président qui nie tout, même la Constitution et les lois de la République. Tout ce qu’il fait, contraste aux principes de l’État de droit et à la bonne gouvernance.
Un exemple parmi d’autres : le Président veut imposer sa Constitution au pays, concoctée avec ses « partenaires » américains. On se croyait en 1918, lorsque le futur Président américain Franklin D. Roosevelt rédigeait dans ses bureaux l’une de nos chartes fondamentales.
Prenons une autre idée fixe. Moïse et de ses « supporteurs » américains s’entêtent à vouloir organiser les élections dans un contexte qui ne s’y prête nullement. Tout le monde sait que cela va contribuer à accélérer la catastrophe dans laquelle le pays végète.
Comment un Président en exercice peut-il dénigrer une Constitution sur laquelle il a fait le serment de respecter et de la faire respecter ? Pourquoi il tient mordicus à doter le pays d’une autre Constitution s’il n’a pas pensé à céder le pouvoir ? Combien de citoyens que son équipe et lui auront à battre professionnellement ou physiquement pour faire passer ce projet ?
Or, un président en exercice ne peut proposer que des amendements à la Constitution (articles 282 et suivants). L’article 284-2 de la Constitution qui ne concerne que l’amendement, associe le temps législatif et le temps présidentiel. Le premier dure quatre ans et le second, cinq ans. Cette observation fondamentale nous permet de constater que la fin d’une législature et le début d’une autre, coïncident avec la cinquième année du mandat présidentiel. Entre les deux temps, le délai ne dépasse pas douze mois. Il n’y a rien de sensé dans cette démarche unilatérale. Le régime joue gros. S’il perd, ses supporteurs et lui feront face à la justice pour crime de haute trahison. Cette initiative n’est qu’un coup de force contre la paix, assimilable à un auto coup d’État.
On a beau leur dire que la Constitution ne tient pas compte des impondérables, des péripéties politiques et des temps illicites qui pourraient mettre à mal le calendrier présidentiel ou législatif, rien n’y fait. Ainsi, l’article 134-2, produit de l’amendement, a été élaboré pour répondre à une remarquable régularité du temps présidentiel. C’est sa raison d’être. Cette disposition qui participe à la fiction juridique du législateur, contraint les acteurs publics à une bonne planification de la vie politique du pays. Le corset chronologique dans lequel nous met la Constitution, exige que les élections présidentielles aient lieu tous les 5 ans, (art 134-2), celles des députés, intégralement tous les quatre ans (art 92) et celle des sénateurs, tous les deux ans (95-3). La lettre de la Constitution est claire et limpide à ce sujet.
La note des États-Unis relative à la nécessité d’organiser les élections législatives au début de l’année prochaine avec un CEP inclusif, arrive trop tard. Le Président de la République ne peut pas intervenir dans un temps qui n’existe plus. Les États-Unis se trompent avec Trump. Les Haïtiens n’accepteront pas qu’on leur impose cette nouvelle tragédie, qui les conduira à coup sûr à de nouveaux échecs humiliants.
Les États-Unis et l’oligarchie locale sont les seuls responsables de la situation d’Haïti où tout est aujourd’hui chaos. Il faut sonner l’alerte générale sur ce qu’ils sont en train de faire à Haïti. Il faut parler au monde mais surtout aux Américains. Il faut parler à l’Amérique plurielle. Les impasses que traverse l’Amérique montrent que la démocratie peut être menacée partout. La démocratie en difficulté aux États-Unis comme chez nous.
Lorsqu’on parle des États-Unis, il faut avoir une vision nuancée dans notre approche. La diplomatie est aussi une stratégie de lobbying. La stratégie haïtienne rencontre celle d’une bonne partie de lla société américaine qui vit mal la déchéance haïtienne organisée et entretenue par Washington. Les intellectuels, les universités, les organisations de foi américaines ressentent cela comme profondément injuste. Il faut opter pour un changement de paradigme fondé sur une prise de conscience de ce qui s’est passé de 1915 à nos jours entre les deux pays.
Les États-Unis menacent de sanctionner les partis politiques et les organisations de la société civile refusant d’intégrer le CEP de Jovenel Moise. Cette réaction est un constat d’échec. Qu’on ne s’étonne pas de l’attitude américaine car historiquement, les relations entre Haïti et les États-Unis ont été toujours caractérisées par la brutalité et la domination. C’est une constante de l’histoire.
Le pays est fatigué de la gravité des violations des principes démocratiques par le régime en place. Avec ses coups incessants contre l’État de droit, Jovenel Moïse devient trop dangereux. Il est soutenu par une communauté internationale tout aussi dangereuse. Les massacres à répétition dans les quartiers populaires, les viols, les meurtres en série perpétrés par les groupes armés, nouvelles milices proches du régime, justifient le goût de la violence du Chef de l’État dont la finalité est de maintenir son clan au pouvoir par tous les moyens. L’année 2021 s’annonce difficile. Le Président Moise est prêt à tout pour imposer ses visées totalitaires, les groupes locaux mafieux aidant.
Ce Chef d’État pourra-t-il continuer à gérer pour longtemps un État qui n’est qu’illusion ? Point du tout. Jamais un gouvernement n’a été autant haï. Quasiment tout le pays est contre ce régime. Même des camps relativement modérés qui le soutenaient, s’en distancient chaque jour. Il se trouve que de plus en plus de gens se rendent compte que notre cité n’est pas administrée. C’est un pays où le Parlement n’existe pas. Donc, le gouvernement n’est responsable que devant lui-même. La reddition de comptes n’est pas possible puisqu’il est seul capitaine à bord. La corruption n’est devenue que plus aisée. Tout est corruption.
Nous avons un pays où la justice est inopérante, où le Judiciaire renonce à son statut de pouvoir alors qu’il est, de par la Constitution, détenteur au même titre que les deux autres pouvoirs politiques, de la souveraineté nationale (art 58 de la Constitution). Quant à la Cour de Cassation, elle se trouve incapable d’assurer l’empire de la Constitution et de la règle de droit. Devant qui ou quelle instance ce Conseil électoral provisoire va-t-il prêter serment ? Devant la Cour de Cassation ? Il n’est que d’attendre ce dernier acte de reniement qui basculera tout. Qui contrôlera l’activité financière de ce CEP sans base juridique et légitimité politique, désigné par un arrêté, acte réglementaire pris en marge de la loi ? La Cour des comptes et du contentieux administratif ? La Cour au même titre que l’administration n’est-elle pas soumise aux principes de l’État de droit ?
On vit dans un pays où les agents de la force publique sont pervertis par la politique délinquante. À cela s’ajoutent les mécontentements des policiers victimes d’abus et de conditions salariales précaires, situation qui les rend aussi violents. On l’a vécu avec leur nouvelle révolte la semaine dernière.
On est dans l’inacceptable à tous les niveaux. Mais rien n’est impossible. Le maintien de l’actuel Chef de l’État au pouvoir au-delà du 7 février 2021 ne sera qu’un nouvel épisode douloureux. La dictature se précise avec force. Il est temps de ramasser par terre le drapeau que nos dirigeants continuent de piétiner, d’outrager sans conséquence. C’est intolérable !
Me Sonet Saint – Louis av.
Professeur de droit constitutionnel
Faculté de droit, Université d’ État d’Haïti
Tel 37368310/42106723
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