PORT-AU-PRINCE, vendredi 25 avril 3025 (RHINEWS)-Le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits Humains (CARDH) a salué la création, par décret en date du 16 avril 2025, de deux Pôles Judiciaires Spécialisés, l’un dédié à la répression des crimes et délits financiers complexes, l’autre à la répression des crimes de masse et des violences sexuelles. Pour l’organisation, cette initiative représente « un pas important vers la modernisation de la justice pénale haïtienne ». Mais elle s’empresse d’ajouter : « sans mesures complémentaires rigoureuses, cette réforme restera inefficace. »
Ces nouvelles juridictions sont compétentes pour juger des infractions particulièrement graves comme la corruption, le blanchiment de capitaux, les massacres collectifs, les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre, les actes terroristes, le trafic d’organes ou encore les crimes contre l’humanité. Pourtant, selon le CARDH, plusieurs obstacles pourraient rapidement freiner leur efficacité.
« Le droit haïtien est marqué par des lacunes procédurales majeures », affirme le document. Le CARDH souligne que certaines infractions ne sont même pas encore définies dans la législation pénale nationale. C’est le cas, par exemple, des massacres ou de l’utilisation d’enfants à des fins criminelles. En l’absence de définition légale claire, les magistrats pourraient se heurter à des problèmes d’incrimination et à l’impossibilité de juger ces crimes selon le principe fondamental du droit pénal : nullum crimen, nulla poena sine lege.
Parmi les recommandations urgentes formulées par l’organisation, figure la nécessité d’élaborer une procédure spéciale propre aux pôles. « Le délai de trois mois prévu pour l’instruction est dérisoire face à la complexité des dossiers. Il est impératif d’adapter les règles de procédure. » Le CARDH estime également que les magistrats affectés à ces nouvelles structures doivent recevoir une formation approfondie et continue, notamment à travers l’École de la Magistrature. « Le système judiciaire repose encore sur la généralité et la routine. Il est temps de professionnaliser les acteurs. »
Autre point critique : la compétence territoriale limitée à Port-au-Prince. Le CARDH plaide pour une extension nationale. « Ces pôles doivent pouvoir instruire et juger des dossiers sur tout le territoire, sinon leur action restera circonscrite à un espace déjà fragilisé par la violence et les défaillances institutionnelles. »
La question de l’immunité des hauts fonctionnaires et parlementaires est également abordée. Pour l’organisation, les nouveaux pôles doivent s’attaquer à cette « impunité structurelle », souvent renforcée par des privilèges de juridiction. « Un parlementaire, même pris en flagrant délit, ne peut être poursuivi sans autorisation du Parlement. Cette situation est intenable. »
Le CARDH demande aussi un vetting rigoureux pour la sélection des juges et magistrats qui siégeront dans ces juridictions. « Le système est gangrené par la corruption. Il faut éviter que ces pôles deviennent à leur tour des repaires d’intérêts obscurs. »
Pour garantir l’indépendance des procureurs affectés aux pôles, le CARDH propose un mandat protégé d’au moins cinq ans, afin de les mettre à l’abri des pressions politiques. Il insiste également sur la sécurité du personnel et la protection physique des infrastructures judiciaires : « Entre 2018 et 2020, plusieurs greffes ont été cambriolés, emportant des dossiers sensibles. Le palais de justice de Port-au-Prince, censé accueillir ces pôles, est vulnérable. »
Enfin, l’organisation appelle à l’intégration systématique des nouvelles technologies dans les enquêtes, en particulier celles visant les crimes financiers complexes. Elle note que « l’efficacité des pôles reposera aussi sur leur capacité à exploiter les données, tracer les flux financiers et communiquer avec les instances internationales. »
Le CARDH reconnaît la portée symbolique et stratégique de cette réforme, mais avertit : « sans action rapide sur ces points, les Pôles Judiciaires Spécialisés ne seront que des coquilles vides, incapables de répondre aux attentes d’une population lassée de l’impunité. »
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