PORT-AU-PRINCE, jeudi 12 septembre 2024 – L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a transmis aux autorités judiciaires sept rapports d’enquête révélant des violations flagrantes des lois haïtiennes par des fonctionnaires, diplomates, et cadres de l’administration publique. Ces rapports détaillent une dilapidation massive des ressources publiques et des cas d’enrichissement illicite, soulevant l’indignation de l’organisation Ensemble Contre la Corruption (ECC).
Parmi les infractions relevées, l’ECC a pointé du doigt treize diplomates, dont Frantz Bataille, ancien ambassadeur en Allemagne, Lesly Benoit, en poste au Vietnam, et Léon Charles, représentant à l’OEA, pour ne pas avoir rempli leurs obligations légales de déclaration de patrimoine à l’entrée et à la sortie de leurs fonctions, en violation de la loi de 2008.
Les détournements de fonds sont également importants au sein de l’Électricité d’État d’Haïti (ED’H), où cinq caissières ont frauduleusement retiré 22,7 millions de gourdes entre janvier 2021 et janvier 2022. Naomi Cantave à elle seule a pris 17,2 millions sur une période de quatre mois. Une autre caissière, Elimise Valbert Pierre, a reconnu sa culpabilité, mais n’a restitué qu’une fraction de l’argent détourné.
L’enquête s’est aussi penchée sur l’ancien ministre de la Planification et de la Coopération Externe, Aviol Fleurant, accusé d’enrichissement illicite. Ses comptes bancaires et ceux de sa femme dépassaient largement leurs revenus légitimes, et ils ont acquis sous le nom de leurs enfants des terrains de grande valeur non déclarés. Les biens de luxe identifiés dans leur patrimoine n’avaient pas été signalés au moment de la prise de fonction de l’ex-ministre.
L’ancien directeur de l’Office National d’Assurance Vieillesse (ONA), Jemley Marc Jean Baptiste, a également été mis en cause pour avoir autorisé, à la demande de l’ancien ministre des Affaires Sociales et du Travail Pierre Ricot Odney, le déblocage de plus de 22 millions de gourdes à des fournisseurs non enregistrés. Ces transactions étaient soi-disant justifiées par l’urgence de fournir des kits alimentaires et sanitaires, mais elles ont coûté plus de 2 millions de gourdes à l’État haïtien.
D’autres irrégularités ont été détectées à l’ONA, comme un prêt hypothécaire illégal de 71,6 millions de gourdes octroyé à Jacques Lauture pour l’achat d’une maison à Pétion-Ville, sans vérification adéquate des documents de vente.
Dans ce contexte de fraude et d’enrichissement illicite, l’affaire de Marriantha Merone, ancienne superviseure au bureau central de la Direction de l’Immigration et de l’Émigration, révèle d’autres abus notables. En 2018, elle a été promue à la tête du Centre de Réception et de Livraison des Documents d’Identité (CRLDI) de Pétion-Ville, où elle a commencé à accumuler des revenus disproportionnés. Lors de son audition en 2024, Merone a déclaré un salaire mensuel de 43,363.70 gourdes, mais ses comptes bancaires affichent des dépôts atteignant 44,510,462.66 gourdes, soit presque trois fois plus que ses revenus officiels. Les explications fournies par Merone, incluant des transferts étrangers et des achats de terrains, ont été jugées incohérentes. La Capital Bank a résilié son compte après avoir signalé des transactions suspectes à l’Unité Centrale de Renseignement Financier (UCREF).
L’Enquête sur les faits de corruption la concernant s’inscrit dans un tableau plus large. Selon les investigations de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), des dizaines de fonctionnaires haïtiens sont impliqués dans une vaste opération de détournement des ressources de l’État. Le phénomène touche tous les niveaux de l’administration publique, allant de simples employés à des directeurs généraux, en passant par des ministres et des diplomates. Ces derniers, en particulier, refusent souvent de se plier aux exigences légales de déclaration de patrimoine. Le rapport évoque des pratiques généralisées d’enrichissement illicite, de détournement de biens publics, de prise illégale d’intérêt, et de passation de marchés publics douteux.
Dans ce contexte, au moins trente-cinq responsables et cadres de l’administration publique sont directement mis en cause, parmi lesquels des figures importantes comme l’ex-ministre de la Planification Aviol Fleurant, l’ex-ministre des Affaires sociales Pierre Ricot Odney, ou encore le directeur général du SNGRS, Germain Paulemon. La liste comprend aussi plusieurs ambassadeurs, consuls, et responsables d’institutions telles que l’ED’H et le PNCS. Ces cadres ne sont pas seuls à profiter de ces pratiques illicites ; leurs proches et amis en bénéficient également, par le biais de prêts hypothécaires irréguliers ou d’entreprises fictives créées avec la complicité de ces mêmes fonctionnaires.
Entre 2021 et 2024, l’ULCC a transmis aux autorités judiciaires quarante-sept rapports d’enquête détaillant des actes de corruption, de blanchiment d’avoirs et de fausses déclarations de patrimoine. Cependant, ces dossiers, pour la plupart, stagnent dans le système judiciaire, beaucoup ayant été confiés à des juges corrompus, ce qui fait qu’à ce jour, aucun procès n’a abouti. C’est précisément cette impunité qui encourage le pillage systématique des caisses de l’État.
L’ECC, dans son communiqué, exprime son indignation face à ces dérives. Il appelle les autorités judiciaires à traiter ces affaires avec sérieux et à confier les enquêtes à des magistrats intègres afin que justice soit rendue et que les biens volés soient restitués au trésor public. Le groupe préconise également l’adoption de mesures strictes visant à auditer régulièrement les institutions publiques, conformément à la loi, pour éviter de tels détournements à l’avenir.
Ce contexte de corruption généralisée n’est pas isolé. L’ULCC continue de mettre en lumière des scandales majeurs, notamment liés à des détournements massifs de fonds publics. Plusieurs cadres, tant au sein des ministères que dans d’autres institutions, ont été identifiés comme des acteurs clés dans des opérations illégales. Parmi eux, on compte des responsables au sein de la Direction de l’Immigration et de l’Émigration, comme Jean Osselin Lambert, dont l’implication dans le détournement des fonds provenant de l’aéroport a été mise en lumière.
Cette vaste opération de détournement des ressources de l’État, alimentée par un réseau bien organisé et complice, continue de saper l’économie haïtienne. L’ULCC confirme qu’au cours des dernières années, le gouvernement a perdu des sommes colossales, avec des fonds publics détournés via des mécanismes complexes d’abus de fonction, de prise illégale d’intérêt et de fausses déclarations fiscales. Les institutions bancaires, pour leur part, commencent à collaborer avec les autorités financières en signalant des transactions suspectes, comme dans le cas de Marriantha Merone.
Les tentatives de l’ULCC pour faire traduire en justice les responsables de ces actes sont systématiquement entravées par des forces internes au système judiciaire haïtien, corrompu jusqu’à l’os. La frustration s’accumule au sein de la population, qui voit ses infrastructures publiques se dégrader pendant que certains hauts fonctionnaires vivent dans l’opulence, grâce à des détournements de fonds publics.