WASHINGTON, lundi 24 mars 2025-L’Internal Revenue Service (IRS) s’apprête à fournir au Service de l’immigration et des douanes (ICE) des informations fiscales confidentielles afin de localiser des immigrés en situation irrégulière. Selon des sources proches du dossier citées par The New York Times et The Washington Post, un projet d’accord permettrait à l’ICE de soumettre à l’IRS les noms et adresses de personnes suspectées d’être en situation irrégulière. L’IRS vérifierait alors si ces adresses correspondent aux informations contenues dans ses bases de données fiscales.
Ce changement marque une rupture importante avec la politique de confidentialité fiscale appliquée depuis plus de trente ans. Jusqu’à présent, l’IRS avait toujours assuré aux immigrés que les données fournies dans leurs déclarations resteraient strictement confidentielles et ne seraient pas partagées avec les services d’immigration. Pour permettre aux travailleurs sans papiers de remplir leurs obligations fiscales, l’agence leur attribue un Numéro d’Identification de Contribuable Individuel (ITIN), distinct du numéro de sécurité sociale utilisé par les citoyens américains et les résidents permanents. Ces contribuables, bien que dépourvus de statut légal, participent ainsi au financement des infrastructures et des services publics du pays.
Un ancien haut fonctionnaire de l’IRS, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a dénoncé cet accord comme une trahison complète de la promesse faite aux immigrés de pouvoir déclarer leurs revenus en toute sécurité. Il estime que cette décision pourrait dissuader de nombreuses personnes de se conformer aux obligations fiscales, ce qui priverait le gouvernement de milliards de dollars de recettes chaque année. Cette initiative s’inscrit dans la politique migratoire particulièrement stricte menée par l’administration du président Donald Trump. Depuis son arrivée au pouvoir, il a multiplié les mesures visant à réduire drastiquement l’immigration clandestine. Il a mis fin à la politique dite du “catch and release”, qui permettait la libération sous condition de migrants en attente d’audience, et a exigé que les demandeurs d’asile restent au Mexique le temps du traitement de leur dossier. Il a également élargi la liste des personnes prioritaires pour l’expulsion, augmenté le nombre de détentions, impliqué les forces de l’ordre locales dans l’application des lois migratoires, tenté de supprimer le droit du sol et restreint les programmes humanitaires destinés aux demandeurs d’asile.
Jusqu’à présent, l’IRS avait toujours résisté aux pressions exercées par les services d’immigration pour obtenir l’accès à ses données fiscales. Toutefois, des changements récents dans la direction de l’agence ont rendu cette coopération plus probable. Le mois dernier, l’administration Trump a remplacé le principal avocat de l’IRS, William Paul, par Andrew De Mello, un juriste réputé plus favorable aux réformes voulues par le gouvernement. Depuis le début du mandat de Trump, des milliers d’agents de l’IRS ont été licenciés, et des rapports indiquent que jusqu’à 25 000 employés supplémentaires pourraient perdre leur emploi dans les mois à venir. Ces restructurations ont soulevé des inquiétudes quant à l’indépendance de l’agence et sa capacité à résister aux ingérences politiques.
Cet accord entre l’IRS et l’ICE pourrait avoir des répercussions économiques majeures. Les experts estiment que si les immigrés en situation irrégulière cessent de déclarer leurs revenus par crainte d’être repérés, cela pourrait nuire à de nombreux secteurs économiques comme l’agriculture, la restauration et la construction, qui dépendent fortement de cette main-d’œuvre. Andrew Selee, président du Migration Policy Institute, a déclaré que ce changement pourrait non seulement bouleverser la vie de millions de travailleurs, mais aussi porter un coup dur aux finances publiques américaines en réduisant la collecte des impôts.
Sur le plan juridique, cet accord risque également d’être contesté par plusieurs organisations de défense des droits des immigrés et des libertés civiles. L’American Civil Liberties Union (ACLU) a déjà annoncé qu’elle envisageait d’engager des poursuites, affirmant que cette mesure pourrait constituer une violation des protections légales en matière de confidentialité fiscale. Certains juristes estiment que la divulgation de ces données pourrait être jugée inconstitutionnelle si elle n’est pas strictement encadrée par des décisions judiciaires individuelles.
Si l’IRS met en place cette politique, elle marquera un tournant dans la relation entre l’administration fiscale et les contribuables immigrés. L’enjeu dépasse largement la question de l’immigration : c’est la confiance des contribuables dans le système fiscal américain qui pourrait être ébranlée. Cette affaire risque donc de devenir un sujet brûlant dans le débat public et politique des prochains mois.