BRUXELLES, (Belgique), jeudi 6 mars 2025Les dirigeants des vingt-sept pays membres de l’Union européenne ont validé un plan ambitieux proposé par la Commission européenne pour renforcer la défense du continent. Réunis en sommet exceptionnel à Bruxelles, ils ont approuvé un programme visant à mobiliser environ 800 milliards d’euros afin d’accroître leurs capacités militaires. L’objectif principal est de permettre aux États membres d’augmenter leurs dépenses de défense sans que cela ne soit comptabilisé dans leur déficit, en réaction à l’incertitude croissante autour de l’engagement militaire des États-Unis en Europe.
Le président français Emmanuel Macron a souligné la nécessité pour l’Europe de se préparer à assurer seule sa sécurité si l’alliance transatlantique venait à s’effriter. “Je veux croire que les États-Unis resteront à nos côtés. Mais il nous faut être prêts si tel n’était pas le cas”, a-t-il déclaré. Toutefois, des divergences demeurent quant à la manière de structurer cette autonomie. Viktor Orbán, Premier ministre hongrois et soutien affiché de Donald Trump, s’est opposé à certaines conclusions sur l’Ukraine, arguant qu’elles risquaient d’exacerber les divisions au sein de l’Union.
Parallèlement aux discussions européennes, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé la tenue de négociations cruciales entre son pays et les États-Unis la semaine prochaine en Arabie saoudite. Lors de son intervention au sommet de Bruxelles, il a précisé qu’il se rendrait à Riyad lundi pour y rencontrer le prince héritier saoudien, tandis que son équipe poursuivra des discussions approfondies avec des responsables américains. L’objectif de ces pourparlers est de trouver une issue au conflit avec la Russie, dans un contexte où l’aide militaire américaine à l’Ukraine a été fragilisée par les nouvelles orientations de la Maison-Blanche.
Actuellement, près de 100 000 soldats américains sont déployés en Europe, avec une concentration importante en Allemagne, qui abrite 13 des 40 bases américaines présentes sur le continent. La Pologne et la France sont les seuls pays de l’UE disposant de forces armées supérieures à 200 000 hommes. Tandis que la Pologne possède l’armée conventionnelle la plus importante, la France demeure le seul pays de l’Union doté de l’arme nucléaire, élément clé de la dissuasion stratégique européenne.
Le retrait progressif du soutien américain pousse les Européens à reconsidérer leur posture militaire. D’après l’institut Bruegel, l’Europe nécessiterait un renforcement de 300 000 soldats et une augmentation annuelle de 250 milliards d’euros pour garantir sa défense face à la Russie. Cependant, l’institut Kiel rappelle que l’UE demeure largement dépendante des infrastructures stratégiques américaines, notamment en matière de renseignement spatial et de capacités de projection aérienne. Certains experts, comme Simon Van Hoeymissen, estiment néanmoins que l’Europe pourrait déjà subvenir à 95 % de ses besoins militaires, bien que la transition complète vers une autonomie opérationnelle prenne encore plusieurs années.
Les dirigeants européens ont convenu d’assouplir les règles budgétaires afin de faciliter l’augmentation des dépenses militaires. La Commission européenne estime que cet allègement pourrait libérer environ 650 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense. En complément, un programme de prêts de 150 milliards d’euros a été proposé pour l’acquisition de nouveaux équipements militaires. Cette initiative, portée par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, a reçu un accueil favorable de la part des principaux États membres, bien que son application concrète doive encore être précisée.
Le chancelier allemand pressenti, Friedrich Merz, ainsi que le président du Conseil européen, António Costa, se sont engagés à accélérer la mise en œuvre de ces plans. “Nous nous armerons plus vite, de manière plus intelligente et plus efficace que la Russie”, a affirmé le Premier ministre polonais Donald Tusk, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE.
Si la majorité des États membres ont soutenu l’accélération des efforts militaires, des tensions subsistent. Viktor Orbán a refusé d’endosser certaines conclusions du sommet, notamment celles qui affirment qu’aucune négociation sur l’Ukraine ne peut avoir lieu sans la participation directe de Kiev.
L’Europe, traditionnellement marginalisée dans les négociations entre les États-Unis et la Russie, revendique désormais un rôle central dans toute discussion liée à sa sécurité. “Les Européens doivent prendre conscience qu’ils ne peuvent plus compter indéfiniment sur l’Amérique pour leur défense”, a averti un sénateur américain lors de la conférence de Munich, illustrant la nouvelle dynamique qui se dessine.
L’annonce d’une rencontre en Arabie saoudite entre l’Ukraine et les États-Unis marque une étape clé dans la recherche d’une solution diplomatique. Zelensky espère que ces discussions permettront d’obtenir des garanties quant à la poursuite du soutien occidental à Kiev. L’Arabie saoudite, qui a récemment renforcé son rôle diplomatique international, entend jouer un rôle de médiateur stratégique dans ce dossier complexe.
Ces négociations surviennent alors que Trump continue d’afficher une posture ambivalente vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine. En parallèle, Washington a réduit ses aides financières et militaires à Kiev, contraignant l’Europe à assumer une part croissante de l’effort de guerre. Cette reconfiguration des alliances pousse Bruxelles à accélérer ses initiatives pour sécuriser son continent.
Face à ces incertitudes, l’Union européenne se trouve à un moment décisif. L’adoption du plan de 800 milliards d’euros illustre la volonté de renforcer la capacité militaire du continent, indépendamment des fluctuations de la politique américaine. L’évolution de la situation en Ukraine et le positionnement de Washington dans les mois à venir seront déterminants pour l’avenir de la défense européenne.
Si les Européens sont contraints de revoir en profondeur leur modèle sécuritaire, la transition vers une autonomie militaire complète nécessitera du temps et des investissements massifs. En attendant, les dirigeants du continent cherchent à concilier urgences immédiates et structuration d’une défense durable, dans un monde où l’imprévisibilité est devenue la norme.