KINGSTON (Jamaïque), vendredi 20 septembre 2024– Cette semaine, la Commission d’intégrité indépendante de la Jamaïque a présenté au Parlement un rapport soulevant de graves préoccupations concernant les déclarations financières de 2021 du Premier ministre Andrew Holness. Selon ce rapport, Holness aurait omis de déclarer certains comptes bancaires et aurait enregistré une augmentation inexpliquée de 1,9 million de dollars jamaïcains (environ 12 000 USD) de sa valeur nette d’ici 2022. Le rapport évoque également l’utilisation potentielle de fonds de charité pour financer partiellement l’achat d’un actif personnel de grande valeur pour le Premier ministre. En outre, trois entreprises liées à Holness sont mises en cause pour avoir déposé des déclarations fiscales nulles, bien qu’elles aient réalisé des transactions totalisant des centaines de millions de dollars. Barita Investments, une société détenue entièrement par le Premier ministre, a également été examinée pour avoir accordé un prêt de 50 millions de dollars jamaïcains (environ 310 000 USD) à Imperium.
Andrew Holness a rejeté catégoriquement les conclusions du rapport, mais l’opposition a exigé sa démission, l’accusant d’avoir trompé le public en ne révélant pas qu’il faisait l’objet d’une enquête pour enrichissement illicite depuis l’année dernière. Bien que ces allégations nécessitent une enquête plus approfondie, l’organisation jamaïcaine National Integrity Action, affiliée à Amnesty International, est d’avis que le Premier ministre aurait dû faire preuve de transparence concernant cette enquête.
Les responsables publics doivent rendre compte de leurs déclarations d’actifs conformément à la loi. Exiger de telles déclarations et les soumettre à une surveillance et une application efficaces est essentiel pour identifier les conflits d’intérêts et lutter contre la corruption. Ne pas divulguer des actifs ne signifie pas automatiquement corruption, mais toute irrégularité doit faire l’objet d’une enquête approfondie.
Suite à la publication du rapport, la Commission d’intégrité a recommandé que le dossier soit transmis à la Directrice des poursuites pour corruption, Keisha Prince-Kameka, afin de déterminer si des accusations devraient être portées contre Andrew Holness. Prince-Kameka a finalement statué qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour poursuivre Holness pour omission d’informations. Toutefois, une seconde accusation a été renvoyée à la Division des enquêtes financières pour une enquête plus approfondie. Cette décision met en lumière un point souvent soulevé par les médias et les organisations de la société civile : malgré certains progrès dans la lutte contre la corruption, les processus législatifs restent largement opaques, et les autorités sont souvent réticentes ou lentes à agir dans des affaires de haut niveau.
La situation en Jamaïque souligne l’importance de surveiller l’enrichissement illicite et les conflits d’intérêts pour protéger les ressources publiques. La corruption est un problème profondément enraciné dans le pays, comme en témoigne le score de la Jamaïque sur l’Indice de perception de la corruption (IPC) de 2023, qui reste à 44, sans amélioration par rapport aux années précédentes. Ce score est inférieur à celui d’autres pays des Caraïbes, tels que la Barbade (69) et les Bahamas (64). À l’inverse, la République dominicaine (35) a fait des progrès notables en s’attaquant à des cas de grande corruption, en renforçant son système judiciaire et en sensibilisant à l’impact de la corruption, prouvant ainsi que des avancées significatives sont possibles.
L’enrichissement illicite reste un problème majeur en Jamaïque. Entre 2023 et 2024, la Commission d’intégrité a révélé que huit parlementaires faisaient l’objet d’une enquête, mais leurs identités ont été tenues secrètes, alimentant la méfiance du public. Connus sous le nom des “huit illicites”, leur anonymat met en évidence un manque troublant de transparence qui protège les puissants de la reddition de comptes.
Selon Amnesty International, aa corruption en Jamaïque est alimentée par des problèmes systémiques de gouvernance faible et d’absence de responsabilité, où les puissants se protègent mutuellement des contrôles. Les experts soulignent que les membres du Parlement responsables de superviser le gouvernement en font souvent partie, ce qui rend les poursuites plus difficiles. De plus, la protection des lanceurs d’alerte est insuffisante, et certains responsables sont accusés d’avoir des liens avec le crime organisé.
Le contrôle excessif de l’exécutif sur le pouvoir législatif en Jamaïque affaiblit la capacité du Parlement à superviser les abus et à lutter contre la corruption. Cela crée un environnement où la corruption et les abus de pouvoir prospèrent.
Amnesty international estime que cette affaire représente une opportunité cruciale pour la Jamaïque de tourner la page dans sa lutte contre la corruption. Le pays doit s’attaquer aux problèmes systémiques et renforcer les mécanismes de contrôle pour protéger les ressources publiques. Il est temps de mettre fin à l’impunité et de s’assurer que, lorsqu’il existe des preuves de méfaits, les puissants soient tenus responsables. Avec les bonnes réformes, la Jamaïque peut tracer la voie vers un avenir sans corruption, où les ressources publiques sont protégées et utilisées pour le bien commun.