Alors que la Corne de l’Afrique scrute ses nuages près d’un mois après le début de l’actuelle saison des pluies, des millions de familles se rapprochent chaque jour de la « catastrophe », a mis en garde mardi le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies.
New-York, mercredi 20 avril 2022– La région de l’Afrique de l’Est est confrontée à « la perspective très réelle » de pluies insuffisantes pour la quatrième saison consécutive. Cette sécheresse historique placerait l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie dans une situation d’extrême difficulté, inédite depuis plusieurs décennies.
Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les précipitations de la mi-mars à la mi-avril de cette année ont été bien inférieures à la moyenne et les prévisions pour le reste de la saison ne semblent pas favorables. Or si cette situation climatique perdure et que l’aide humanitaire stagne, voire diminue, le nombre de personnes souffrant de la faim en raison de la sécheresse pourrait passer de 14 millions actuellement estimés à 20 millions d’ici 2022, selon les Nations Unies.
Un risque réel de famine en Somalie dans les mois à venir
Le groupe de travail régional sur la sécurité alimentaire et la nutrition estime qu’entre 15 et 16 millions de personnes sont en situation de forte insécurité alimentaire dans la région jusqu’en mai 2022, uniquement à cause de la sécheresse. Cela signifie que les ménages agricoles ont connu trois saisons de récoltes inférieures à la moyenne et de stocks alimentaires inférieurs à la moyenne.
D’ores et déjà quelque 6 millions de Somaliens (40 % de la population) sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë (IPC3 ou plus). Pour le PAM, le fait le plus alarmant, c’est « le risque réel de famine dans les mois à venir si les pluies n’arrivent pas et si l’aide humanitaire n’est pas reçue ».
Au Kenya, un demi-million de Kényans sont à deux doigts de connaître des niveaux de « faim catastrophiques ». Le nombre de personnes ayant besoin d’aide a été multiplié par plus de quatre en moins de deux ans. L’escalade rapide de la sécheresse a laissé plus de 3 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë (IPC3 et plus), dont un demi-million de Kenyans à deux doigts de connaître des niveaux de faim catastrophiques (IPC4).
En Éthiopie, plus de 7 millions de personnes se réveillent affamées chaque jour dans le sud et le sud-est du pays, qui est aux prises avec la sécheresse la plus grave depuis 1981. Selon le PAM, les taux de malnutrition dans ce pays dépassent largement les seuils d’urgence.
Une situation aggravée par les retombées du conflit en Ukraine
Face à de tels chiffres alarmants, le temps presse pour les familles qui luttent pour leur survie.
« Le PAM et d’autres agences humanitaires avertissent la communauté internationale depuis l’année dernière que cette sécheresse pourrait être désastreuse si nous n’agissions pas immédiatement, mais les financements ne se sont pas matérialisés à l’échelle requise », a déclaré le Directeur régional du PAM pour l’Afrique orientale, Michael Dunford.
D’autant que sur le terrain, la situation a été aggravée par les retombées du conflit en Ukraine. Les prix de la nourriture et du carburant atteignent « des sommets sans précédent ».
« Les pays de la Corne de l’Afrique touchés par la sécheresse risquent d’être les plus durement touchés par les répercussions du conflit », a ajouté M. Dunford.
Plus de 65% de hausse du coût du panier alimentaire en Ethiopie
Le coût du panier alimentaire a déjà augmenté, notamment en Éthiopie (66 %) et en Somalie (36 %), qui dépendent fortement du blé des pays du bassin de la mer Noire. De plus, une éventuelle interruption des importations menace encore davantage la sécurité alimentaire dans cette région.
Selon le PAM, les coûts d’expédition sur certaines routes ont doublé depuis janvier 2022.
Dans le pire des cas, lorsque les pluies sont totalement inexistantes et qu’il n’y a pas d’aide humanitaire, il est possible que certains ménages soient confrontés à une catastrophe (phase 5 de l’IPC).
« Cela est particulièrement vrai dans certaines parties de la Somalie, comme l’indique l’IPC de la semaine dernière et l’analyse du risque de famine », a précisé le Coordinateur sous-régional de la FAO pour l’Afrique orientale, Dr Chimimba David Phiri.
Face à cette urgence, les agences humanitaires onusiennes intensifient leurs opérations sur le terrain. Par exemple, le PAM vise ainsi à soutenir 3,5 millions de personnes avec une aide alimentaire et nutritionnelle d’urgence en Ethiopie. En Somalie aussi, l’Agence onusienne intensifie l’aide alimentaire et nutritionnelle d’urgence afin de venir en aide à 3 millions de personnes d’ici le milieu de l’année.
Plus globalement, le PAM a lancé sa plus grande intervention d’action anticipée à ce jour en Afrique. Le but est d’équiper les ménages somaliens vulnérables dans les points chauds de la sécheresse de transferts monétaires supplémentaires.
Le PAM implore le monde de ne pas tourner le dos à la Corne de l’Afrique
A noter que lors de la sécheresse de 2016-2017 dans la Corne de l’Afrique, la catastrophe a été évitée grâce à une action précoce. L’aide humanitaire a été renforcée avant que la faim ne se répande, sauvant ainsi des vies et évitant une famine dévastatrice.
En 2022, en raison d’un déficit de financement, les agences humanitaires redoutent qu’il ne soit pas possible d’empêcher la catastrophe qui s’annonce – et que des millions de personnes en souffrent.
« Nous savons par expérience qu’il est vital d’agir rapidement pour éviter une catastrophe humanitaire, mais notre capacité à lancer la réponse a été limitée en raison d’un manque de financement à ce jour », a ajouté M. Dunford.
Le PAM a lancé son dernier appel de fonds en février, mais moins de 4 % des fonds nécessaires ont été collectés. Au cours des six prochains mois, le PAM a besoin de 473 millions de dollars pour intensifier l’aide et sauver des vies en Éthiopie, Kenya et Somalie.
« Cette année, les besoins humanitaires et la faim dans le monde sont sans précédent et j’implore le monde de ne pas tourner le dos à la Corne de l’Afrique ou d’attendre qu’il soit trop tard. Avec la possibilité d’une quatrième saison des pluies consécutivement ratée se profile, des millions de vies sont en jeu », a fait valoir le Directeur régional du PAM pour l’Afrique orientale.