Par Francklyn B Geffrard
Port-au-Prince, 10 Mai 2020, (RHI)- La saison pluvieuse a déjà commencé, mais de nombreux agriculteurs haïtiens ont du mal à en profiter convenablement. Ils se plaignent notamment des difficultés à s’approvisionner en certaines matières premières.
La décision du gouvernement haïtien de fermer la frontière haïtianno-dominicaine pour éviter la propagation du coronavirus dans le pays serait à la base de cette situation qui affecte considérablement le secteur agricole.
Rigaud Dagobert, 28 ans, agronome de formation exploite une portion de terre de deux hectares dont il a hérité de ses parents défunts. Il s’est lancé, il y a peu, dans la filière des fruits et légumes. Malgré une saison sèche l’année dernière, il dit avoir sauvé la première récolte de piments, d’aubergine et de tomates.
M. Dagobert ne veut pas rester là et souhaite diversifier sa plantation avec des fruits, notamment la papaye dont le temps maximum de production ne dépasse pas les six (6) ou sept (7) mois. Cependant, Il dit n’être pas en mesure de s’approvisionner en semence de papaye sur le marché local.
‘’Là où je peux en trouver, c’est en République Dominicaine. Il est difficile de trouver cette denrée devenue particulièrement rare à cause de la fermeture de la frontière entre les deux pays, a-t-il expliqué à RHI.’’
Même son de cloche du côté du sénateur Youri Latortue qui est également éleveur de poulets et producteur d’œufs. Il explique que les éleveurs sont confrontés à des difficultés pour s’approvisionner normalement en matières premières nécessaires à nourrir les poulets. “Ces matières premières sont des éléments simples comme le soja et le maïs, précise-t-il.”
Il a souligné que le marché haïtien est approvisionné depuis près d’un mois à seulement 50%. “C’est largement insuffisant pour satisfaire aux besoins des éleveurs, a-t-il ajouté.”
“Les quelques entreprises locales spécialisées dans la transformation des produits destinés à la nourriture des poulets étaient déjà incapables de répondre à la demande des éleveurs même en temps normal, avec la crise sanitaire du covid-19, ça devient compliquer, a-t-il expliqué.”
Il a fait remarquer que les planteurs de la Vallée de l’Artibonite sont aux abois et ont du mal à démarrer la saison aussi pour les mêmes raisons.
Les planteurs n’ont pas accès à la semence de riz. Le riz est la principale production de la Vallée de l’Artibonite qui dispose de la plus grande rizière du pays.
Il affirme avoir distribué de la semence à des planteurs dans l’Artibonite et dans le Plateau Central, mais en quantité insuffisante.
Youri Latortue dit déplorer que ces planteurs n’aient pas pu bénéficier d’un meilleur encadrement du gouvernement pour les aider à faire face à cette grave crise qui affecte considérablement le secteur agricole.
M. Latortue estime que cette situation risque d’avoir des conséquences désastreuses sur les conditions de vie de la majorité de la population déjà en proie à la misère et à l’insécurité alimentaire, déplorant que le pays ait fait le choix de l’importation au détriment de la production nationale.
Pour sa part, Dr. Jean Pierre Spencer qui fait de l’élevage aussi, estime que le secteur avicole est particulièrement sinistré en raison de la crise sanitaire du coronavirus. Selon lui, les autorités concentrent toutes leurs énergies sur le covid-19 sans tenir compte des autres secteurs vitaux dont l’agriculture.
‘’On ne peut pas lutter efficacement contre le coronavirus sans garantir aux citoyens une bonne alimentation et une nutrition solide. Pour le faire, il faut valoriser notre agriculture et toutes ces composantes, a-t-il, indiqué.’’
Il informe également que de nombreux centres d’écloserie ont fermé leurs portes ces derniers temps. Ce qui risque de provoquer une pénurie de poulets et d’œufs sur le marché Haïti, précise M. Spencer qui souhaite que l’Etat vienne en aide à ce secteur. Il croit que l’Etat devrait accorder une subvention aux agriculteurs afin de renforcer la production agricole nationale pour réduire la dépendance alimentaire d’Haïti.
En réaction, le ministre de l’agriculture, Patrice Sévère informe que le gouvernement, via son ministère a entrepris une campagne de dessouchage, de labourage des terres et de distribution gratuite de semence à travers le pays afin de relancer la production nationale.
M Sévère a indiqué également que des efforts sont consentis pour nettoyer les canaux d’irrigations et rendre l’eau disponible pour irriguer les terres des planteurs et faire en sorte qu’ils ne perdent pas leur récolte.
Haïti vit depuis plusieurs décennies dans l’insécurité et la dépendance alimentaire. Le pays importe trois fois plus qu’il n’exporte.