SAINT-DOMINGUE, mercredi 18 décembre 2024 – En République dominicaine, la communauté immigrée haïtienne, pilier de plusieurs secteurs économiques clés, a organisé ce mercredi une grève à l’occasion de la Journée internationale des migrants. Cette mobilisation, lancée par des organisations de défense des droits humains haitiano-dominicaines, visait à attirer l’attention sur les abus, discriminations, et expulsions massives que subissent les migrants haïtiens dans le pays. Roudy Joseph, dirigeant de l’organisation HatianosRD, a reconnu que la grève a été partiellement suivie, hormis dans des régions comme Bávaro, Punta Cana, Las Terrenas et Aló. Toutefois, il s’est félicité du soutien apporté par plusieurs secteurs politiques et sociaux, qualifiant cette mobilisation d’étape importante dans la lutte pour la justice sociale et les droits des migrants.
Les travailleurs haïtiens sont un moteur fondamental de l’économie dominicaine, représentant une main-d’œuvre indispensable dans l’agriculture, la construction et les services. Selon plusieurs études, leur contribution est estimée entre 7 % et 9,5 % du PIB dominicain. Pourtant, au lieu de voir leur rôle reconnu, ils sont confrontés à une montée du racisme institutionnalisé et à des politiques migratoires agressives. Les organisateurs de la grève ont dénoncé des pratiques systémiques qui exploitent les migrants tout en les marginalisant. « Les Haïtiens paient des millions de pesos en taxes et impôts, mais ces contributions sont ignorées dans le discours politique », a déclaré un porte-parole du collectif #HAITIANOSRD. En parallèle, le gouvernement dominicain intensifie les expulsions sous prétexte de défendre la sécurité nationale. Depuis 2021, les déportations massives se sont accélérées, atteignant un objectif déclaré de 10 000 expulsions par semaine en octobre dernier, à l’occasion du 87ᵉ anniversaire du tristement célèbre Massacre du Persil.
Les abus envers la communauté haïtienne ne se limitent pas aux déportations. Les femmes enceintes sont souvent arrêtées dans les hôpitaux, victimes de politiques discriminatoires visant à limiter leur accès aux soins. Cette stratégie, selon les organisations de défense des droits, met leur vie en danger et viole les normes internationales relatives aux droits humains. « Il est inacceptable de cibler les femmes enceintes comme un fardeau, alors qu’elles méritent protection et dignité », a souligné le Mouvement de Femmes Dominico-Haïtiennes (MUDHA). Les violences physiques et les actes de haine envers les migrants haïtiens se multiplient également. Des cas de lynchages, de destructions de logements et d’attaques par des groupes locaux ont été signalés à travers le pays. « Ces actes barbares sont perpétrés dans l’indifférence, voire avec la complicité des autorités locales », ont affirmé les organisations protestataires.
Les tensions entre Haïti et la République dominicaine sont enracinées dans l’histoire, notamment depuis l’occupation haïtienne de l’île entre 1822 et 1844 et le massacre de 1937 orchestré par le dictateur Rafael Trujillo, au cours duquel des dizaines de milliers de Haïtiens ont été tués. Ces contentieux historiques alimentent encore aujourd’hui un climat de méfiance et de xénophobie, exacerbant les inégalités et les abus envers les migrants haïtiens. Les travailleurs cañeros, par exemple, symbolisent cette exploitation historique. Pendant des décennies, ces ouvriers agricoles haïtiens ont alimenté l’industrie sucrière dominicaine sans jamais recevoir les pensions promises. « Ces hommes ont littéralement construit l’économie dominicaine de leurs mains, et aujourd’hui, ils meurent dans l’indigence », a déclaré un représentant du Mouvement RECONOCIDO.
Les protestataires appellent à l’arrêt immédiat des expulsions massives, jugées contraires au principe de non-refoulement inscrit dans la Convention américaine des droits de l’homme. Ils réclament également la reprise du Plan national de régularisation des étrangers (PNRE), qui n’a permis qu’à 3 % des bénéficiaires d’obtenir une régularisation effective depuis 2014. Un plan de régularisation équitable, similaire à celui accordé aux migrants vénézuéliens, est également demandé. Les revendications incluent aussi l’égalité salariale et la liberté syndicale pour les travailleurs haïtiens, afin de mettre fin à la précarité et au travail forcé. « Nous ne sommes pas une menace, mais des acteurs essentiels du développement de ce pays », a déclaré un porte-parole de la grève. « Nous demandons simplement de vivre et de travailler dans la dignité. »
Les organisations haïtiano-dominicaines, comme le Collectif #HAITIANOSRD, soulignent l’importance de mobilisations comme celle-ci pour rappeler que les migrants haïtiens sont avant tout des êtres humains. « Cette grève est un acte de résistance pacifique, un cri pour la justice dans un contexte où le racisme et la xénophobie deviennent institutionnalisés », ont-elles conclu. En cette Journée internationale des migrants, la communauté haïtienne espère attirer l’attention sur ses revendications légitimes et obtenir un soutien international face à des abus systémiques qui ne peuvent plus être ignorés.