Mourir pour la Musique…

Yvenel Etienne ''Sore,'' Chanteur Sptentrional

Par Rony Monestime,

New-York, 10 septembre 2021– En moyenne. Trois cents (300) soirées par an. Trois mille (3000) nuits par décennie. Sept mille cinq cents (7500) bals par quart-de-siècle. C’est le sinistre palmarès de tout musicien, membre de l’orchestre Tropicana ou Septentrional. Autrement dit, les sons et les rythmes de ces deux groupes musicaux, savourés au quotidien par les mélomanes, sont les produits de labeurs surhumains de bien des âmes sacrifiées à l’autel de la culture.

Yvenel Étienne (Soré), ancien chanteur de Tropicana et chanteur-étoile de l’Orchestre Septentrional, décède dans la nuit du 7 au 8 septembre 2021, à l’âge de 52 ans. Cette perte doit multiplier les tons et les murmures sur les trépas prématurés et évitables dans la communauté musicale. Car, s’ajoutant au lourd bilan des suicidaires culturels, sa mort entre dans la liste des victimes du plaisir fâcheux. Ces travailleurs de nuit, presque sans répit, n’ont pas souvent une police d’assurance-santé, voire l’obligation de faire un check-up régulier. En d’autres termes, ni Septen ni Tropic n’estiment la santé de leurs membres. Ces derniers qui dorment peu et qui se suralimentent durant des nuits méritent mieux.

Ils sont nombreux les décès, dus au surmenage, au sein de ces deux piliers musicaux, qu’on remet à la sorcellerie. La mort de Roger Colas (accident de la route) et d’Alfred Moïse (maladie) n’échappent pas à cette approche honteuse et ascientifique.

Pourtant, dans les yeux des musiciens des orchestres Septentrional et Tropicana, il y a la fatigue et la lassitude remarquables. Ils sont épuisés pour vivre peu. Ces orchestrateurs n’ont pas eu tort de vouloir gagner les cœurs à travers les sons, mais ils ignorent que le corps est trop faillible pour manquer tant de repos. Comme si l’on pouvait offrir la joie au-dessus de ses forces et donner le plaisir, sans pause, à grand renfort de boissons alcoolisées.

Instrumentistes et vocalistes, de grands musiciens du nord, Roger Colas, Alfred Moise, Ti Sax, Michel Tassy et Ti Codo ont tous été durement surmenés avant leur mort. Leur choix de faire danser a mal tourné ; ils l’ont payé de leur vie. D’un sort analogue, on pleure sincèrement le départ de Soré qui n’a pas arrêté de perdre des nuits même étant diabétique.

C’est connu. Les musiciens haïtiens jouent, chantent, dansent et amusent pendant longtemps, sous-estimant les effets dévastateurs. En réalité, ils ont choisi de mourir pour la musique. Honneur et Mérite !

Adieu Soré !