BOSTON, mardi 31 décembre 2024– Lors d’une conférence-débat tenue le samedi 28 décembre 2024 sous l’égide de l’Association des Journalistes Haïtiens de l’Étranger (AJHE), l’économiste et analyste Thomas Lalime a dressé un panorama complet des défis économiques d’Haïti, tout en explorant les perspectives de reprise de la croissance pour 2025. En s’appuyant sur des analyses économiques, des théories de développement, et des exemples internationaux, il a proposé des pistes de réflexion pour sortir le pays de l’impasse.
Thomas Lalime a débuté son exposé par une définition claire de la croissance économique et de son rôle dans le développement des nations. « La croissance économique représente l’augmentation de la production de biens et services dans une économie sur une période donnée. Mais au-delà de ce simple indicateur chiffré, elle se traduit par une amélioration des conditions de vie des populations, une réduction de la pauvreté, et une stabilité macroéconomique accrue », a-t-il expliqué. Pour illustrer l’importance de cet objectif, il a mentionné les travaux d’Angus Deaton et Jean Drèze, qui montrent que la croissance économique a un impact direct sur les indicateurs de développement humain tels que l’espérance de vie, l’accès à l’éducation, et la réduction des inégalités.
Dans une nuance essentielle, l’économiste a précisé que la croissance économique ne doit pas être confondue avec le développement économique. « Le développement économique, tel que défini par François Perroux, implique des changements mentaux et sociaux profonds qui rendent une population apte à produire davantage et durablement. Ce n’est pas simplement une question d’accumulation de richesses ; il s’agit de créer des conditions pour un progrès durable et inclusif », a-t-il souligné. Cette distinction est cruciale pour Haïti, où les initiatives économiques ponctuelles peinent souvent à générer des transformations structurelles à long terme.
S’appuyant sur les travaux du prix Nobel d’économie Robert Solow, Thomas Lalime a exposé les trois principaux moteurs de la croissance : le capital physique, le capital humain, et le progrès technologique. « À court terme, l’accumulation de capital et la gestion démographique peuvent impulser une croissance. Mais à long terme, c’est le progrès technologique qui fait toute la différence. Or, Haïti est en retard dans tous ces domaines », a-t-il affirmé, tout en insistant sur l’urgence d’investir dans l’innovation.
Il a ensuite introduit les théories de croissance endogène développées par Paul Romer et Robert Lucas, qui mettent l’accent sur le rôle central du capital humain et des externalités positives liées à l’éducation et à la recherche. « Si nous voulons véritablement sortir du cycle de stagnation économique, nous devons placer l’éducation et l’innovation au cœur de notre stratégie. Ce sont ces facteurs qui permettront à Haïti de s’inscrire dans une dynamique de croissance durable », a-t-il déclaré.
Malgré les perspectives offertes par ces théories, Thomas Lalime a dressé un constat lucide des obstacles structurels qui freinent l’économie haïtienne. « L’instabilité politique, l’insécurité généralisée, et l’absence de réformes institutionnelles sont des freins majeurs à toute tentative de relance économique. Comment peut-on planifier une stratégie de développement quand les institutions sont faibles et les investisseurs découragés ? », a-t-il interrogé.
Il a rappelé les récents chiffres publiés par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), qui montrent une contraction du PIB pour la cinquième année consécutive, ainsi qu’un taux d’inflation dépassant les 45 %. « Ces indicateurs reflètent une économie en détresse, où la priorité est souvent donnée à la survie quotidienne plutôt qu’à des projets à long terme », a-t-il ajouté.
Dans ce contexte difficile, Thomas Lalime a souligné l’importance de l’enveloppe de 1,35 milliard de dollars promise dans le cadre du Rapport d’Évaluation Rapide de l’Impact de la Crise Sécuritaire en Haïti (RCIA). « Cette somme représente une opportunité unique de redresser certains secteurs clés de l’économie, mais elle doit être gérée avec transparence et dans une vision stratégique. L’histoire nous montre que des fonds mal utilisés peuvent aggraver les problèmes au lieu de les résoudre », a-t-il averti.
Pour appuyer ses recommandations, l’économiste a cité plusieurs exemples internationaux où des économies en crise ont réussi à se relever grâce à des réformes audacieuses. « Le Rwanda, après le génocide de 1994, a misé sur l’éducation, la numérisation, et une gouvernance rigoureuse pour transformer son économie. Aujourd’hui, c’est l’un des pays à la croissance la plus rapide en Afrique. Pourquoi Haïti ne pourrait-elle pas suivre un chemin similaire ? », a-t-il demandé.
Il a également évoqué le cas du Ghana, qui a su exploiter ses ressources naturelles tout en diversifiant son économie grâce à des politiques d’industrialisation. « Haïti possède des ressources inexploitées, notamment dans le secteur minier et agricole. Mais ces secteurs doivent être développés dans le respect de l’environnement et avec des bénéfices tangibles pour la population locale », a-t-il précisé.
Pour conclure, Thomas Lalime a insisté sur les conditions nécessaires pour que Haïti amorce une trajectoire de croissance en 2025 :
1. Réformes institutionnelles profondes : « Sans institutions solides et stables, aucune stratégie économique ne peut réussir. »
2. Investissements dans l’éducation et l’innovation : « Le capital humain est notre plus grande richesse, et nous devons en faire une priorité. »
3. Amélioration de la sécurité : « La lutte contre l’insécurité doit être menée de manière concertée, avec le soutien de partenaires internationaux. »
4. Gestion efficace des ressources : « L’enveloppe internationale de 1,35 milliard doit être utilisée pour des projets structurants et durables. »
Malgré les nombreux défis, Thomas Lalime s’est montré optimiste quant à l’avenir d’Haïti. « La croissance économique n’est pas un rêve inaccessible. Avec une vision claire, une volonté politique, et un engagement collectif, Haïti peut renverser la tendance et offrir un avenir meilleur à sa population », a-t-il conclu.
Cette conférence, marquée par des échanges passionnés entre les journalistes participants, a permis de poser les bases d’une réflexion approfondie sur les priorités économiques d’Haïti. L’appel de Thomas Lalime à l’action collective résonne comme un rappel urgent pour un pays à la croisée des chemins.