Haïti face à l’asphyxie douanière : “Comment la hausse des tarifs américains aggrave la dépendance économique et que faire pour y échapper”…

Dollar americain/image d'illustration

Par Francklyn B. Geffrard,

MIAMI, jeudi 10 avril 2025, (RHINEWS)-Depuis le retour du président  Trump à la Maison Blanche, la politique commerciale des États-Unis a adopté un tournant protectionniste dont les répercussions ne se sont pas limitées aux grandes puissances économiques mondiales. Parmi les pays les plus durement touchés, Haïti, déjà vulnérable, a vu sa fragilité économique accentuée par la réduction ou la remise en question des avantages commerciaux dont elle bénéficiait, notamment dans le cadre des lois HOPE/HELP et du CBTPA. En supprimant ou restreignant ces régimes préférentiels, l’administration Trump a provoqué une onde de choc sur un système économique haïtien structurellement dépendant de l’extérieur.

Mais au-delà du choc immédiat, cette décision révèle une réalité plus profonde : celle d’une économie sous perfusion, prise en étau entre importations massives, faible productivité locale et absence de vision stratégique à long terme. Il est donc urgent d’analyser non seulement les conséquences de cette hausse tarifaire, mais aussi d’envisager les voies alternatives pour sortir de cette dépendance chronique.

Le secteur textile est le pilier de l’économie exportatrice haïtienne. Grâce aux accords HOPE (2006), HELP (2010) et au CBTPA, Haïti pouvait exporter vers les États-Unis des vêtements en franchise de droits de douane, à condition d’utiliser certains tissus ou de remplir des critères de conformité. Ces accords représentaient un levier vital de compétitivité.

Avec la montée du protectionnisme américain, cette franchise douanière a été remise en question. Les hausses tarifaires ou la menace de leur application ont entraîné une baisse de rentabilité pour les entreprises opérant dans les zones franches haïtiennes, notamment à Caracol, Ouanaminthe et Port-au-Prince.

Conséquence directe : des milliers de travailleurs – souvent des femmes issues de milieux défavorisés – ont perdu leur emploi. Sur les quelque 55 000 emplois directs créés dans ce secteur, plus de 15 000 ont été affectés en l’espace de deux ans. Or ce secteur représentait environ 90 % des exportations formelles du pays et l’une des rares sources de devises constantes.

La contraction du secteur textile ne se limite pas à une simple baisse de revenus pour l’État. Elle engendre une spirale dangereuse : perte d’emplois, réduction de la consommation intérieure, montée de la pauvreté, aggravation de l’insécurité, poussée migratoire. Lorsque des jeunes, des mères célibataires ou des chefs de famille perdent leurs revenus dans un pays sans filet de sécurité sociale, cela engendre des conséquences humaines profondes. Certains sont tentés par l’émigration clandestine vers les États-Unis ou la République dominicaine, d’autres par des réseaux informels, y compris les groupes armés.

En parallèle, la balance commerciale haïtienne est structurellement déficitaire. Selon les données de la Banque mondiale et de la Banque de la République d’Haïti, les importations du pays ont atteint environ 5,3 milliards de dollars en 2022, contre moins de 1,2 milliard de dollars d’exportations. Ce déséquilibre est chronique et massif.

Le pays importe plus de 70 % de ses produits alimentaires, 100 % de son carburant, ainsi qu’une majorité de ses matériaux de construction, médicaments, produits d’hygiène et biens de consommation. Les États-Unis sont son principal fournisseur (près de 40 % des importations), suivis de la République dominicaine, de la Chine et du Mexique.

Cette dépendance à l’importation est aggravée par la faiblesse de la production locale. L’agriculture haïtienne, historiquement affaiblie par le démantèlement des protections tarifaires dans les années 1980-1990, est sous-capitalisée, peu mécanisée et exposée aux chocs climatiques. L’industrie locale, quant à elle, reste embryonnaire, incapable de concurrencer les produits importés.

Le manque de compétitivité à l’exportation entraîne une baisse des entrées de devises, aggravée par la diminution des recettes douanières (due à la contrebande, à la faiblesse institutionnelle et à la réduction des échanges formels). Cela exerce une pression directe sur la gourde haïtienne, dont la dépréciation entraîne à son tour une inflation importée.

Le coût des produits alimentaires explose, réduisant encore le pouvoir d’achat des ménages. Une spirale d’appauvrissement s’installe : plus le pays importe, plus il s’endette, plus sa monnaie perd de la valeur, plus la population s’appauvrit.

Dans ce contexte, ce sont les transferts de la diaspora, estimés à plus de 3 milliards de dollars par an, qui assurent la survie d’une large partie de la population. Cet argent permet aux familles de subvenir à leurs besoins de base (logement, scolarité, alimentation), mais il ne crée pas de richesse structurelle. En parallèle, l’aide internationale (alimentaire, humanitaire, de sécurité) compense l’absence d’État social. Mais cette aide entretient aussi une forme d’assistanat chronique.

L’incertitude liée aux relations commerciales avec les États-Unis a aussi refroidi les rares investisseurs intéressés par Haïti. Ceux qui avaient commencé à s’implanter dans la chaîne de valeur du textile ou dans des projets de zones franches ont freiné leurs plans. La perception de risque politique, fiscal et commercial a augmenté.

Il ne suffit pas de dénoncer les effets d’une politique étrangère défavorable. Il faut reconstruire un modèle de développement fondé sur la souveraineté productive, la diversification des échanges et la valorisation des capacités internes.

Un plan d’action stratégique en cinq ans, articulé autour de dix politiques structurantes, pourrait permettre à Haïti d’amorcer sa sortie de dépendance. Ces politiques couvriraient la relance agricole, la réindustrialisation locale, la réforme douanière, la transition énergétique, la mobilisation de la diaspora, l’intégration régionale, la diplomatie économique et la formation des jeunes.

L’objectif est de rétablir un cercle vertueux : produire localement, transformer sur place, consommer haïtien, exporter intelligemment.

L’augmentation des tarifs douaniers imposés par l’administration Trump n’est pas la cause originelle de la crise économique haïtienne, mais elle en a été un catalyseur brutal. Elle a révélé l’extrême fragilité d’un système économique fondé sur l’importation et le désengagement de l’État. Plus profondément, elle a mis en lumière l’absence de stratégie nationale de développement autonome.

Haïti ne pourra sortir de ce cycle de dépendance que par une révolution économique et institutionnelle : en investissant dans la production, en soutenant les entrepreneurs, en formant ses jeunes et en reconstruisant la confiance entre les citoyens et les institutions.

C’est un défi immense. Mais c’est aussi la seule voie vers une véritable souveraineté économique – et, à travers elle, une souveraineté politique, sociale et nationale.

La crise économique haïtienne ne saurait être pleinement comprise sans intégrer une donnée centrale : la prise de contrôle progressive du pays par des groupes armés organisés, réunis sous l’étiquette “Viv Ansanm”. Cette coalition de bandes criminelles agit désormais comme une force para-étatique qui non seulement terrorise la population, mais empêche littéralement le fonctionnement de l’économie nationale.

Depuis plusieurs années, Haïti vit une désintégration lente mais implacable de son tissu économique. Si les facteurs externes — comme l’augmentation des tarifs douaniers imposée sous l’administration Trump ou la dépendance chronique aux importations — ont joué un rôle catalyseur, le facteur de blocage déterminant aujourd’hui est l’ancrage de la criminalité armée comme système de domination territoriale, économique et politique.

Les attaques coordonnées de ces gangs ont entraîné la fermeture de nombreuses entreprises, la désorganisation des chaînes logistiques et la paralysie des marchés publics. Par exemple, des institutions majeures telles que des banques commerciales, des centres hospitaliers et des établissements scolaires ont dû cesser leurs activités dans des zones sous contrôle des gangs.

Cette insécurité généralisée a également provoqué une fuite massive des investisseurs étrangers et locaux, décourageant toute initiative économique. Les zones franches industrielles ont perdu des clients internationaux, les banques ont réduit leurs opérations, et les projets de la diaspora sont suspendus faute de garanties sécuritaires. Même les institutions internationales réévaluent leurs programmes en Haïti.

Parallèlement, les gangs ont instauré une économie parallèle en extorquant des taxes aux commerçants, chauffeurs et entreprises de logistique. Ils contrôlent des routes stratégiques et perçoivent des droits de passage illégaux, sapant les recettes fiscales de l’État. Selon un rapport, ces gangs extorquent entre 6 000 et 8 000 dollars par jour aux conducteurs et jusqu’à 20 000 dollars aux entreprises.

Cette situation a accru la dépendance du pays à l’aide humanitaire et aux transferts de la diaspora. L’État, privé de ses recettes fiscales, peine à fournir des services de base, et la population s’appauvrit, comptant de plus en plus sur les envois de fonds de l’étranger pour survivre.

De plus, l’insécurité a provoqué une fuite des cerveaux, avec de nombreux professionnels qualifiés quittant le pays, affaiblissant ainsi les capacités de relance économique à moyen et long terme.

En somme, il n’y aura pas de souveraineté économique sans souveraineté territoriale.Haïti ne pourra respirer économiquement tant que sa capitale et ses zones industrielles resteront sous le joug de groupes terroristes. La lutte pour la sécurité et la production doivent être menées ensemble, car elles sont les deux faces de la survie nationale. Toute politique de relance économique doit impérativement s’accompagner d’une restauration de l’autorité de l’État et d’une amélioration significative de la sécurité sur l’ensemble du territoire.